Elles sont tournées en boucle ces images de rivières en crue, d'inondations, de plantations dévastées, de familles ensevelies sous la boue. Comme toujours, elles sont suivies sur le petit écran de celles d'un président « bon papa », d'une première dame « sensible », d'un Premier ministre ou de ses affidés distribuant des kits d'hygiène, de l'eau, des biscuits... à des populations dépourvues. Même du si peu de dignité, d'humanité qui leur reste en recevant de l'aide, pressées comme des sardines dans de longues files d'attente.
Les pieds dans l'eau, l'estomac dans les talons, ces citoyens ont toujours la mine du catastrophé ayant reçu le ciel sur la tête. Ou celle du chien enragé, décidé de survivre envers et contre tous. Rien de nouveau sous nos cieux. Haïti, sur la route des cyclones, n'est pas à sa première mésaventure en saison cyclonique. De Hazel en 1954 à Sandy en 2012, les Haïtiens en ont vu de toutes les couleurs. Des couleurs de plus en plus sombres en 50 ans, car, avec Jeanne en 2004, un tournant a été marqué. On a vu que des milliers de personnes pouvaient mourir noyées quand l'eau de pluie dévale nos bassins versants quasi dénudés pour inonder nos villes.
Emu, le pays a pleuré ses morts. Inspirés, des artistes ont chanté le drame des valeureux Gonaïviens. Des poètes, magiciens du verbe, ont trouvé des « mots d'âmes ». Mais ils n'ont pas pu inventer le supplément d'âme susceptible de booster la conscience citoyenne, forger dans l'acier du bien-faire au nom du bien commun la volonté politique indispensable pour prendre à bras-le-corps la problématique de la dégradation de l'environnement. Comment ? Les instruments techniques et scientifiques d'une telle campagne sont à affiner ! Et pour cause ! A quand le plan d'aménagement du territoire digne de ce nom ? On y travaille ! A quand la mise en place d'une réelle politique énergétique ? On vous dira qu'elle existe. En théorie, on vous émerveillera sur ce qu'il faut faire pour ordonner, rationaliser l'exploitation des ressources ligneuses sans mettre le charbonnier au chômage. Sur le papier, la stratégie pour protéger les aires protégées existe.
Cependant, les parcs La Visite dans le Sud-Est et l'Ouest, Macaya dans le Sud et la Grand'Anse ont atteint le niveau critique de dévastation. Le seuil qui nécessite des interventions d'urgence et non les promesses d'un perroquet ressassant une seule lettre : « E ». « E » peut être l'environnement qu'il faut réhabiliter. Pour cela, il faut la vision, la volonté politique, l'engagement citoyen et les ressources financières. Et non 0,67 % du budget alloué au ministère de l'Environnement, soit 240 668 156 gourdes dont 167 490 175 gourdes affectées au paiement du personnel. « E » peut être erreur. Celle du président Michel Joseph Martelly dont le savoir-faire n'est hélas pas égal à sa bonne volonté. Cette bonne volonté, en bout de piste, sera questionnée et questionnable quand on accepte d'investir des dizaines de millions de dollars pour « donner la lumière à des populations » avec des lampadaires solaires. Utiles mais sans lendemain, sans grand impact sur la production économique.
Dans nos mornes, ces millions auraient un impact dans l'économie rurale. Ils pourraient renforcer des coopératives caféières dans le Sud-Est. Ils pourraient aider l'agriculteur, appauvri par tous les chocs depuis la mort de l'empereur Dessalines, à sortir du cercle vicieux de subsistance pour entrer dans un cercle vertueux de production. Les modèles ne manquent pas à travers le monde. Ce qui nous manque en revanche, c'est le temps. Celui gaspillé dans l'improvisation alors que la production agricole diminue à cause de la perte de millions de mètres cubes de sol arable. Celui gaspillé alors que la population a une croissance soutenue. On s'en balance ? Peut-être. Peut-être pas après le voyage de certains de nos chefs au Brésil lors du sommet Rio +20.
Seule certitude, Haïti est logée pour un bon bout de temps à l'enseigne de la catastrophe. TNH, CNN ou Facebook ne manqueront pas de nous gaver d'images d'horreur, comme celles de cette mère ensevelie avec ses quatre enfants. On n'en finira pas de faire les frais de nos erreurs et manquements. En clair, de voir les conséquences de nos inconséquences, dirait un ancien écolo grincheux, à cause de l'échec du militantisme vert en Haïti...
Roberson Alphonse
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Source: Le Nouvelliste