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Droit, politique et formation de gouvernement :la hiérarchie de pouvoirs au sein d'un cabinet ministériel (1ère Partie)

watson-denisPar Watson R. Denis, Ph.D.

I. Liminaire.

La formation d'un gouvernement est un moment crucial dans la vie d'un peuple. Elle crée des expectatives chez certains, elle provoque des attentes chez d'autres et fait naître des espérances chez le peuple dans son ensemble pensant que cette fois-ci la situation du pays va changer pour de bon. Dans un pays comme Haïti où la politique joue un rôle transcendantal, on dirait même où la politique est incrustée dans les pores des citoyens et des citoyennes, la formation d'un cabinet ministériel suscite un grand intérêt chez tout un chacun. La politique chez nous est à la fois une question d'intérêt national, une motivation rationnelle et une activité passionnelle.

Au-delà des intérêts politiques, des perspectives et des opportunités, la constitution d'un gouvernement relève du droit (en particulier du droit constitutionnel et du droit administratif), et de la politique (négociations, tractations) à son plus bas et son haut niveau. Au vrai sens du mot, la formation d'un gouvernement implique une vision politique de la société dans laquelle on évolue, des stratégies au moment des négociations entre les parties impliquées et des tractations des uns et des autres, et enfin le rassemblement d'une équipe d'hommes et de femmes pour gérer dans l'intérêt général les affaires de l'Etat. Cela veut dire que la formation d'un gouvernement implique des choix. Choisir entre différentes possibilités existantes (entre plusieurs voies, plusieurs projets) et entre plusieurs groupes sociaux, leurs représentants, les partis politiques et les acteurs évoluant sur l'échiquier. Mais ce choix doit se faire avant tout selon les normes et les prescrits de la Constitution en vigueur.

Dans un système politique parlementariste ou semi-parlementariste comme celui qui régit la République d'Haïti de nos jours, le gouvernement est un organe collégial composé d'un Premier ministre, de ministres et de secrétaires d'Etat, chargés de l'exécution des lois et de la direction des affaires de l'Etat. Selon le contexte politique où les circonstances historiques, un gouvernement peut aussi être composé de ministres d'Etat, de ministres sans portefeuille et de ministres-délégués.

Dans cet article, je veux démontrer que le droit et la politique interviennent dans la formation d'un gouvernement. De manière plus spécifique, je veux expliquer la hiérarchie de pouvoirs qui existe entre les différents ministres au sein d'un cabinet ministériel, ici et ailleurs. En  d'autres termes, je tâcherai d'expliquer le rôle et la place de ces ministres qui conduisent au plus haut niveau, à un titre ou à un autre, à un certain moment de la durée, les destinées d'un peuple, de la nation et de l'Etat.

II. La hiérarchie de pouvoirs au sein du cabinet
La Constitution haïtienne de 1987 stipule dans son article 155, que «le gouvernement se compose du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d'Etat. Le Premier ministre est le chef de gouvernement.» Il arrive aussi qu'un cabinet ministériel comporte d'autres postes ministériels confiés à des personnalités politiques. Analysons tour à tour la hiérarchie de pouvoirs qui existent entre ces hauts dignitaires de l'Etat.

a)Le Premier ministre
Le Premier ministre (PM) est aussi un ministre, mais il est le premier parmi les ministres du gouvernement. Sa primauté sur le reste des ministres est d'ordre politique et constitutionnel. En Haïti il tient sa légitimité politique de la Chambre des députés et du Sénat de la République. En effet, les deux branches du Parlement ont successivement, en quatre séances-marathon et en Chambre séparée, ratifié le choix qui a été fait de lui par le président de la République comme Premier ministre et approuvé son énoncé de politique générale. Ayant réussi le parcours du combattant, il est placé à la tête du gouvernement. Sa fonction est de diriger, d'orienter et de coordonner les actions du gouvernement, dont il a la charge par-devant le Parlement, codétenteur de la souveraineté nationale.

Selon les articles 158 à 165 de la Constitution en vigueur, le premier ministre a une diversité de rôles et de prérogatives. Par exemple, il fait exécuter les lois, il détient le pouvoir réglementaire, il préside le Conseil des ministres en cas d'absence ou d'empêchement du président de la République, chef de l'Etat. De concert avec ce dernier, il est responsable de la défense nationale. Il nomme et révoque directement et par délégation de pouvoir aux ministres. En principe, il est le chef de l'administration publique. D'ailleurs, selon l'article 24 du décret portant révision du Statut Général de la Fonction publique du 17 mai 2005, il préside le Conseil supérieur de l'administration et de la fonction publique.

De plus, le Premier ministre préside les réunions du Conseil de gouvernement ainsi que le Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN).

Il en résulte que le Premier ministre est un personnage haut en couleur, mais qui marche ou qui doit marcher constamment en équilibre sur une corde raide. Comme chef de gouvernement, il relève du chef de l'Etat qui l'a choisi pour des raisons politiques, économiques et sociales (et même des raisons toutes personnelles) et avec qui il conduit les affaires de l'Etat, et du Parlement qui lui a donné la légitimité politique nécessaire pour remplir ses fonctions.

b) Le ministre d'Etat
Le ministre d'Etat est lui aussi un personnage haut en couleur. Sa désignation par le président de la République signifie qu'il a une certaine primauté sur les autres ministres au sein du cabinet ministériel. On se rappelle qu'au début de 1980, le président à vie Jean-Claude Duvalier, en réaction à la tourmente politique que lui avait causée la politique des droits de l'Homme de Jimmy Carter ou voulant renforcer à cette même période le régime de la présidence à vie, avait nommé un quatuor de ministres d'Etat. Ce qui finalement s'est révélé une initiative mort-née. En effet, ce qui devait arriver arriva : le régime bascula en février 1986.

Sans nul doute le titre de ministre d'Etat a intégré le jargon politique haïtien en passant de la France médiévale à la France moderne et contemporaine. Dans la France monarchique du Moyen-âge, le titre de ministre d'Etat était tout à fait protocolaire, honorifique et consultatif. Le roi de France donnait ce titre à des personnalités qui se sont montrées méritantes dans la vie publique. Ces ministres d'Etat ne furent pas considérés comme des membres du gouvernement en tant que tels, ils formaient plutôt sous la présidence du Roi, le conseil de la Couronne. Ils passaient le plus clair de leur temps dans la cour du palais royal, prompts à conseiller Sa Majesté sur des questions d'ordre général. Lorsqu'ils siégeaient, ils n'avaient qu'une compétence consultative.

Mais les temps et les mentalités ont beau changer. Comme partout ailleurs, la France a connu des mutations politiques considérables. Aujourd'hui le titre de ministre d'Etat marque l'importance d'un ministre au sein d'un cabinet ministériel. Tout récemment, quelque temps avant les élections présidentielles françaises, M. Nicolas Sarkozy, qui voulait rassembler autour de lui les plus grandes personnalités de la droite, avait appelé l'ancien Premier ministre Alain Juppé au gouvernement avec rang de ministre d'Etat, pour occuper les fonctions de ministre des Affaires étrangères et européennes.

Mais tout est relatif dans la vie. Les traditions et les systèmes politiques étant différents d'un pays à l'autre, un ministre d'Etat ne jouit pas des mêmes prérogatives partout. En effet, si en France et en Haïti et dans certains pays de l'Afrique francophone (Bénin, Côte d'ivoire, Mali, Maroc par exemple), le ministre d'Etat est une personnalité politique de premier rang, dans certains pays de tradition anglo-saxonne, dont les Etats de la Caraïbe anglophone (Barbade, Guyana, Jamaïque, Trinidad et Tobago), le ministre d'Etat vient après le ministre titulaire du département ministériel. C'est un ministre junior (pour son âge, son rang et son rôle au sein du parti au pouvoir) ; il remplit le rôle d'un vice-ministre ou de secrétaire d'Etat. C'est un ministre de second rang à qui le titulaire du ministère attribue des charges et des responsabilités spécifiques. On dit par exemple, le ministre d'Etat au sein du ministère de la Justice ou le ministre d'Etat au sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur. Dans ces pays de tradition parlementariste, en commençant par le Royaume-Uni, il est coutume qu'un ministère comporte un ou deux ministères d'Etat. Il faut également noter que dans le système parlementaire anglo-saxon de Westminster et ses dérivés, les parlementaires peuvent occuper des postes ministériels.

c) Le ministre
Le ministre est le personnage politique qui est placé à la tête d'un ministère. Dès lors, ce ministère, qui peut s'occuper d'un, de deux et même de trois domaines à la fois, devient son champ d'activités gouvernementales.

Dans l'exécution de ses fonctions, le ministre a une mission politique et une fonction administrative. Du point de vue politique, il a un rôle d'impulsion et de mise en oeuvre de la politique gouvernementale dans le champ ou les champs d'activités dans lesquels il a été appelé à servir la République ou la collectivité nationale. Du point de vue administratif, dès son entrée en fonction, il devient le supérieur hiérarchique des fonctionnaires du ministère à la tête duquel il a été nommé. En outre, il est en charge du contrôle de tutelle sur les établissements publics ou les directions décentralisées relevant du champ de compétence de son ministère.
En principe, un ministre ne dispose pas de pouvoir réglementaire (ce pouvoir est exercé par le Premier ministre qui peut bien vouloir déléguer certaines prérogatives à des ministres), c'est-à-dire la capacité d'édicter des normes générales. Toutefois, il est responsable au premier chef de l'organisation des services de son ministère. Pour ce faire, il met à contribution la Constitution, les lois de la République, les lois relatives à ses champs d'activités et peut proposer de nouvelles lois et dispositions pour réglementer la vie publique. Les ministres contresignent les décrets du président de la République et du Premier ministre, qui sont directement liés aux domaines de leurs compétences.

d)Les ministres sans portefeuille
Un ministre sans portefeuille est un ministre sans responsabilités spécifiques. A l'opposé  d'un ministre en titre, le ministre sans portefeuille n'est pas placé à la tête d'un ministère et n'exerce pas de fonctions administratives en tant que telles. Il n'a pas d'autonomie budgétaire et politique. Il dépend des services et crédits du ministère auquel il est rattaché. Toutefois, il peut arriver et il est déjà arrivé qu'on confie des responsabilités spécifiques à un ministre sans portefeuille.

Les ministres sans portefeuille sont généralement considérés comme des représentants des différentes franges de la société au sein du Conseil des ministres : les groupes sociaux en opposition, en réintégration politique ou représentants de la société civile. Selon les pays et les systèmes politiques, les ministres sans portefeuille peuvent participer au Conseil des ministres ; dans d'autres, ils n'y participent pas. Toujours est-il que le poste de ministre sans portefeuille est accordé à une personnalité politique où a un représentant de la société civile au terme de négociations politiques, pour marquer une ouverture politique, pour répondre à une revendication sociale de grande portée ou pour atténuer les méfaits d'une crise sociale ou politique. On se rappelle qu'en 2002-2003, M. Marc Bazin, personnage politique très apprécié, entre autres, pour son verbe châtié, membre de l'opposition modérée, a été nommé ministre sans portefeuille, chargé des négociations avec l'opposition, dans le gouvernement Aristide - Neptune. Mais la palme semble avoir été remportée au Maroc où un personnage politique a été nommé : «ministre d'Etat sans portefeuille». Apprécier la combinaison inédite, d'une part de ministre d'Etat et, d'autre part, de ministre sans portefeuille. Tout un titre de noblesse pour se faire prévaloir ; plus noble que ce personnage politique qui a obtenu ce poste ostentatoire est sa Majesté le roi Mohamed VI.

A coté des ministres sans portefeuille, il y a également une catégorie très limitée de personnalités de l'Etat  qui ont rang de ministre. C'est notamment le cas du secrétaire général de la Primature, ainsi que du secrétaire général de la présidence. Nommés par décret présidentiel, ces derniers remplissent une fonction à  la fois technique et politique.
 
e) Les ministres délégués
Le gouvernement Martelly-Lamothe a nommé trois ministres délégués auprès du Premier ministre. C'est pour la première fois que, dans la vie politique du pays, il a autant de ministres délégués. Dans les premiers moments, au-delà des aspects juridiques et leur imbrication dans le système politique haïtien, ces nominations avaient soulevé des interrogations dans l'opinion publique. Plus d'un se demandait si on avait créé de nouveaux ministères.

Il y eut de la confusion au double point de vue juridique et politique. Jusqu'ici le droit haïtien est muet sur la catégorie des ministres délégués, bien que depuis un certain temps il y ait un ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Du point juridique (droit constitutionnel, droit administratif ou la jurisprudence en a matière), les ministres délégués ne sont pas ou ne seront pas placés à la tête d'un ministère ; on n'ouvrira pas non plus de nouveaux départements ministériels pour les recevoir. Comme il est indiqué, ces ministres sont délégués auprès du Premier ministre pour s'occuper à la Primature de dossiers spécifiques dans les domaines pour lesquels ils ont été choisis. En d'autres termes, ils interviendront dans les champs pour lesquels ils ont été nommés : la paysannerie, les droits de l'homme et la lutte contre la pauvreté extrême et les relations avec le Parlement.

Le ministre délégué est donc un dignitaire de l'Etat qui détient un portefeuille spécialisé, d'un secteur d'activité particulier au sein du cabinet ministériel. Pour le besoin de leur travail, ces ministres délégués auront normalement un bureau de fonctionnement avec un personnel approprié, mais qui devra être spécialisé. En règle générale, un ministre délégué n'est pas ordonnateur, il ne peut pas nommer ni révoquer à sa guise dans l'administration publique, sauf si le Premier ministre, pour des raisons politiques ou pratiques, lui donnerait un pouvoir discrétionnaire ou exceptionnel. Un ministre délégué, en principe, à l'instar du secrétaire d'Etat, ne participe pas au Conseil des ministres ; il participe si le Conseil traite de questions qui le regardent au premier chef et sur demande expresse du président de la République ou du Premier ministre.  

Jusqu'à l'avènement du président socialiste français, François Hollande, au pouvoir, le 15 mai 2012, la France avait des postes de secrétaire d'Etat. Tous ces postes ont été éliminés au profit de ministres délégués. Ainsi on retrouve des ministres délégués qui sont nommés au sein des ministères ou auprès des ministres à la mode anglo-saxonne. Pour sa part, le cabinet ministériel haïtien comporte aujourd'hui à la fois des ministres délégués et des secrétaires d'Etat. Y a-t-il une différence entre les deux postes ? Qui a la prééminence sur l'autre ? Qui peut répondre ? Arrivera t-on un jour à une harmonisation de titre pour éliminer de possibles confusions, surtout pour dissiper toute fausse lutte d'autorité?

f) Le secrétaire d'Etat
Dans le temps, en France et en Haïti, le titre de secrétaire d'Etat était réservé au ministre s'occupant d'un portefeuille ministériel et qui participait au Conseil des ministres. Un secrétaire d'Etat était un ministre, on disait Monsieur le Ministre X ou Y, secrétaire d'Etat de l'Education nationale, par exemple. Au sein des secrétaireries d'état il pouvait y avoir un ou deux sous-secrétaires d'Etat qui jouaient le rôle de second personnage dans la hiérarchie de pouvoirs.

Aux Etats-Unis d'Amérique (USA), le titre de Secrétaire d'Etat n'est pas modifié depuis l'époque de l'indépendance. On est, par exemple, secrétaire d'Etat au travail, secrétaire d'Etat au Commerce. Le titre de : Secretary of State (Secrétaire d'Etat (tout court) détenu aujourd'hui par Mme Hillary Rhodman Clinton, est identique aux fonctions de ministre des Affaires étrangères en France et en Haïti ou de Chancelier dans les pays latino-américains. Le Secretary of State reste et demeure un personnage politique influent et puissant dans la hiérarchie de pouvoirs aux USA- un peu plus avant qu'en ce moment. Dans le temps, le Département d'Etat (State Department) constituait l'antichambre à partir de laquelle le Secretary of State pouvait assauter la Maison Blanche. Les cas des anciens secrétaires d'Etat Thomas Jefferson et James Monroe devenus présidents sont illustratifs à plus d'un titre.

Depuis un certain temps, en Haïti tout comme en France, les choses ont bien changée On n'utilise plus le titre de secrétaire d'Etat pour désigner un ministre. Celui qui est placé à la tête d'un département ministériel est appelé ministre tout simplement. Il n'existe pas non plus de titre de sous-secrétaire d'Etat. Cette terminologie est remplacée par celle de secrétaire d'Etat qui est semblable au rôle de vice-ministre chez les Russes et dans de nombreux pays de l'Amérique du sud et de l'Amérique centrale.

Les secrétaires d'Etat sont des membres du gouvernement, qui sont placés au dernier échelon de la hiérarchie ministérielle et sous l'égide d'un ministre. L'article 166 de la Constitution de 1987 le précise en ces termes : «Le Premier ministre, quand il le juge nécessaire, adjoindra aux ministres, des secrétaires d'Etat.» A ce titre, les secrétaires d'Etat, de par leurs compétences, négociations, influences ou recommandations politiques, sont nommés à des fonctions spécifiques relevant du ministère où ils sont affectés en vue de soutenir et appuyer le ministre dans ses tâches et responsabilités.

De là on a tendance à comprendre qu'un secrétaire d'Etat est comme un ministre délégué. Il reçoit ses attributions par délégation de son ministre de rattachement. Il peut aussi être rattaché au Premier ministre. Un secrétaire d'Etat n'a pas d'administration propre (c'est-à-dire un ministère dont il a la charge), mais il peut avoir un cabinet technique qui le soutient dans son travail et le ministre de tutelle peut lui confier, selon les circonstances, des responsabilités ministérielles spécifiques. Dans la pratique, il ne siège pas d'emblée au Conseil des ministres, il y prend part lorsqu'un point de l'ordre du jour ressort directement de ses attributions.

Watson Denis, Ph.D.
Professeur d'histoire et des relations internationales
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Deuxième partie: Droit, politique et formation de gouvernement: la hiérarchie de pouvoirs au sein d'un cabinet ministeriel (Suite et fin)