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A propos de 'La Reine Soleil Levée de Gerard Etienne

gerard-etienne-reine-soleil-leveSoumis à Tout Haiti le 31 Decembre 2012

Par Pascale F. Doresca ---La litterature haitienne est par vocation engagée. Dans 'La Reine Soleil Levée', Gerard Etienne sonne l'hallali d'un peuple au trepas, dont la mort inhumaine, abjecte, mysterieuse et imminente est à la fois une cause et une consequence de la corruption fratricide par le biais de laquelle les regimes sanguinaires des soixante dernières années se sont maintenus au pouvoir.

Meme si ce sont des miliciens ombrageux du dictateur ubuesque qui assistent, impuissants, à la lente agonie du bourretier digne et travailleur, dont la condition de pauvre est honnie par les Noirs eduqués et mieux fortunés d'en haut, il existe encore plein de Jo Camels dans l'Haiti d'aujourd'hui qui, en cette fin d'année 2012, se meurrent douloureusement, dans l'infference complète du corps hospitalier de l'HUEH, et ce, malgré les pots-de-vins soutirés aux familles en vue de soins et d'attention particuliers.

Les dés sont joués dans les premières pages du récit. Le sort du transporteur est scellé. Mais, trop pressé de delivrer la marchandise à sa fidèle "pratique" du marché de la Croix-des-Bossales, trop absorbé dans le branle-bas de la survie, Jo ne verra pas la mort venir. Et pourtant, sa vigueur lengendaire sera frappée de plein fouet, en pleine rue, dans la crasse et la puanteur qui collent inoxerablement à son statut de damné, sous le poids des six cents kilos du chargement accablant de sa brouette. Ni les dieux ni les lwa ne pourront soulager son supplice. Il aura fallu Mathilda, sa compagne au teint noir d'acajou, belle, statuesque, teméraire, travailleuse et brave pour changer en esperance un destin scellé dans la honte. Mathilda est le soleil, la lune et l'etoile de "ce quartier où la misère noire empêche une personne de rêver, fût-ce une minute, au bonheur d'être sur terre..."

Mathilda c'est l'Haitienne poto-mitan, pierre angulaire des economies de guerre. Ce sont ces femmes qui, par leur travail assidu, vital, et pourtant invisible (non tenu compte dans la comptabilité nationale) constituent l'Autre Moitié du Developpement (Mireille Neptune-Anglade). Mathilda c'est la guerrière qui n'a jamais appris à tendre son "kwi" mais qui "quand [elle] n'a rien à se mettre sous la dent, s'arrange pour ne pas dependre d'eux, bûche, se fend en quatre, fait tous les metiers afin de proteger son monde contre les maux qu'ils inventent."

Et c'est par Mathilda que viendra la resistance. C'est grace au refus de cette heroïne de marcher dans les sentiers battus de l'opprobe que le petit peuple va s'engager, tout entier, dans "une lutte pour l'honneur, contre la misère noire." Et le salut dependra de la solidarité qui a permis à ces damnés de la terre d'echapper à la mort jusqu'ici.

"Il souffle un vent nouveau. Des mortels, que rien ne semblait disposer à la solidarité, acceptent de s'embarquer, avec elle, dans une aventure où elle risque d'y passer avec son homme. A l'instar de ceux du marché de la croix-des-Bossales ce matin, elle decouvre des gestes de fraternité. Des savants auraient beaucoup à dire sur la vie de ces gens. Ce flot de paroles amères, de paraboles indechiffrables, de mots à resonnance etrangère sur la violence, la sauvagerie, l'imbecilité des rejetons de l'Afrique noire, tout cela, d'après Mathilda, demeure le problème des grand. Blancs, Jaunes, Noirs. Oui. Ces corvées coude à coude, cette façon de se mettre dans la peau de l'autre, de l'aider à combattre ses peurs, c'est pour elle l'image exacte du marché de la Croix-des-Bossales, sa raison de vivre, son catéchisme, sa force. Des noirs de même condition mangent ensemble un morceau de cassavre, refusant ainsi de tendre la main aux puissants de ce monde."

Pascale F. Doresca
31 decembre 2012

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