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Les programmes roses : entre propagande et jeu sérieux
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- Publié le mardi 24 juillet 2012 17:25
Ti manman cheri, carte rose, crédit rose aux femmes, aba grangou, katye pa m poze, banm limyè banm lavi, le gouvernement Martelly-Lamothe veut nous faire voir la vie en rose. Des programmes élaborés en vue de venir en aide à une population pataugeant dans une misère noire lui faisant voir de toutes les couleurs. Non encore évalués, ils suscitent cependant maintes interrogations.
56% de la population haïtienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Avec moins d’un dollar américain par personne et par jour, des groupes comme les gens des quartiers populaires et des bidonvilles, les femmes élevant seules plusieurs enfants, peinent à survivre. Marginalisées, ces couches ne peuvent qu’attendre une solution émanant de l’État.
En général, commente l’économiste Frédéric Gérald Chéry, l’État, dans les sociétés modernes, entreprend la politique de l’emploi. Du même coup, il a pour obligation de prendre en charge les démunis les laissés pour compte c'est-à -dire les handicapés, les illettrés en les orientant vers un métier.
En Haïti, la politique de l’emploi peut être envisagée, mais, avant tout, croit M. Chéry, l’État se doit de dynamiser l’agriculture, créer des usines à transformer les produits agricoles en produits finis prêts à l’exportation. Dans le cas contraire, il aura à entreprendre, à n’en plus finir, des programmes d’apaisement social sans pour autant enrayer la misère. Ti manman cheri a été lancé le 27 mai en vue de promouvoir la politique scolaire en accompagnant économiquement les mères. En effet, chacune d’elles reçoit une contribution de 400, 600 ou 800 gourdes afin de répondre aux exigences scolaires de leurs enfants. Ce qui revient à environ 13, 20 et 26 gourdes par jour.
Moins d’un dollar par jour reçoivent les familles. Combien de membres comptent ces familles ? Que possèdent- elles déjà ? s’interroge un économiste qui aimerait savoir si l’État tient compte de tous ces paramètres avant le lancement de ces projets sociaux. Les interrogations pourraient se porter aussi sur l’implication du programme national de cantine scolaire (PNCS) dans la mise en œuvre de cette politique. La carte rose d’assurance santé destinée aux travailleurs et à leurs familles, c’est déjà quelque chose. Mais la population active reste minime par rapport à celle qui se retrouve au chômage. Certaines études évaluent cette dernière à environ 2/3 de la population totale. En réalité, 2000 bénéficiaires ont été visés lors du lancement des projets dans le but d’atteindre le plus de personnes possible. Quant à la lutte contre la faim avec «aba grangou », si le gouvernement clame que des distributions de nourriture sont effectuées, la populace crie encore famine. On doute encore des retombées positives de cette lutte contre la faim eu égard à la faiblesse de la production agricole nationale. Katye pa m poze, banm limyè ban m lavi sont d’autres rejetons de la lignée de projets du Gouvernement. Ils sont conçus, à en croire les responsables dans le souci d’améliorer les conditions d’existence de la population. En outre, ils devraient favoriser la participation citoyenne. D’aucuns n’y voient que de la propagande et n’en espèrent pas grand’ chose.
Propagande ?
La couleur rose associée à ces projets justifierait bien la thèse de la propagande. Dans pareil cas, les objectifs risqueraient de fondre dans des visées électorales. Ce qui ferait douter encore plus de leur viabilité. Le professeur Chéry reconnait une pointe de propagande dans ces programmes. Toutefois, il faut admettre qu’ils sont bel et bien en application, ajoute t-il.
Selon lui, le Gouvernement entend établir un lien entre l’État et les populations abandonnées qui doivent être une priorité dans la gestion du pouvoir. Il trouve que ces programmes s’opèrent de manière plutôt formelle comparativement aux gouvernements antérieurs qui assuraient une « redistribution » de « richesse » sur une base de violence par le biais des groupes armés. Ce procédé pourrait contribuer à créer un environnement propice à l’investissement. Il rappelle, néanmoins, que le gouvernement Martelly-Lamothe ne peut s’enorgueillir d’être le seul à entreprendre des actions sociales dans le pays.
Faisabilité ?
En même temps, il problématise la faisabilité de ces politiques à moyen et long terme. Déjà , fait-il remarquer, ils précèdent le développement économique. Investir dans le social a un coût. Dans le cas d’Haïti, le fonds Pétrocaribe est l’une des sources de financement. Or, il faudra le rembourser tandis que les débours pour les œuvres sociales ne sont pas rentables. Il y a lieu d’étudier leur impact sur l’économie, dit-il, en évaluant leur poids cumulé par rapport au produit intérieur brut (PIB).
L’économiste mexicaine, Alicia Ziccardi, dans ses réflexions sur la pauvreté urbaine et les politiques sociales en Amérique latine déplorait que « les politiques sociales en tant que formes d’action publique par lesquelles les gouvernements entendent répondre à des questions sociales complexes, font désormais figure de priorité par rapport aux autres politiques publiques ».
Frédéric Gérald Chéry recommande au gouvernement d’investir dans les structures favorables au développement économique. Il prône la formation et l’intégration d’un personnel technique dans l’économie. « Recentrer l’idéologie autour de l’ouvrier et du salariat » est pour lui une démarche salutaire.
Aline Sainsoivil
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Source Le Matin