Culture & Société
Ma rencontre avec Thomas Desulmé: Le Rêve d’une Haïti Démocratique, Moderne et Prospère est Possible
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- Catégorie : culture & societe
- Publié le lundi 23 mars 2015 00:52
Par Paul Gustave Magloire --- Rattrapons le temps perdu: A la chute du régime de Duvalier mes amis au pays, principalement Joël Ducasse, m’avaient demandé de revenir pour continuer la lutte politique et aider à sortir le pays du bourbier où l’avait laissé 29 années de dictature duvaliérien.
C'était en septembre 1986. Joël Ducasse avait aménagé une rencontre avec Tom Désulmé. Tom était cette figure mythique qui avait eu un parcours extraordinaire sur le plan des affaires comme sur le plan politique et qui avait prouvé qu’on pouvait réussir sans tenir compte de son origine sociale. En plus, victime lui aussi de la dictature de Duvalier, il était un symbole de cette lutte contre l’oppression. Il n’avait jamais eu peur d’accompagner l’opposition contre les Duvalier sur le plan financier et même à envoyer des supports pour seconder notre combat quand c’était nécessaire. Donc, j’étais de ces jeunes militants qui pensaient que si ce pays devait se construire par le travail, un leader comme Tom devait faire l’affaire. Ainsi, je rencontrais Tom avec l’espoir qu’il serait le choix. Et, Joël avait fait de son mieux pour que cette rencontre soit entourée du mythe nécessaire. A mon arrivée à l’hôtel Villa Créole, j’avais trouvé mon ancien professeur, Rémy Zamor, qui attendait au salon, sans savoir que c’était moi qui était la personne que Tom devait rencontrer ce soir-là . Pourtant, il était déjà prévu que Professeur Zamor allait être le Secrétaire Général du Parti. Cela, c’est pour dire que Joël avait élaboré une grande mise en scène ; Ce genre de chose qu’on fait quand on a le sens qu’on est en train d’écrire l’histoire.
C’était cela, en fait. Autour de Tom, était rassemblé un groupe de professionnels, entrepreneurs et de militants, jeunes et des moins jeunes, ses anciens compagnons de parcours, qui parlaient des années 46, des espoirs et des déceptions. Mais, il était clair que Joël avait persuadé Tom de me faire rejoindre le groupe, car il manquait quelque chose à ce groupe, et je l’ai compris tout de suite. La rue avait renversé la dictature. Un gouvernement de facto formé de militaires de l’ancien régime était à la tête du pays. Ainsi, le pouvoir était encore dans les rues. Car le peuple y était encore, ne se reconnaissant pas dans ce gouvernement militaire, comme disait Evans Paul, à la pintade, le symbole de l’ancien régime.
Joël avait aménagé que je sois seul avec Tom. Dès le début de notre conversation, il me dit qu’il avait connu mon père à la chambre. Mais il n’était pas vraiment intéressé à mes origines sociales et politiques. Après ce que Joël lui avait dit de moi, il voulait savoir ce que je voulais faire pour m’assurer que ma génération prenne le pouvoir et change ce pays. Il voulait savoir si on voulait le faire seul ou si quelqu’un comme lui pouvait aider. Ce fut une très longue soirée. Tom écoutait énormément et attentivement. Comme il fermait les yeux pour écouter, je me demandais parfois s’il ne s’était pas endormi. Mais, il se redressait brusquement, de temps en temps, pour poser une question, et se remettait à écouter. A la fin, je pense que j’avais trop parlé. Je me demandais même si je n’avais pas révélé trop de choses sur les organisations qui luttaient pour un espace de liberté sur le terrain, et je me suis arrêté. Il semble que Tom avait compris. Il s’est redressé du fauteuil là où il était assis, prit un grand coup dans un ver de jus de Cranberry qui était à sa portée, et me dit en me regardant droit dans les yeux :
«Paul Gustave, l’angoisse d’aujourd’hui est identique à celle que nous avons vécue en ‘46. La grande différence, c’est que j’avais 33 ans comme toi, mais j’avais négocié pour représenter ma génération dans le gouvernement, en tant que Ministre de l’Intérieur. Aujourd’hui, vous et vos amis vous êtes de préférence dans les rues à protester. Pourtant, le pouvoir vous revient de droit, car vous êtes l'avenir de ce pays. Qu’est-ce que vous attendez pour le prendre en charge? Vous devez forcer ce gouvernement à aller aux élections, et prendre ce pouvoir par les urnes. C’est votre seule chance. Car si vous pensez prendre le pouvoir autrement, vous serez massacrés, et ce pays, une fois encore, perdra une grande opportunité de se développer. Ensuite, dans le contexte géopolitique actuel, les troupes étrangères seront déployées dans le pays, et y resteront pendant très longtemps. Aucun haïtien digne ne devrait souhaiter une telle solution. Il faut des élections, des élections...».
Je lui ai posé la question que je voulais lui poser, d’ailleurs, dès le commencement :
«Tom, est-ce que vous êtes candidat?»
Il m’a répondu très calmement:
«On ne peut pas se dire candidat tant qu’il n’y a pas d’élections. Mais s’il arrivait que les bases soient établies pour avoir des élections libres, honnêtes, et démocratiques, je vais revendiquer le pouvoir au nom des paysans et des ouvriers, qui ont été oubliés par la République, depuis 1804. Arrivé au pouvoir, il faudra mettre en place un programme de réparation sociale, afin que Ti-Joseph puisse aller à l’école, puisse avoir à manger chaque jour, et ne soit plus dans l’obligation d’aller faire ses besoins dans la nature. Nous n’allons pas prendre aux riches ceux qu’ils ont. Ce serait la guerre. Et dans un tel cas, il n’est pas impossible pour que les marines reviennent dans le pays. Nous allons revendiquer le droit à un travail décent, et le droit à un salaire équitable pour les travailleurs. Il faut accélérer la mobilité sociale, afin de créer une classe moyenne très forte. Car la démocratie est un phénomène de la classe moyenne. Mais, aujourd’hui, la classe moyenne est très faible, et elle ne peut pas supporter les partis politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite. C’est donc là qu’on devra commencer, et le reste viendra après. Mais on devra mener une lutte serrée pour avoir une constitution démocratique, et un conseil électoral indépendant. Dans, le cas contraire, le Ministère de l’Intérieur fera les élections. Ils auront toutes les cartes en main. C’est une vielle carte, et ils ont établi les règles. On ne peut pas les battre à leurs propres jeux».
On avait commencé ce soir-là un partenariat de confiance qui allait durer longtemps…
Tom Désulmé, fils de deux paysans de la Croix-des-Bouquets, a gravi tous les échelons de la société haïtienne pour devenir un homme d'Etat, (Député, Sénateur, Ministre de l'Intérieur, créateur de nouvelles entreprises comme la télévision par cable, et la fabrication des produits plastiques dans le pays). En laissant le pays pour l'étranger, il a pu devenir encore l'un des plus grands industriels des Caraïbes. Ce visionnaire, nationaliste, créateur du Parti National du Travail (PNT) nous a légué, en effet, un héritage de pensées et d’engagement patriotiques à nul autre pareil, qui sont encore d’actualité après une trentaine d’années d’apprentissage démocratique et de transition qui n'en finit pas. Le parcours de ce grand Homme d’Etat, tout aussi bien que celui des fondateurs de la Nation, toute couleur confondue, doit nous guider aujourd'hui, face aux défis auquel la nation Haïtienne est confrontée. Que chacun de nous s'en souvienne, quand il s'agira de continuer la bataille pour un « Programme de Réparation Sociale ». Pour que tout le pays soit le pays. Car, Haïti ne mourra pas!
Paul Gustave Magloire
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