Culture & Société
Prostituée malgré elle.
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- Catégorie : culture & societe
- Publié le mercredi 29 août 2012 16:24
En 1993, quand je suis arrivé à Port-au-Prince, j’avais 13 ans. C’était ma première année en secondaire. J’incarnais le parfait petit paysan en ville, étonné par le nombre de personnes qui déambulaient dans les rues, prêt a crever d’une crise cardiaque a chaque fois qu’un klaxon retentissait.
Au bout de trois mois, je parlais déjà comme les citadins, j’avais même perdu mes habitudes d’antan. A mon réveil, je ne prenais plus ma tasse de café, mais me rassasiais de céréales crispes (corn flakes), adieu le « doukounou », «l’aka 100», je tombais sous le charme du spaghetti au salami… plus de « lago kache », je rêvais de console de jeux électroniques (Sega, Nintendo).
Si mon quotidien avait altéré, mon cœur était resté humain. Je pouvais m’en rendre compte a travers mes nuis en larmes. Dans mon lit, je pleurais le sort des mendiants, de mes amis d’enfance, qui demeurés dans l’arrière-pays, n’auront jamais la chance de passer en secondaire. Je pleurais aussi et surtout la situation de Mamoune, un condisciple qui gémissait toujours de douleurs et qui dormait presque tous les jours durant les cours.
Je n’ai pas vu passer trois années, mais le temps suivait son petit bonhomme de chemin. J’admirais dans le silence l’intelligence de Mamoune, qui, en dépit du fait qu’elle suivait à peine les cours passaient ses examens avec brio.
Mes meilleurs amis, Gino et Marco décidèrent de faire de la date de mon anniversaire de naissance, un jour mémorable et j’ai eu le feu vert de mes parents pour sortir m’amuser sainement et rentrer avant minuit.
Il est 18 heures, une Honda Civic s’arrête devant la maison, Gino est au volant, l’heure a sonné, on va s’éclater. Comme un clown ou un arc-en-ciel, vous en jugerez par vous-mêmes, je défile dans un jeans « bin bin » jaune, des converses verts et mauves et un maillot multicolores. Au bout d’une heure et demie, on a fait le tour de quatre restaurants dansants. Pour clôturer la soirée, mes compères décidèrent de me dévoiler mon cadeau d’anniversaire : une partie de plaisir avec une prostituée!
J’ai senti le ciel me tomber dessus, j’avais tous les maux du monde, je suais sans arrêt. Je ne sais trop ce que j’éprouvais réellement, car j’avais à la fois chaud et froid. Je pensais au « plaisir sain » mentionné par mes parents, mon envie de gouter aux délices sexuels, mais j’avais peur, très peur, j’étais puceau. Je n’ai pas eu le temps de rechigner, voire résister, la voiture était déjà en route pour la rue Lamarre, véritable ruche de prostituées.
Ma tête tournait comme un satellite, je regardais défiler des dizaines de perles créoles en mini-jupes. En un clin d’œil, Marco, un habitué de la rue avait déjà négocié 75 gourdes pour trois filles de joie. Entassés comme des sardines dans la Civic, Gino nous conduisait a un endroit qui lui était assez familier, un terrain vide, a Juvénat.
Je m’apprêtais a entamer la conversation, question de lier connaissance quand j’ai vu Gino disparaitre avec l’une d’entre-elles dans les bois et Marco appuyer une deuxième sur le coffre de la voiture, question de la pénétrer. J’étais resté seul sur le siège arrière avec la plus jeune, mais aussi la plus belle, en dépit du fait que sa beauté fut en partie, cachée par une perruque et des lunettes de soleil. Visiblement embarrassé, la jeune femme, probablement habituée a ce genre de situations, me vint en aide en ces termes :
- Tu attends quoi pour me sauter mon beau Richard?
- Tu me connais?
- Bien sur, je suis Mamoune, on se côtoie tous les jours en salle de clase.
- Non, mais Mamoune, tu ne peux être une pute?
- Si je le peux mon Richard. Il n’est pas permis a tout le monde d’avoir des parents pour payer leur écolage, les nourrir a leur faim, subvenir a leurs besoins. Je bosse Richard. Au moins, tu comprendras pourquoi je dors et souffre autant en salle de classe…
Elle a continué son discours, m’a tout raconté, j’ai perdu l’usage de la parole, quand elle m’a avoué que pour réussir ses examens, elle baisait avec le directeur de l’école, qui est au courant de sa situation, son acerbe réalité. Elle était plus que belle, mais je ne l’ai pas touchée, je lui ai fait la promesse de garder cette histoire secrète et ne pas dévoiler son identité a mes amis, nos condisciples. La célébration de mes 16 ans, a été plus mémorable que je ne l’aurais jamais imaginée. L’année scolaire terminée, je n’ai plus jamais revu Mamoune et comme promis, j’ai enseveli cette page de ma vie dans les abimes de mon âme.
En 2003, j’étais étudiant finissant a la faculté d’Ethnologie et un ardent défenseur des droits civils. Mes déclarations aux micros de la presse soulevaient les masses populaires et portaient de graves préjudices a certaines autorités établies, qui rêvaient de me réduire au silence.
Le 26 mai, je sortais de la faculté, quand j’ai été agressé par quatre individus armés, a la rue Clerveaux. J’étais impuissant face a ces hommes, décidés a m’envoyer vers le père. Je comptais les secondes, quand une bonne fée vint a mon secours, c’était la belle Mamoune!
La petite pute de 16 ans était devenue femme, elle octroyait du plaisir a des hauts gradés de la police, qui en retour avaient fait d’elle une informatrice, une infiltrée de leurs services. Elle m’a sauvé de mes bourreaux. Pour s’assurer de ma sécurité, elle m’a hébergé chez elle pendant une semaine, le temps que je récupère de mes maux, car j’ai été malmené.
Le 12 juin 2004, j’ai laissé le pays pour le Mexique, ou je réside encore. Quelques mois plus tard, Mamoune m’y a rejoint. En Septembre 2012, elle décroche sa licence en Médecine. Pucelle ou putain, je l’aime, elle m’aime et nous souhaitons vieillir ensemble.
Texte : Richarson Dorvil
Source: Culture509