Par Thomas Péralte - La déclaration du Sénateur Moïse Jean-Charles cette semaine appelant l'ambassadeur du Venezuela en Haïti "persona non grata" a été malheureuse et diplomatiquement maladroite, pour dire le moins. Elle a remis sur un plateau d'argent à l'équipe cynique de Martelly une occasion de rappeler à l'ordre leur plus féroce critique, marquant un point sur lui et jetant le discrédit sur ses nombreuses accusations de corruption du président, dont la plupart restent à prouver, malgré les comptes concordants provenant d'autres sources, y compris les révélations spectaculaires et crédibles de la journaliste dominicaine Nuria Piera, que le Senateur Félix Bautista aurait acheminé environ 2,6 millions de dollars à Martelly & Co.
Le gouvernement de Martelly, dont l'amitié avec le Venezuela est fondée uniquement sur l'opportunisme, peut prendre maintenant la posture de défenseur de la République révolutionnaire bolivarienne, brouillant davantage une eau politique déjà boueuse. Il n'y a absolument aucun argument que l'on puisse apporter à la déclaration du 19 Juin de l'exécutif à savoir que «le Gouvernement de la République rappelle que le Sénateur en question n'a nullement le droit ni l'autorité de déclarer “ personna non grata ” un diplomate représentant les intérêts d'un État ami, et que de telles prérogatives n'incombent qu'à l'Exécutif, conformément aux lois réglementant la matière.” Le gouvernement est aussi pleinement justifié à « réprouver et condamner fermement de telles déclarations, qui visent sans aucun doute, à nuire à l'harmonie des relations haitiano-vénézuéliennes dont les retombées positives pour le peuple haïtien ne sont plus à démontrer. »
Bien que nous ayons souvent applaudi le courage du sénateur et son franc-parler en dénonçant la corruption, la répression et la fraude de Martelly, le sénateur Moïse ne semble pas comprendre que critiquer l'Ambassadeur d'une nation revient à critiquer l'État lui-même.
Bien que le sénateur Moïse ait dit à Haïti Liberté qu'il détient le Venezuela révolutionnaire dans la plus haute estime et que son problème ne concerne que l'Ambassadeur personnellement, cela révèle un manque terrible de compréhension de l'ABC de la diplomatie.
Si le sénateur Moïse a la preuve que le gouvernement de Martelly a pris de l'argent des fonds de Petrocaribe pour financer ses projets démagogiques de lutte contre la pauvreté ainsi que l'embryon de l’armée proto-Macoute, et que l'Ambassadeur est conscient de ce siphonnage illégal, alors il devrait essayer de soulever la question directement et discrètement avec le gouvernement vénézuélien.
Il est également possible que le sénateur Moïse ait été mal informé sur le siphonnage lui-même ou que l'ambassadeur n’en ait pas du tout connaissance, auquel cas l’insouciance du parlementaire est d'autant plus impardonnable.
Au-delà de cette gaffe diplomatique, cet épisode révèle une fois de plus la nécessité urgente de développer une «organisation de combat», cohérente et disciplinée, de préférence un parti, pour défendre les droits et les intérêts du peuple. Le Sénateur Moïse Jean-Charles a mené la plupart du temps ses croisades comme un chevalier solitaire qui n'est pas en mesure de vraiment livrer bataille.
Le sénateur Moïse devrait fonctionner de concert avec ou dans le cadre d'une organisation de camarades avec des vues similaires autour de lui. Dans un tel cas, il aurait pu en effet soulever l'idée de dénoncer l'ambassadeur du Venezuela, mais des collègues plus lucides lui auraient fait remarquer la folle légèreté d'un telle démarche.
Pour être sûr, ce faux pas du sénateur Moïse ne peut freiner en aucun cas la prise de conscience croissante des masses d'Haïti que les promesses de Martelly sont presque entièrement basées sur le bluff avec des aspersions d'apaisement: une moto ici, une bourse d'études là-bas.
Ce qu'il nous faut avant tout, c'est une organisation qui peut rassembler nos forces nombreuses - des militants, des avocats, des médecins, des étudiants, des ouvriers, des paysans, et, oui, même des journalistes à enquêter et découvrir la vérité, apporter la preuve de la corruption et des crimes, ainsi que la stratégie et la tactique appropriées et efficaces pour mener un changement politique.
Faute de cela, l’on ne se retrouve qu’avec des “lone rangers,” qui tirent de la hanche, avec des balles qui finiront par s'égarer et atteindre la mauvaise cible
Source: Haiti-Liberte