L'opéra de la Mort
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- Catégorie : Poesie
- Publié le lundi 2 juillet 2012 15:37
Par Frankétienne
Mardi 12 janvier 2010. La journée va bientôt s'achever
La baie de Port-au-Prince brille encore sous les carats éclatants du soleil caraïbe.
Il est 5h moins 7 minutes au moment où quelques 35 battements de secondes suffiront à projeter ma ville dans une éternité d'horreurs sous les palavirés meurtriers d'un séisme sauvagement aveugle en atrocités dévastatrices. Un dézafi de ravages insupportables. Une orgie de cataclysmes inattendus.
Plus de 300 000 morts. Plus de 10 000 maisons effondrées. Quartiers et villages affaissés. Bétonvilles déconstombrés. Palais et châteaux aplatis/défigurés. Plus d'un million d'infortunés sous des tentes fragiles et malsaines. Un cruel cinéma de culs-de-jatte, de manchots et de cocobés traumatisés.
Brutale initiation à l'art de mourir en silence.
Mourir encore dans la macornerie des corps déchiquetés.
Mourir au ralenti des gestes poussiéreux.
Mourir terriblement sous des tessons d'horloges déraillées.
Mourir en solitaire sous les décombres et les gravats.
Mourir habillé d'ombres folles.
Mourir enfournoyé de ténèbres et de fantômes.
Mourir violemment de fausses lueurs.
Mourir d'asphyxie et de cauchemars lugubres.
Mourir beaucoup.
Mourir toujours.
Mourir à jamais.
Mourir de trop.
Mourir de rien.
Mourir de néant.
Mourir absolument.
Et parfaitement mourir.
Mourir d'un voyage d'encombrement au trépas du temps qui passe et qui soudain se fige en faux couloir d'impasse.
Tracas, malheurs, désastres en strophes coffrées de catastrophes immondes.
Trois fois, sept fois, cent fois, mille fois les entrailles déchalborées de ma ville bougent à l'intérieur d'une faille obscure plus gloutonne que la douleur nocturne sous une myriaderie de tentacules et de ventouses.
La mort nous mange et nous démange impitoyablement.
Caricature d'un destin maquillé en madichonnerie à travers les cassures, les fissures et les brèches de nos cris distordus de vents apocalyptiques.
Interminablement l'opéra de la mort s'élargit, se prolonge et se dilate aux contours des récifs ensanglantés.
Comment survivre à la rage du naufrage saturé de pourritures de débris, de déchets et d'artripailles.