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Economie

Investissements directs étrangers : la difficile équation haïtienne

Le respect des droits de propriété est le fondement même du système capitaliste, de la libre entreprise, du développement économique tel qu’on le connaît aujourd’hui.  La sécurisation des droits de propriété est un choix de politique publique des pays qui désirent stimuler les investissements et connaître une croissance durable. C’est le principal facteur à l’origine des trajectoires divergentes de croissance économique entre la Corée du Nord et la Corée du Sud entre 1950 et 1980 selon Glaeser et al (2004). D’un niveau comparable en 1950, la Corée du Sud a clairement choisi de renforcer les droits de propriété, ce qui a permis au pays de croître rapidement et d’atteindre un niveau de revenu per capita de 1589 USD en 1980 alors que son voisin du nord qui n’a pas adopté les mêmes mesures se retrouvait avec un revenu per capita de 768 USD (ibidem). Les pays qui progressent ont un commun la sécurisation des droits de propriété de l’individu. Les théories économiques et les faits empiriques l’attestent.  La forte croissance économique de la Chine[vii]  est attribuable à la protection et au respect des droits de propriété au niveau régional, ce qui a favorisé les investissements étrangers. Le développement de cette culture de respect des droits de propriété dans une société est profitable aussi bien aux entrepreneurs locaux qu’aux investisseurs étrangers. Par exemple, les entrepreneurs locaux peuvent utiliser plus facilement leurs actifs fonciers-immobiliers comme cautionnement lors d’un prêt bancaire, et de leur côté les investisseurs étrangers voient un moindre risque d’expropriation par des acteurs du pouvoir local ainsi qu’un moindre risque de destruction de leurs biens par la  population.

Il est vain de feindre l’étonnement en apprenant qu’Haïti est présentée comme le pays le plus risqué de la  Caraïbe (également sur tout le continent américain)  aux investisseurs internationaux. Dans l’ « International country risk guide », sur 140 pays, Haïti occupe la peu enviable 138e place en 2011 devançant le Zimbabwe (139e) et la Somalie (140e). La part du risque politique est considérable dans la notation d’Haïti (41/100), le risque économique est très élevé aussi (20,5 /50) alors que le risque financier est faible (35,5/50). Le poids du risque politique est le double de celui des deux autres types de risque, ce qui indique que les investisseurs internationaux accordent une plus grande importance au risque politique. On le sait, l’instabilité politique mêlée à l’incertitude de l’environnement socioéconomique haïtien est son pire ennemi.  L’instabilité politique d’Haïti fait augmenter sa vulnérabilité économique.  Alors même que son niveau de risque politique actuel est très élevé, les prévisions ne sont guère meilleures au cours des prochaines années. Haïti arrivera-t-elle à faire mentir tous les mauvais pronostics, tous ces pessimistes ?

L’évaluation du risque politique par l’ICRG est beaucoup plus large et dépasse les luttes partisanes en vue de contrôler le pouvoir politique ou les multiples affrontements entre l’exécutif et le législatif. Le risque politique de l’ICRG inclut une douzaine d’indicateurs dont la stabilité gouvernementale, les conditions socioéconomiques, le profil d’investissement, le respect de la loi (loi et ordre) ainsi que la corruption (tableau 3). Avec son profil d’investissement, Haïti ne récolte que 4/12. En comparaison, la République dominicaine obtient 9,5/12, la même note est accordée à la Jamaïque et 10 au Panama. Le meilleur score de la région revient à Trinidad & Tobago qui fait 11,5 ex aequo avec le Canada.

Le profil d’investissement est défini par trois autres variables : expropriation-viabilité des contrats, rapatriement des profits et délai de paiement. Même si Haïti ne fait pas partie des pays ayant le plus fort risque d’expropriation dans le classement de l’ICRG, il n’en demeure pas moins que le pays possède un système de protection de propriété faible avec un score de 2/4.  Le classement de l’« Index of Economic Freedom – IEF » est plus sévère au sujet de la protection des droits de propriété,  Haïti obtient  seulement 10/100. Cette note dans le langage des évaluateurs de l’IEF correspond à ces observations : « La propriété privée est rarement protégée. Le pays est dans un tel chaos que la protection des propriétés privées est presqu’impossible à renforcer. Le système judiciaire est si corrompu que la propriété ne peut être protégée dans la réalité. L’expropriation est fréquente. » [Ma traduction] (voir la méthodologie sur le site : http://www.heritage.org/index/book/methodology).  L’IEF poursuit : « la protection des droits de propriété est sévèrement compromise par une faible application de la loi, la désuétude des lois commerciales, le dysfonctionnement du système judiciaire. La plupart des disputes commerciales se règlent en dehors du système judiciaire, voire pas du tout. Et même en cas dispute par devant une cour de justice, la corruption très répandue permet à un individu d’acheter un verdict en sa faveur. La contrebande est un problème majeur et fournit une bonne partie des biens manufacturés consommés dans le pays. [i] »  [Ma traduction].  C’est en ces termes que l’« Index of Economic Freedom » co-publié par le « Wall Street Journal » présente le respect des droits de propriété en Haïti aux investisseurs étrangers, notamment les investisseurs américains.

La perception de la corruption en Haïti est un autre handicap sérieux contribuant au mauvais classement global de l’environnement d’affaires du pays. Comme on s’y attendait les notes d’Haïti sont très faibles à propos du degré de corruption : 1/6 par l’ICRG et 22/100 par l’IEF.  La corruption introduit une distorsion dans le fonctionnement de l’économie et constitue une menace sérieuse selon les investisseurs étrangers dans le sens que ce ne sont pas nécessairement les meilleurs projets qui obtiennent l’aval des autorités, mais plutôt ceux qui donnent lieu à de plus grandes commissions aux décideurs nationaux. La multiplication des pots-de-vin à distribuer sous différentes formes rend plus coûteux un projet, ce qui complique une  gestion efficiente.  La corruption est aussi une grande source d’incertitude pour les investisseurs internationaux qui peuvent craindre à tout moment des manÅ“uvres visant à changer les règles du jeu à leur détriment. Plus que tout, les investisseurs étrangers redoutent un  soulèvement populaire ou un chambardement du régime en place devant un niveau de corruption ‘’anormalement’’ trop élevé. On sait aussi que la corruption pervertit tous les rapports sociaux, les plus compétents n’accèdent pas souvent aux postes de décision et de pouvoir, l’obligation de résultats et la bonne gouvernance ne sont pas une priorité chez les dirigeants politiques qui peuvent compter sur la corruption dans le but d’accéder et de se maintenir au pouvoir. Plus la corruption est importante moins les lois sont appliquées, et vice-versa, ce qui fait croître l’incertitude dans le pays.

Cette manière de cibler l’endémique corruption au pays –institutionnalisée par la dictature des Duvalier--, n’est pas une description élogieuse des mÅ“urs haïtiennes.  Il est évident que les 10 millions d’Haïtiens ne peuvent tous être corrompus, mais les gros titres qui paraissent régulièrement dans les médias rapportent très souvent des faits de corruption. À notre décharge, chacun sait que la corruption existe partout et les histoires de grande corruption sont fréquentes dans les pays développés. Il n’y a jamais de petite corruption, toute forme de corruption est nocive. Et puis Haïti est-elle bien placée pour juger la corruption dans les pays développés quand elle vit de leur aide et attend désespérément leurs investisseurs ? On pourrait nous répondre gentiment que les institutions fonctionnent dans les pays développés, et quand la corruption est patente les auteurs sont punis par la loi et généralement emprisonnés. Même les plus puissants vont en prison quand ils se font prendre.  Se pose alors sérieusement le problème d’application des lois en Haïti. À ce chapitre, le pays n’enregistre pas non plus un meilleur score.  

L’application des lois est une variable importante qui peut freiner voire éradiquer les pratiques de corruption et conduire à plus de stabilité politique dans un pays. Ce n’est pas seulement la performance et l’indépendance du système judiciaire qui sont pointées du doigt mais aussi la relation des citoyens avec la loi. Quand la plupart des gens ont appris à ignorer la loi et que cela ne porte pas à conséquence, lorsqu’ils ne sont plus choqués par les scandales de violation des lois à répétition, quand la corruption est banalisée au plus haut niveau,  le chaos et la mal-gouvernance s’installent. Il devient plus laborieux de rétablir la primauté de la loi. La population est d’autant plus réticente à se conformer aux lois lorsqu’elle constate qu’un groupe de gens, protégés par le système, bénéficie de passe-droits en n’appliquant pas eux-mêmes les lois imposées aux autres. Il n’est pas nécessaire ici de rappeler que la volatilité politique haïtienne vient aussi du refus d’appliquer dans son intégralité la Constitution de 1987, de respecter les échéances électorales tel que prévu par la loi, de réaliser des élections « potables » selon la majorité des Haïtiens ou « acceptables » selon la communauté internationale, sans contestations massives, sans interventions étrangères.

Cela peut paraître accablant d’exposer ce tableau peu glorieux d’Haïti, mais ce n’est qu’une toute petite partie du sombre tableau. Il ne s’agit pas non plus de reprendre les messages négatifs à propos d’Haïti, il s’agit plutôt de montrer de manière objective les prismes à travers lesquels les investisseurs étrangers examinent le pays. C’est à dessein que les guides publiés par les groupes d’assurance-risque, tel que le Coface Group, sont exclus de cette analyse car leurs évaluations sont beaucoup plus pessimistes, influencées par leur nature très frileuse au risque. Néanmoins, il est important de comprendre comment ces deux guides, l’ICRG et l’IEF, largement consultés, influencent la lecture des investisseurs internationaux de la réalité haïtienne. Haïti ne décroche pas uniquement que les dernières places, toutefois elle échoue dans certains critères incontournables aux yeux des investisseurs.            

Nous donnons une liste non-exhaustive des sources de données combinées dans la préparation des deux guides l’«International Country Risk Guide » et l’«Index of Economic Freedom». On peut citer : Economist Intelligence Unit, la Banque mondiale (incluant le rapport ‘’Doing Business’’), le Fonds monétaire international, Transparency International, le Département du commerce américain, les agences et ambassades étrangères en Haïti, les publications officielles du gouvernement haïtien, les leaders locaux, les banques régionales et internationales, les magazines spécialisés. L’actualité haïtienne est également scrutée à la loupe à travers les publications et reportages des médias haïtiens et étrangers.   Aucune source d’information n’est négligée y compris les investisseurs internationaux eux-mêmes.

À la question ‘’qui sont les clients du International Country Risk Guide ’’, un responsable du PRC Group nous a fourni à des fins de recherche une liste partielle de grandes corporations internationales. Parmi les clients on retrouve de très grandes entreprises, des banques et sociétés d’investissement internationales sur tous les continents, des groupes privés de financement, des firmes-conseils en investissement, des laboratoires de recherche, des compagnies pharmaceutiques,  des équipementiers, etc.

1.3  Stratégie  des investissements directs étrangers en Haïti