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Haïti, le tombeau de l'humanitaire ?

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Films, documentaires et témoignages qui présentent la face cachée de l'aide humanitaire en Haïti se multiplient. La dernière réalisation en date est un documentaire intitulé « Charity Business, les dérives de l'humanitaire » diffusé en France dans l'émission Spécial Investigation sur Canal plus. Des révélations de nature à susciter des interrogations sur le travail des institutions humanitaires.

C'est le réalisateur haïtien Raoul Peck qui, le premier, a tiré la sonnette d'alarme en présentant un tableau sombre de l'intervention humanitaire en Haïti après le tremblement de terre dans son film Assistance mortelle. Diffusé en Haïti et sur plusieurs chaînes étrangères, Assistance mortelle a su montrer en partie les dessous de l'intervention des grandes institutions humanitaires en Haïti.

La journaliste française Sophie Bonnet, poussée visiblement par la même curiosité que Peck, tente elle aussi de percer les mystères qui entourent la grosse machine humanitaire dans le contexte post séisme en Haïti. Sophie Bonnet est partie de plusieurs autres cas à l'échelle mondiale pour mettre au grand jour la face cachée de ce qu'elle a rebaptisé le business humanitaire, avant de clore avec l'exemple haïtien. L'après-12 janvier 2010 est en effet un cas unique en matière d'intervention humanitaire, tant par la taille de l'aide que par l'intérêt que les organisations internationales ont accordé à la nation antillaise durant cette période.

Dans son film diffusé dans l'émission Spécial Investigation le 24 juin sur Canal plus, il est révélé que des 6 milliards de dollars collectés pour l'aide d'urgence, 20% a été distribué aux organisations non gouvernementales (ONG) et 80% est allé aux grandes institutions internationales, comme l'ONU et la Commission européenne. En contrôlant à elles seules cette somme, loin d'aider les institutions nationales, ces organisations se comportent comme de vrais Etats dans l'Etat, comme le présente Sophie dans son documentaire.

Forte de son expérience et de sa persévérance, la journaliste d'enquête a pu avoir accès à d'influents diplomates et responsables humanitaires, recueillant des confidences qu'ils se gardent habituellement bien de faire... Dans son documentaire, on peut ainsi voir l'ambassadeur américain d'alors, Kenneth Merten, assumer le fait d'avoir déclaré que « c'est la ruée vers l'or en Haïti », quelques jours après le séisme. Une déclaration confidentielle figurant dans un câble de l'ambassadeur adressé à la Maison-Blanche et publié par le site Wikileaks. « Les entreprises viennent jusqu'ici pour vendre leurs concepts, leurs produits, leurs services; toutes les sociétés sont en concurrence pour avoir l'oreille du président haïtien, c'est une véritable mêlée générale », avait écrit M. Merten.

« Aux Etats-Unis, nous allons dépenser près de 3 milliards de dollars, j'imagine que l'Union européenne a un chiffre même plus grand que cela et il y a des gens qui vont en profiter, c'est clair, c'est toujours le cas », a expliqué l'ambassadeur à la journaliste. A la question « est-ce que la catastrophe peut être une occasion d'affaires? », on voit l'ambassadeur Merten répondre positivement et assumer le fait d'avoir évoqué des possibilités d'affaires en Haïti peu après le tremblement de terre.

Entre autres témoignages accablants, le documentaire présente celui d'un haut fonctionnaire d'une agence onusienne qui a confié que : « Vraiment en 2010-2011, le pays était saturé d'argent dans le sens qu'il était impossible de dépenser beaucoup plus. Tous mes collègues ici travaillaient 24h sur 24 pour essayer de dépenser de l'argent et personne n'a été capable de dépenser le budget complet. » Le fonctionnaire onusien a admis à la journaliste que les grandes institutions n'ont aucune vision à long terme pour le développement. « Vous ne pouvez pas savoir la pression qu'on a pour faire de beaux panneaux et des photos. J'ai une mission la semaine prochaine, c'est la seule chose qui les intéresse. Tout le monde est content, on donne de petites voitures, on donne de petits ordinateurs, des choses visibles, faciles à donner, faciles à remettre, et tout le monde oublie que le développement ne se passe pas de cette façon-là. Ce n'est pas juste les ONG, c'est tout le monde », a reconnu le fonctionnaire sous couvert de l'anonymat.

Loin des images habituelles faisant l'éloge de leurs réalisations, on peut voir les maigres évolutions enregistrées sur le terrain en dépit d'énormes dépenses. Des exemples de la mauvaise utilisation de l'argent sont montrés. Selon la journaliste, seulement le tiers des déplacés ont été relogés grâce à l'aide humanitaire, parfois sans notable amélioration des conditions de vie. Ainsi, des familles qui occupaient de simples tentes sur des places publiques ont été réinstallées dans des maisonnettes de 30 mètres carrés du quartier de Ravine Pintade, une zone d'habitat précaire à la merci des inondations et des éboulements. Chaque maison, qui a coûté 10 000 dollars l'unité au gouvernement américain, aurait très bien pu être construite, à meilleur coût, par les Haïtiens eux-mêmes, tout en convenant mieux à leurs besoins.
Après environ trois ans d'intervention internationale, la porte-parole de l'ONU, Elisabeth Byrs, n'était pas en mesure d'indiquer, même approximativement, le nombre de ces maisonnettes construites en Haïti. Encore moins d'expliquer pourquoi ces maisons transitoires coûtaient le même prix qu'une maison permanente.

Après chaque catastrophe, ces entreprises humanitaires se bousculent pour diffuser des images suscitant la pitié, faisant évidemment appel à la générosité de tous. Le problème, c'est que, peu importe la catastrophe, le constat est le même : l'humanitaire n'apporte pas des résultats durables à ceux qui sont dans le besoin. Pour reprendre les mots de Sylvie Brunel, qui a travaillé dans l'humanitaire avant de claquer définitivement la porte, Haïti est le tombeau de l'humanitaire.

Source: Le Nouvelliste
Louis-Joseph Olivier
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