Culture & Société
Prof Roger Petit-Frère: Les polémiques et conflits autour du 17 octobre
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- Catégorie : culture & societe
- Publié le dimanche 20 octobre 2013 16:27
Par Roger Petit-Frère --- Les historiens de métier comme le citoyen ordinaire n'abordent pas les événements de la même manière. Il en va de même des clans, des groupes et des classes. Nos problèmes, nos préoccupations et nos conceptions de la vie, de l'histoire et du passé changent et avec eux, la discipline. Le passé et le présent se donnent la main pour décrypter l'événement. Marc Bloch disait que faire de l'histoire, «c'est comprendre le passé par le présent» et Bernadette Croce avait renchéri : «Toute histoire est contemporaine».
Le 17 octobre 1806 n'échappe pas à ce principe de base
Que faut-il commémorer ? la mort de Dessalines au Pont-Rouge ou sa naissance à Cormier le 17 octobre. Pourquoi sa mort ou sa naissance ? Le héros, l'être exceptionnel est-il le produit de la nature ou sa naissance et sa mort sont les événements les plus importants de son histoire?
Ne faut-il pas renverser la question, sortir de la religiosité et du mysticisme et faire un autre choix qui témoigne de l'insertion de Dessalines dans l'histoire nationale et universelle? Ne faut-il pas penser au jour de la publication de la Constitution de 1805 pour manifester les valeurs nationales, patriotiques et sociales soutenues dans ce texte ou à la bataille de la Crête-à -Pierrot qui témoignerait de la vaillance, du courage et de l'intelligence du génie militaire que fut Dessalines ?
Commémorer le 17 octobre à Cormier, Grande-Rivière du Nord est une absurdité. Dessalines est mort le 17 octobre au Pont-Rouge, pas à Cormier. Quelle incohérence! Commémorer sa mort à l'endroit où il a pris naissance. Mémoriser sa mort comme celle de Toussaint est un choix idéologique et politique. Dans le cheminement historique de Dessalines, pourquoi seule sa mort a une valeur symbolique? Veut-on répéter inconsciemment le même geste ? Dessalines dérange-t-il? Si oui, qui ? Quelle est la signification du 17 octobre 1806?
Pétion qui avait participé au complot pour renverser l'empereur avait une interprétation de cet événement. Il avait parlé d'une «sainte insurrection». «Dessalines fut frappé à mort par le premier coup de fusil qui a été tiré depuis cette sainte insurrection». De plus, dans une lettre menaçante à Christophe au début du conflit pour la mise en place d'un nouveau gouvernement à l'occasion de la préparation des électeurs pour remplacer l'empereur, il avait écrit ceci : «Si le peuple n'a pas craint d'abattre la tête de Dessalines, pourra-t-il trembler devant les intrigants et les ambitieux subalternes?»
Résumons un peu. La mort de Dessalines est la conséquence d'une «sainte insurrection» populaire. Pétion n'a aucun problème de conscience et n'est coupable de rien. Il a liquidé un tyran, un dictateur, un mauvais administrateur, un voleur, un massacreur, un immoral, un sanguinaire, etc. Ne parle-t-on pas jusqu'à aujourd'hui du massacre des Français? Il a fait une oeuvre sainte, digne de la postérité. Il a sanctifié son acte et a cru tellement à la justesse de sa cause qu'il a écrit à Mme Dessalines pour lui annoncer la mort de son mari et lui offrir sa protection.
L'histoire libérale avec Beaubrun Ardouin reprend la même thèse, accuse Dessalines de «subversion sociale». Il a fait de l'empereur un criminel, un méchant : il avait promis aide et protection aux colons le 2 janvier 1804 pour tous les engloutir.
On comprend que dans ces conditions, l'histoire dominante, celle des vainqueurs et des classes oligarchiques possédantes ait choisi de fêter la mort de Dessalines comme fête de la révolution, de la liberté et de la démocratie.
De 1807 à 1842, on a célébré la fin de la tyrannie et de la dictature par une messe solennelle. Le pouvoir politique libéral avait mis l'histoire à leur service en chantant leurs prouesses chaque 17 octobre.
Avec la reconnaissance de l'indépendance dans des conditions humiliantes pour notre dignité de peuple et notre souveraineté nationale, à partir de 1836, un vent naturaliste souffla sur le pays. On réclamait à tort et à travers la protection du commerce national, de l'industrie nationale, l'enseignement de l'histoire et de la géographie d'Haïti, et une littérature originale, ancrée dans les moeurs et les traditions du pays haïtien.
L'histoire fait une autre route et Lysius Salomon organisa le 17 octobre 1842 une cérémonie funéraire aux Cayes en l'honneur de Dessalines et, dans un vibrant discours, retrace l'oeuvre de Dessalines comme nationalisme intransigeant et radical et comme patriote.
La lutte idéologique ne prit pas fin. Au cours de l'histoire, il devint un républicain, celui qui a fait de l'Etat la chose publique, un mauvais administrateur, un bloc, un socialisme avant la lettre, un libérateur.
Dessalines pose problème et toujours
Quant au simple citoyen, il attend une réponse. «Ki mò ki touye lanperè?» Après la mort de Dessalines, une chanson populaire avait pris position contre cette arrogance libérale, contre le mensonge de Pétion:
Nan Pont-Rouge sila
Lamò fè Dessalines doukouman
Konplo sila
Li fò pase wanga
Gade mizè moun
Gade traka peyi la
Peyi la chavire
Lanperè Dessalines ou se vanyan gason
Pa kite peyi a tonbe
Pa kite peyi gate
La mort de Dessalines est le fruit d'un complot. Les loas de Dessalines étaient trop faibles devant la force de ce complot qui a chaviré le pays. L'histoire dominée, celle des exclus, des marginaux de la culture et de la connaissance savante, celle de ceux ou de celles qui ne savent ni lire ni écrire nous invite à revisiter notre histoire nationale par ces mots qui sont restés dans la tradition historique de notre communauté : «depi lanmò Dessalines, peyi a chanje».
Un professeur d'histoire, Gracia Isidor, donnant la main à cette tradition disait déjà : le 17 octobre 1803, c'est le 9 thermidor haïtien. C'est la fin et la liquidation de la révolution et ce, surtout à l'occasion de la globalisation et de la mondialisation libérales et de l'occupation de notre territoire par des forces non haïtiennes et non nationales au nom de la liberté et de la démocratie.
Roger Petit-Frère
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