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Une guerre post-mortem bizarroïde sur Jean Jésufort JUSTIN (JJJ)

Francesca- Joseph-Justin-jean-j-Justin  11 novembre 1947 - 10 juin 2013 à droiteFrancesca Joseph-Justin (à gauche); Jean J. Justin ( 11 novembre 1947 - 10 juin 2013, à droite)

Par Jean-Junior Joseph --- Déclaré mort à 8h 22 Am, le lundi 10 juin 2013 à l’hôpital North Shore de Long Island, Jean Jesufort Justin, 65 ans, né un 11 novembre 1947 lâche la vie. Rude travailleur et brillant mécanicien de formation, l’homme a cumulé plus de cinquante (50) ans de dur labeur en Haïti et à New York. Trois théories de son décès : infarctus du myocarde ou « crise cardiaque », thrombose  ou « blood clot », embolie pulmonaire ou chute respiratoire. Quelle que soit la cause, trois (3) heures de temps auraient suffi pour ralentir la course de la mort. Selon le médecin de service à l’hôpital North Shore (Long Island), le dernier cri de Jean Justin fut : “laissez-moi mourir.” Ti Sovè, sobriquet du défunt depuis son adolescence à Deba, commune de Thomazeau, expira et laisse derrière lui une guerre qui n’a pas pris de temps pour éclater au grand jour.

     Cette guerre post-mortem oppose deux familles haïtiennes, animées d’esprit de revanche, prises dans un chassé-croisé d’accusations suite à la mort subite de Jean J. Justin marié à Francesca Joseph-Justin en Janvier 1970. De cette union sont issus 3 filles et deux garçons dont Carmel Justin-Hector, Carmy Justin, Carline Justin-Célestin, Carlos Jean Justin, Calix Jean Justin. Les 5 enfants du disparu trouvent le décès précipité de leur père trop suspect pour être digéré banalement. Dans cette affaire, ils voient l’ombre trouble de Carline Vieux, nouvelle femme de Papa Justin qui lui a enfanté deux garçons : Christopher et Kendall.  Ils croient dur comme fer « même en absence de preuve »  que Carline Vieux a empoisonné papa Justin. Ces conflits, un peu ordinaires dans beaucoup de familles, qui compliquent l’exécution de dispositions testamentaires, ont parfois des racines profondes dans les mœurs haïtiennes.

     Carline Vieux est née de la deuxième génération du notaire et avocat, Denis Vieux, des débuts de 1900. Cet ancien notable des contrées de Thomazeau prenait plaisir à croitre et multiplier pour remplir sa petite patrie faute de pouvoir peupler la terre entière. Selon mon père Jean Jacob Joseph, ce fameux Denis Vieux aurait à son actif une postérité de plus de quarante (40) fils et filles. Denis Vieux, grand-père de Carline Vieux, contracta des liens de concubinage avec la sœur de mon grand-père Inesinse Joseph qui lui donna beaucoup d’enfants, dont six (6). Selon Francesca,   tante Inésince aurait objecté que ses enfants portent le patronyme « Vieux ». Inésince jura que ses enfants porteraient le nom de Joseph.  Ce fut, selon Francesca, une attitude « raciste » (au sens de lignée) de la part de notre grand-tante. Entre Carline, la petite fille de Denis Vieux et Francesca (née Joseph) nièce d’Inésince les antécédents étaient conflictuels dès l’origine. Donc les Vieux et les Joseph ont eu leurs histoires bizarres et anciennes dans les bourgs et faubourgs de Trou-Caïman, Thomazeau que seuls les anthropologues peuvent dépister.                              

     Et C’est à l’occasion du décès de Jean J. Justin que cette hostilité larvée vire au vinaigre et éclabousse innocemment les enfants des deux lits, lesquels s’embarquent dans un conflit, sans connaitre le fonds de cette haine remontant au temps de Denis Vieux et feu grand-père Elisca Joseph (mon grand-père d’origine levantine) mort en 1981. Ces luttes presque tribales éclatent au grand jour le samedi 22 juin 2013. Faut-il aussi mentionner que, Carline Vieux, son père, sa mère et certains de ces frères et sœurs avaient pris logement chez Francesca Joseph-Justin pendant quelques mois à Snyder Avenue, Brooklyn, New York. Un beau jour, Francesca aura la désagréable surprise de sa vie en apprenant que Carline Vieux était devenue la nouvelle épouse de Jean J. Justin qui lui laissait cinq (5) enfants. Avec le temps, tout s’en va dit la chanson. Mais sauf les haines et les malentendus douloureux.

     Ces conflits couvés pendant des années pourraient expliquer que les cinq (5) enfants du premier lit s’entendent pour ne pas se rendre aux funérailles d’un père qui les a chouchoutés et gâtés pendant plus de vingt-cinq (25) ans de vie en couple avec leur mère Francesca Joseph-Justin. Pourtant, Carline Justin, ma cousine, m’a fait un texto qui dit ceci : « Je veux revoir le visage de mon père dans cette bière glacée, juste pour lui dire un dernier adieu ».

     A la fin des obsèques á l’Eglise Saint Joachim & St Ann à Queens Village, Christopher Justin, 19 ans, était inconsolable et l’on sentait le gosse ravagé de chagrin. Ses pleurs suffisaient pour faire comprendre l’impact de la mort de Papi Justin. A lui seul Christopher versa des larmes pour tous les autres enfants du défunt. Jusqu'au cimetière PineLawn à Farmingdale, Christopher ne cessa de dépoussiérer le cercueil à quelques millimètres du caveau situé dans la partie supérieure du mausolée.
Christopher éploré ! Christopher, l’enfant de la discorde ! Sait-il que sa naissance fut l'élément déclencheur de  cette guerre silencieuse entre Carline Vieux et Francesca Joseph-Justin ?

     C’est bien une regrettable histoire sans issue heureuse malgré des efforts de négociation déployés par quelques bonnes âmes. L’homme que je salue dans tout ca, c’est mon très grand ami, l’Ingénieur Evens Saint-Hillaire avec qui j’ai travaillé à New York Presbytérial-Cornell University quand j’étais Senior Système Engineer. Evens tenta de mettre la paix mais les ponts d’une unification furent brisés quand Carline Vieux rejeta les propositions des enfants de Francesca en disant « Faute d’argent, je vais incinérer le cadavre pour 3,000 dollars… puis en marge des ultimes négociations déclara péremptoirement – tout est réglé, je ferai les funérailles seule. » Ainsi, Papi Justin fut inhumé sans tambour ni trompette malgré le voyage de mes frères, d’Atlanta à New York, de ma sœur-médecin de Porto-Rico à New York et surtout sans la présence de son incontestable meilleur ami, mon père Jean Jacob Joseph. C’est difficile de dire à Papi Justin, notre Ti Sovè « RIP - Rest In Peace » sans rester convaincu qu’il laisse derrière lui une terrible guerre interfamiliale entre deux lits. Aussi étais-je obligé de dire au Cimetière Pine Lawn  à Evens Saint-Hillaire: « Et si Carline Vieux pensait aux accusations d’empoisonnement, fussent-elles vraies ou fausses, elle aurait dû laisser faire l’autopsie qui pourrait révéler la vraie cause de la mort. » La réponse d’Evens: « Carline était d’accord au début mais… ». Culturellement, la suspicion chez les Haïtiens est toujours têtue car la science médico-légale peut dire une chose, mais leur feeling dit une autre chose. Aux cinq (5), mes cousins et cousines, je leur ai dit sans les juger : « Suite au goudougoudou du 12 janvier 2010, certains auraient payé des milliers de dollars pour ne faire que voir le corps d’un être cher qui a disparu. » Et Evens Saint-Hillaire d’ajouter : « Ils n’ont qu’à venir au cimetière pour demander l’autopsie et effacer tous les doutes. »

     Nés à New York à quelques mètres dans la zone métropolitaine, les 5 enfants ne se sont présentés ni á la veillée funèbre, ni au service religieux, ni á l’inhumation à Farmingdale des dépouilles de leur regretté père. Les 5 n’ont pas desserré les dents pour aller dire devant le cercueil : « Adieu Papi Justin ». Les taxer d’abrutis, de créateurs d’événement insolite, de stupides ou de faiseurs « de guerre post-mortem bizarroïde », c’est méconnaitre la douleur inévitable causée par la mort d’un père de la trempe de Justin… la mort d’un être aimé ne se partage pas. Les pleurs ça ne se fabrique pas. Et il est difficile de les réprimer. Ils inondent les joues et arrivent parfois sans s’annoncer. Qui aurait pu comprendre mes larmes, mes agitations et mon état d’inconsolation lors du décès de ma grand-mère Elvira Etienne en 1993 ? J’aimais tellement grand’mère que je suis sûr que j’avais l’air niais aux yeux de ceux qui croyaient que cette vieille était mortelle comme tout le monde. 
Non les 5 n’étaient pas insensibles au départ de leur père Justin ! Son départ ranimait bien de souvenirs. Papi Justin, témoin de ma naissance, avait profité de mon baptême pour jeter quelques fleurs aux pieds de Francesca, cette belle femme vierge qui est devenue ma marraine. C’est ce même Justin – Ti Sovè – qui est devenu le meilleur confident de mon père Jean Jacob Joseph au fil des ans d’Haïti à New York. Ces deux copains travaillèrent dans la même entreprise pendant des dizaines d’années. Les meilleurs souvenirs de mon enfance m’indiquent que Justin fut l’homme d’une affection tissée de théâtralisme et de sincérité profonde qui ne pouvait passer inaperçu. Quand Ti Sovè est là, ça bouge : il y a des vibrations.

Jean-Junior Joseph