Histoire
La Peninsule du Sud: Une tradition de mobilisation
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- Catégorie : Histoire
- Publié le vendredi 31 janvier 2014 22:07
Par Alin Louis Hall
Mise en Contexte - Expédition de Saint-Domingue :
Louis Thomas Villaret de Joyeuse arriva le 3 février 1802 devant le Cap. Le 6 février, Rochambeau débarqua dans la baie de Mancenille et s'empare de Fort-Dauphin. Leclerc établit son quartier général au Cap. Pendant ce temps Latouche-Tréville et Boudet s'emparèrent de Port-au-Prince et de Léogâne et obtinrent la reddition du général Laplume. Dans les dix premiers jours, le corps expéditionnaire occupa les ports, les villes et une grande partie des terres cultivées.
Fin avril 1802, début mai, l'ordre fut rétabli peu à peu dans l'île. Le commerce reprit dans les ports. Les généraux insurgés négocièrent la conservation de leurs biens ainsi que de leur grade. Ils s'accommodèrent de leur condition au point ou, n'ayant aucune envie de recommencer la guerre avec Toussaint, le dénoncèrent au général en chef. En juin, sentant le danger, Leclerc convoqua le rebelle à une entrevue et le fit arrêter. Toussaint est ensuite déporté en France.
Pendant ce temps, la fièvre jaune décimait l’armée française, qui ne comptait plus que 8 à 10 000 hommes, à peine en état de servir. Réfugié sur l'île de la Tortue, pour tenter d'échapper à la maladie, Leclerc succomba à son tour, le 1er novembre 1802.Étant l'officier le plus ancien, Rochambeau prit le commandement. Il déteste les mulâtres plus encore que les Noirs. André Rigaud est déporté en France bien avant Toussaint sous les dénonciations mensongères de Laplume. Dans la Péninsule du Sud où ils étaient plus nombreux, les mulâtres avaient vite compris qu'ils n'y avaient plus rien à attendre de la France. Ils s'unirent aux Noirs.
LA CONSPIRATION DE DOMMAGE ET LE JAILLISSEMENT DES FORCES D’EN-BAS.
Vers le début de Juillet 1802, le Capitaine-Général Charles Leclerc se vantait de la réussite du désarmement dans le Sud. Cependant, le vent de résistance, qui soufflait dans le nord, s’était déjà répandu dans le sud. Les premiers signes apparents de conspiration armée se manifestèrent à Corail, près de Jérémie où cinq mois plus tôt le colonel Jean-Baptiste Rousselot dit Dommage avait tenté vainement de résister à l’arrivée de l’Expédition. Pendant que Dessalines, Christophe, Laplume collaboraient avec Leclerc et livraient les bandes de Congos de Petit-Noel-Prieur, Caca-Poule aux Français, les forces d’en-bas commencèrent à organiser effectivement la résistance dans le Sud.
Les Français découvrirent un vaste réseau de conspiration entre les ouvriers de ville et ceux des plantations. L’insurrection générale sur toutes les plantations de la Péninsule et l’élimination de tous les blancs étaient imminentes. Toussaint Jean-Baptiste, boucher de profession, était à la tête du mouvement. Ses principaux complices étaient sa femme, Lazare, Malbrouk et Claude Chatain. Ce dernier était un déserteur de Jérémie. Aux interrogatoires musclés qui s’ensuivirent, ils répondirent qu’ils étaient à la solde d’André Rigaud. Malheureusement pour eux, Rigaud avait été déporté deux mois auparavant. Huit autres présumés complices furent également arrêtés. Transportés aux Cayes, Toussaint Jean-Baptiste, sa femme, Malbrouk et Lazarre furent exécutés. En connexion avec ce projet de soulèvement, six autres travailleurs furent arrêtés. Parmi les détenus, Cupidon et Pierrot de la plantation Etienne. Ce dernier était considéré comme une menace pour la société tant les punitions le rendaient plus téméraire.
Le 6 juillet 1802, les dix-neuf conspirateurs de Corail arrivèrent aux Cayes. Le 10, les Français découvrirent que l’insurrection s’était propagée dans toute la ville. La propagande et l’agitation avaient gagné les troupes coloniales noires au soulèvement et à la rébellion contre le gouvernement. Moins d’une semaine avant l’arrivée des prisonniers de Corail, deux noirs avaient déjà attaqué et bastonné le Commandant de la Milice des Cayes. Leur but était, dès que la révolte éclaterait, de libérer leurs acolytes de Jérémie, les autres prisonniers et d’incendier la ville.
Pendant ce temps, les noirs de la ville des Cayes s’étaient réunis et avaient élaboré un plan d’action qui anticipait une fusion avec la rébellion des troupes noires de la ville. Dans la nuit du 9 juillet, ils étaient à peu près une centaine à se réunir à la maison de Cofi. Au milieu des discussions orageuses, ils ne réalisèrent pas qu’ils étaient encerclés par le Commandant Berger. Ils se dispersèrent rapidement et lancèrent un appel aux armes. Immédiatement, on battit la générale dans toute la ville. La garnison coloniale noire tenta de se soulever mais fut neutralisée à temps par un bataillon européen.
Il n’est pas évident que la conspiration de Cofi et la rébellion de la garnison noire des Cayes furent planifiées en coordination avec l’insurrection de Corail. Il n’en demeure pas moins que ces mouvements coïncidèrent. S’ils n’avaient pas été découverts à temps, leurs répercussions auraient été considérables. Alors que les forces noires étaient neutralisées aux Cayes, la contagion du mouvement de la Grande-Anse continua à se propager jusqu’à Léogâne où déjà Lamour Dérance organisait les marrons sous son autorité.
Pendant cet intervalle, l’assassinat d’un Blanc à Aquin, Casamajor, annonça la reprise de la rébellion armée. Exploitant l’effectif réduit des troupes européennes, Charles, un lieutenant noir de la milice locale, s’empara du Fort de la ville avec un groupe de déserteurs. Le 27 Août, les insurgés occupèrent Saint-Louis. A l’injonction qui lui est faite par Laplume, Joussaume, le commandant noir d’Aquin, refuse de marcher sur Saint-Louis. Il est arrêté, envoyé à Port-au-Prince et exécuté.
Pendant que Laplume et Nérette poursuivaient les fugitifs, des troubles s’annoncèrent à nouveau aux Cayes dans la tentative du 4 septembre 1802. Les bâtiments de guerre en station dans la rade des Cayes se remplissaient d'indigènes destinés à être noyés. Chaque jour les flots apportaient au rivage de nombreux cadavres. Tant d'atrocités excitèrent à la révolte une cinquantaine d'indigènes. Après avoir mis à leur tête un noir nommé Joseph Darmagnac, ils s'emparèrent, à dix heures du soir du Fort L’Ilet, à l’une des extrémités de la ville des Cayes, et s'y retranchèrent. Le colonel Berger commandant de la place, réunit aussitôt la garde nationale et les troupes de ligne, marcha contre eux, les cerna, les attaqua, et les fit tous prisonniers. Le Dimanche qui suivit cette affaire, Joseph Darmagnac et ses compagnons d'infortune furent les uns pendus, les autres noyés. Cette révolte précipita la fin tragique de nombreux indigènes qui encombraient les prisons. Peu de temps après on noya dans la rade des Cayes les nommés Moreau, Doudou, Viart, Prosper, Braquin, hommes de couleur, et une foule d’autres. Suite aux arrestations qui s’en suivirent, une trentaine d’assaillants furent capturés. Ils furent exécutés en même temps que 310 prisonniers.
Vers la fin du mois de Septembre, les autorités françaises découvrirent que la conspiration de la Grande-Anse n’était pas éteinte. Les leaders qui avaient été exécutés collaboraient avec un vaste réseau d’agitateurs dans la région des Cayes et de Plymouth. Une insurrection générale de la Grande-Anse était en marche. Le 26 septembre, au Fond Rouge, près de Jérémie, alors que tout était calme, un groupe de marrons mit le feu à cinq plantations. Jean Panier était leur leader et leur territoire s’étendait des Irois jusqu’à Macaya.
Dans les représailles qui suivirent l’incendie des plantations, Panier fut blessé grièvement au combat et capturé. Son interrogation révéla que le véritable instigateur était Dommage qui, cinq mois auparavant, avait tenté vainement de résister à l’arrivée de l’Armée Expéditionnaire à Jérémie. L’investigation confirma que Dommage avait développé un réseau d’espions et d’agents pour transmettre ses instructions et convaincre les travailleurs que la France voulait rétablir l’esclavage. L’objectif était de provoquer un soulèvement général au Fond Rouge. Les autorités françaises mâtèrent la rébellion de Dommage qui fut arrêté avec Panier et ses acolytes. Ils furent transportés à Port-au-Prince pour être exécutés.
Partout, la contagion révolutionnaire renouvelait l’ardeur et l’activité des marrons. Les déserteurs organisaient le réseau de la résistance populaire. La cause de la France était perdue. Faut-il rappeler que l'insurrection générale dans le Sud avait commencé avec la prise de Tiburon sur les français. Cette position importante mettait les indigènes en relation avec le commerce anglais de la Jamaïque, quoique la guerre ne fût pas encore déclarée entre le gouvernement britannique et la France.
Pendant ce temps, il suffisait d’être soupçonné de conspiration pour être passible d’emprisonnement. Bardet, ancien chef de bataillon de la 13e coloniale, accusé d’avoir fomenté une insurrection qui devait éclater au Petit-Trou des Baradères, fut noyé dans la rade de l'Anse-à -Veau. Le général Laplume ordonna son arrestation et son exécution émut profondément le département du Sud. Beaucoup d’hommes de couleur arrêtés comme ses complices furent exécutés. Etienne Elie Gérin ne dut son salut qu'à la protection d'un officier indigène, nommé Segrétier, qui favorisa sa fuite.
A St. Louis du Sud, un indigène nommé Auguste, noir, prit les armes contre les blancs de son quartier, à la tête de cinquante cultivateurs. Le général Laplume qui commandait aux Cayes marcha contre lui, le culbuta et le refoula dans les montagnes. Peu de jours après, une révolte dirigée par un indigène noir, nommé Samedi, éclata dans la plaine de Torbeck. Smith, colon blanc, fut assassiné sur son habitation. Samedi n'avait sous ses ordres que 30 hommes armés de pierres et de bâtons. Le général Laplume marcha contre lui avec un détachement commandé par un officier de Torbeck, nommé Elie Boury. Samedi n'attendit pas l'ennemi; il abandonna la plaine et se réfugia dans les mornes. Laplume inonda le quartier de Torbeck de gardes nationaux et de troupes européennes; les ateliers furent décimés; le sang coula à grands flots. La révolte de Samedi, mal combinée et éclatée trop tôt, n'eut pour résultat que le carnage de ses frères qui l’avait aidé à s’évader.
LE SOULEVEMENT DE LAURENT FEROU
En janvier 1803, il y avait aux Cayes un homme de couleur, nommé Déjoie. La blancheur de sa peau et la longueur de ses cheveux plats le faisait passer pour un blanc. C'était un intime ami du colonel Berger. Celui-ci d’une férocité inouïe lui apprit que le capitaine-général Rochambeau avait envoyé l'ordre, dans le Sud, d'arrêter et de faire disparaître la plupart des officiers noirs et de couleur de quelque influence. Déjoie qui entretenait des relations d'amitié avec le commandant Férou lui fit savoir, par une femme noire de l'habitation Petite Place Esmangart, qu'il l'attendrait sur l'habitation Bagatelle, pour lui communiquer un avis du plus haut intérêt. Au jour fixé, Laurent Férou se rendit au lieu de l'entrevue. Il y rencontra Déjoie qui l'exhorta à se tenir en garde contre les pièges des autorités françaises. Férou retourna aux Coteaux, résolu à secouer le joug de la métropole à la première occasion favorable. Ses émissaires se répandirent aussitôt de toutes parts, excitant les populations à la révolte, en leur annonçant que leur extermination avait été résolue. En une semaine, une vaste conspiration s'étendit sur toutes les campagnes de la Péninsule du Sud. Férou qui incitait à l'insurrection devait se prononcer contre les français, après qu'elle eût éclaté sur différents points. Alors il devait en prendre le commandement et lui donner une direction énergique. C'était l'homme qui exerçait le plus d’influence sur les indigènes du Sud. Gilles Bénech, Nicolas Régnier et Goman, noirs, anciens officiers sous Rigaud, le déterminèrent à donner le signal de la prise d'armes en attaquant Tiburon. Ils réunirent une bande de plus de deux mille cultivateurs, et marchèrent contre cette ville dont ils s'emparèrent. Le chef d'escadron Desravines, homme de couleur, qui commandait cette place, s'enfuit et se réfugia aux Irois où les français avaient un camp. Il fut exécuté comme complice des insurgés. En même temps, un officier blanc nommé Lafrédinière, commandant de la garde nationale du camp Perrin, dans l'arrondissement des Cayes, et un noir intrépide, Guillaume Lafleur, soulevaient les cultivateurs de leur quartier, en leur déclarant que la France voulait les remettre en servitude. Ce Lafrédinière vivait fraternellement, depuis plusieurs années, avec les noirs et les hommes de couleur. Guillaume Lafleur, qui n'ignorait pas ses sentiments philanthropiques, n'avait pas hésité à lui communiquer sa résolution de prendre les armes.
Dès que se répandit aux Cayes la nouvelle de la révolte de Lafrédinière, le colonel Berger sortit de cette ville à la tête de 300 hommes de la garde nationale de Torbeck, commandés par un officier de couleur, Elie Bourry, et marcha contre le camp Perrin qu'il trouva abandonné. Lafrédinière et Guillaume Lafleur, n'ayant pas assez de forces pour lui résister, s'étaient retirés dans les bois, à son approche. L’insurrection que les émissaires de Férou avaient préparée de toutes parts dans le Sud, éclatait successivement dans chaque quartier. Une circonstance imprévue hâta la prise d'armes des indigènes du Port-Salut dont l'esprit était travaillé depuis longtemps par trois officiers de celte commune, Bergerac Trichet et Juste Vancol, hommes de couleur, et Wagnac, noir. Ces trois hommes avaient d’étroites relations avec Férou qui exerçait sur eux une grande influence.
Pendant cet intervalle, le commandant du port des Cayes, Kerpoisson, faisait noyer au-delà de la pointe de Labacou, tous les infortunés que lui livrait Berger. Un noir, nommé Jacquet Giraud, qui avait été embarqué pour être noyé, fut précipité dans la mer après avoir été lié et percé de plusieurs coups de poignard. Dans la même journée les vagues et les courants l'amenèrent sur la plage. Les cultivateurs de Labacou découvrirent, dans l'après-midi, au bord de l'anse, un corps qui respirait encore, mais presqu’imperceptiblement. Ils le transportèrent dans une case, et le ramenèrent entièrement à la vie. L'infortuné raconta comment il avait été arrêté, embarqué, poignardé et précipité dans les flots. Le colonel Hamplaya, colon blanc, qui commandait au Port Salut, voulut le faire arrêter de nouveau, et conduire aux Cayes où il eût été infailliblement fusillé. Mais un jeune homme de couleur souleva l'atelier de l'habitation où avait été transporté Jacquet Giraud et s'opposa à l'arrestation de cet infortuné qui venait d'échapper à la mort d'une manière si miraculeuse. Dans la même soirée, la révolte se propagea dans toute la paroisse du Port-Salut. Vancol, Trichet, Wagnac se mirent à la tête des insurgés, arrêtèrent Hamplaya et eurent la générosité de le laisser partir sain et sauf pour les Cayes. Le 31 janvier 1803, Ils envoyèrent aussitôt une députation auprès de Férou pour lui faire connaître leur prise d'armes, et l'exhorter à se hâter de venir se mettre à leur tête.
Pendant ce temps, le général Darbois, commandant de l'arrondissement de la Grand'Anse, qui venait d'apprendre la prise de Tiburon par les insurgés, en avisa les autorités des Cayes. Celles-ci qui jusqu'alors ne croyaient pas que Férou fut l'âme de l’insurrection, envoyèrent l'ordre au colonel Berger de se réunir à la garde nationale des Côteaux pour marcher contre Tiburon pendant que les troupes de Jérémie assailliraient cette place par le chemin des Irois. Au même moment, Férou recevait, d’un côté, la députation des insurgés du Port-Salut, et de l'autre, une lettre de Darbois par laquelle ce général l'exhortait à faire une levée en masse des cultivateurs des Côteaux et à marcher contre Tiburon, afin que l'insurrection fût étouffée d'un seul coup. Férou répondit à l'envoyé de Darbois: « Nous sommes prêts à combattre; mais c'est contre les Français. » Au lieu de marcher sur Tiburon, il se prononça ouvertement contre la métropole, et se disposa à s'acheminer vers la plaine des Cayes pour la soulever. Du Camp-Perrin à Tiburon, la presqu'île du Sud était en insurrection. Les indigènes avaient arrêté aux Côteaux plusieurs blancs qu'ils voulaient immoler. Férou contint leur fureur en les persuadant qu'ils commettraient un crime inutile. Il dit aux prisonniers qu'ils trouveraient en lui un ennemi, mais non un bourreau, quoiqu'ils eussent sacrifié à leur haine implacable un grand nombre de ceux qui avaient été leur soutien et leurs défenseurs, quoiqu'ils eussent précipité dans la mer de nombreux indigènes dont les restes étaient ramenés chaque jour, sur le rivage, par les courants et les lames. Il ajouta qu'il leur permettait de se retirer où bon leur semblerait. Les prisonniers s'embarquèrent dans une chaloupe et se rendirent aux Cayes.
Pendant cet intermède, le colonel Berger stationné au Camp Perrin, trouvant qu'il y avait dans les rangs de ses troupes beaucoup trop d'indigènes, commanda à Elie Bourry dont il se défiait de descendre au carrefour Ducis avec le bataillon de Torbeck composé de noirs et d'hommes de couleur. Le lendemain il lui envoya l'ordre de se rendre au vieux bourg de Torbeck sur l'habitation Bourry. Elie Bourry marchant sous les ordres du colonel Dumira, blanc, rencontra sur l’habitation Bérrault le commandant Férou qui, parti des Côteaux, s'efforçait d'atteindre la plaine des Cayes pour la soulever. Férou était à la tête de mille cinq cents hommes. Il désarma Dumira et les quelques soldats blancs qui faisaient partie de la garde nationale de Torbeck et les renvoya sains et saufs. Il les fit accompagner par cinq cents hommes jusqu'aux avant-postes français. Quant à Elie Bourry, il le fit entrer dans ses rangs avec tous les noirs et les hommes de couleur qui étaient sous ses ordres. Le colonel Berger, apprenant la prise d'armes de Férou, craignit d'être enveloppé dans la montagne par les insurgés. Il abandonna le camp Perrin, rentra précipitamment aux Cayes. Aussitôt après son départ de Camp -Perrin, Férou y envoya Vancol auquel vinrent se rallier Lafrédinière et Guillaume Lafleur. En même temps les commandants Jean-Jacques Bazile et Armand Berrault soulevaient les cultivateurs de la plaine des Cayes et reconnaissaient l'autorité de Férou. Celui-ci fut proclamé chef supérieur des insurgés. Il ne reconnaissait ni l'autorité de Dessalines ni celle de Lamour Dérance. Cette formidable insurrection, en dégarnissant de troupes européennes les limites du département vers le pont de Miragoâne favorisera la rentrée du général Geffrard dans le Sud.
Au regard de l’histoire, foyer d’idées, de passions politiques et d’intolérance à l’absolutisme, le sud fut le point de départ de la plupart des troubles révolutionnaires. Il faut trouver dans la configuration humaine le ferment de toutes les revendications issues de cette région. La population des affranchis dont les revendications ont été le point de départ de nombreux évènements de Saint-Domingue se trouva si nombreuse au point où elle arrive même à égaler celle des Blancs en nombre et en richesse. Pour que leurs vivacités irréfléchies et leurs ardeurs émancipatrices n’en puissent tirer profit, l’Armée du Sud et sa structure militaire furent maintenues, à dessein, dans un état de dénuement presque total. En apprenant la nouvelle de l’exécution d’Ogé et de Chavannes, les libres se soulevèrent alors dans plusieurs endroits. Dans le Sud, contrairement aux affranchis du Nord, ils remportent des victoires dès l'été de 1791. En novembre, ils mettront Port-au-Prince à feu et à sang. Mais, bien avant, dès le 24 janvier 1791, les esclaves de Port-Salut et des Cayes commencèrent à mettre le feu aux plantations de la Plaine-du-Fond., huit mois avant la cérémonie du Bois-Caïman.
Au fil des ans, cette tendance du Sud pour les agitations se transformera en une guerre de basse intensité pour le triomphe des idées républicaines par le rejet de l’absolutisme et l’intolérance au totalitarisme. Le noir Messerou, juge de paix de Port-Salut, lança l'insurrection qui aboutit au 17 octobre 1806. Apres sa tournée dans le Sud, l’Empereur avait lui-même confié au colonel Lamarre « Apres ce que je viens de faire dans le Sud, si les citoyens ne se révoltent pas, c’est ce qu’ils ne sont pas des hommes. ». Un peu plus loin, la proclamation de l’Etat Méridional du 3 Novembre 1810 fut avant tout une réponse au « Laissez grennen » d’Alexandre Pétion. Le Manifeste de Praslin du 1er Septembre 1842 renversera le gouvernement de Jean-Pierre Boyer après 25 ans de règne absolu. Dans l’intervalle, Jean-Jacques Acaau se mettra à la tête de la fureur paysanne que Goman avait déjà allumée dès 1807 dans la Grande-Anse. L’«Armée Souffrante » revendiquera un nouveau contrat social. La deuxième proclamation de l'Etat Méridional de Michel Domingue (Mai1868) contribuera à jeter le régime « anarcho-populiste » de Sylvain Salnave. Les évènements de Marche-à -Terre (Les Cayes) aboutiront à la désoccupation américaine.
BIBLIOGRAPHIE
- 1.Souvenirs Historiques de Guy-Joseph Bonnet, Général de Division des Armées de la République d’Haïti, Ancien aide de camp de Rigaud – Documents relatifs à toutes les phases de la révolution de Saint-Domingue recueillis et mis en ordre par Edmond Bonnet. Librairie, Auguste Durand, Paris, 7 rue des grés, 1864
- 2.Études sur l'histoire d'Haïti suivies de la vie du général J.-M. Borgella par Beaubrun Ardouin, Ancien Ministre d’Haïti près le Gouvernement Français, Ancien Secrétaire d’Etat de la Justice, de l’Instruction Publique et des Cultes – Tome Premier – Dezobry et E. Magdeleine, Lib. Editeurs, 10 rue du cloitre-Saint-Benoit, Paris, 1855
- 3.Histoire d’Haïti, par Thomas Madiou fils, Ancien Directeur du Lycée de Port-au-Prince. Au Port-au-Prince, Imprimerie de Jh Courtois, 1847
- 4.The Making of Haiti, the Saint-Domingue Revolution from Below, Caroline E. Fick, 1947
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