À l’instar du corps humain, l’existence et le bon fonctionnement d’un État se constatent à travers des signaux concrets : des signes de vie. Pourtant l’exercice de la souveraineté, fonction essentielle de l’État, devient une vaine attribution quand la faiblesse et l’incapacité – qu’elles soient d’ordre économique ou politique – entachent les actions étatiques. À ce moment, les ONG s’imposent comme le grand remède des États en détresse, comme une vitamine indispensable à un corps au bord du trépas. On comprendra donc pourquoi Haïti fait partie des pays qui remportent la palme en termes de nombre d’ONG présentes.
Il apparaît aujourd’hui comme une vérité absolue que l’État haïtien a failli. On ne semble plus devoir en débattre, si ce n’est pour dégager les pistes du redressement. Les rapports nationaux et internationaux ont maintes fois constaté ou critiqué ce déclin de l’État, qui justifie la présence de ces nombreuses organisations paraétatiques. Le dernier classement des pays en faillite fait par le Magazine Foreing Policy, le 18 juin dernier, n’a étonné personne. Haïti occupe, sans surprise, la 7e place sur une liste de 59 « États en faillite » ; les premières places étant occupées par des pays africains, tels le Zimbabwe la République démocratique du Congo.
Les services publics comme signe de vie
Comme en attestent les critères retenus dans ce classement, l’accès aux services publics de base est l’une des manifestations de la bonne santé de l’État. Le Premier ministre Laurent Lamothe, dans sa déclaration de politique générale, a reconnu que les services publics de base sont disponibles sur seulement 31 % du territoire. L’accès aux soins de santé n’est pas garanti dans les milieux urbains, encore moins dans les endroits reculés. Des efforts sont actuellement consentis au niveau du ministère de la Justice pour améliorer l’accès aux services publics de la justice et de la sécurité publique. Mais ces projets, faute de moyens, tardent encore à devenir une réalité. Certaines zones ne disposent toujours pas des trois services publics de base de la justice : un sous-commissariat, un tribunal de paix et un officier d’état civil.
L’éducation est heureusement devenue une priorité gouvernementale. Au-delà des chiffres exorbitants annoncés pour louer le programme d’éducation gratuite, le pouvoir actuel peut au moins se réjouir d’avoir replacé l’éducation au centre des débats. Mais l’éducation est encore refusée à des milliers d’enfants haïtiens. Parallèlement, les services d’identification et d’état civil sont prônés aujourd’hui par un organisme international, l’Organisation des États américains (OEA), qui se propose de rappeler à l’État haïtien l’obligation qui lui est faite de fournir des pièces d’identité à ses citoyens et citoyennes.
État faible ou affaibli ?
De l’avis de l’écrivain et analyste politique Himmler Rébu, « il n’y a pas un seul secteur où l’État haïtien n’est complètement affaibli ». Pour lui, l’empire des ONG est savamment institué par ceux-là même qui ont contribué à affaiblir l’État. « Les ONG sont là pour alimenter les sous- doués du système occidental et affaiblir l’État haïtien en piétinant l’idéal national », soutient le leader politique. La faiblesse de l’État haïtien, estime-t-il, fait l’affaire de ces intervenants externes qui trouvent, à travers les ONG, « un moyen sûr de récupérer les valeurs octroyées au titre de l’aide ».
De l’avis de Himmler Rébu, le déclin de l’État haïtien a commencé avec le coup d’État contre le président Dumarsais Estimé, le 10 mai 1950. « Après avoir fini de payer la dette, le président Estimé a entrepris la plus grande opération d’ouverture économique dans la Caraïbe. Haïti était devenue la plaque tournante des grands du Showbiz international », rappelle Rébu. L’essor économique du pays et l’autonomie financière qu’il acquerrait de plus en plus avait dérangé ceux-là que Monsieur Rébu appellent « les gens qui détestent Haïti ». Ces derniers ont, de l’avis de l’ancien colonel, inoculé à Haïti le virus de la dépendance jusqu’à la soumettre définitivement à la seule volonté de l’international. Ce processus d’affaiblissement vieux de plus d’un demi-siècle connaît aujourd’hui son plus inquiétant paroxysme.
Toute tentative visant un redressement effectif de l’État haïtien risque de se heurter à des hostilités diverses. Mais le colonel Rébu croit qu’il faudrait une révolution qui, entre autres retombées, permettrait aux Haïtiens de se placer à la tête de l’État. Si Haïti s’est mise en berne en étant dirigée par des Haïtiens, c’est aussi avec eux, et n
on par des ONG, qu’elle doit reprendre son cap et se hisser à la hauteur de son histoire.
Source: Le Matin
Eddy Laguerre
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