Tout Haiti

Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Mon Pays Que Voici

phelps haiti-litteraire"MON PAYS QUE VOICI!!!

Anthony Phelps

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À quoi bon ce passé de douleurs et de gloire
et à quoi bon dix huit cent quatre

Ô mon Pays je t'aime comme un être de chair
et je sais ta souffrance et je vois ta misère
et me demande la rage au coeur
quelle main a tracé sur le registre des nations
une petite étoile à côté de ton nom
Yankee de mon coeur
qui bois mon café
et mon cacao
qui pompes la sève
de ma canne à sucre
Yankee de mon coeur
qui entres chez moi


en pays conquis
imprimes ma gourde
et bats ma monnaie
Yankee de mon coeur
qui viens dans ma caille
parler en anglais
qui changes le nom
de mes vieilles rues
Yankee de mon coeur
j'attends dans ma nuit
que le vent change d'aire
Je continue ô mon Pays ma lente marche de Poète
à travers les forêts de ta nuit
et le reflet de la Polaire
parmi l'essence et la sève
dénombrant sous l'écorce les cercles de l'aubier
Entre la liane des racines
tout un peuple affligé de silence
se déplace dans l'argileux mutisme des abîmes
et s'inscrivant dans les rétines
le mouvement ouateux a remplacé le verbe
La vie partout est en veilleuse
Le ciel s'est oxydé l'amour passé au laminoir
Il a poussé des champignons sur les étoiles
et la nuit sent le renfermé
Et nos doigts sont tranchants comme des lames
coupant le geste au ras de l'épiderme
En nous : nos veines au sang tourné
Sur nous : le cataplasme de la peur
et sa tiédeur gluante
et notre peau fanée doublée de crainte
comme un habit trop ample
bâille sur des vestiges d'homme
Semaine sans dimanche
Le maïs : sec comme la pierre
Le pain : tout en croûtons qui blessent
Les maisons closes les rues les places
livrées au vent
Et les fidèles de la résignation
agenouillés dans les églises
La vie partout est en veilleuse
La vie vécue à la campagne
La vie vécue à la grand'ville
La vie au bord des tables
Le long des sources
La vie vécue à l'ombre des églises
La vie vécue à l'ombre des houmforts
dans le mystère et la fumée des rites
La vie dans les chaumières
la vie dans les villas
la vie entre les draps
ou sur la paille humide
la vie vivante
la vie présente
partout la même
la vie partout est en veilleuse
Ô mon Pays si triste est la saison
qu'il est venu le temps de se parler par signes
Le langage des yeux s'enrichit chaque jour
un geste de la main dit plus long qu'un discours
et pour rêver ma vie au tranchant du sommeil
à la doublure de ma taie
j'aurais cousu mes épisodes les plus beaux
mais l'amour même est triste
les escarres de la souffrance écailleraient le rêve
Immobile comme un pieu enfoncé dans le sable
je porte en moi la densité de la nuit
et les insectes font l'amour sur mes mains inutiles
Ah!... quand éclatera le bourgeon sous le poids de
l'abeille
Je veux entendre le sang de ma Terre
marcher dans les caféiers aux fleurs blanches
Je veux entendre geindre le vent blessé dans les cannaies
coupantes sont les feuilles de la canne à sucre
Quand donc viendra cette heure
où nous irons amorcer le soleil
où le baiser justifiera nos lèvres
Ô mon Pays si triste est la saison
qu'il est venu le temps de se parler par signes

Je continue ma lente marche de Poète
à travers les forêts de ta nuit
province d'ombre peuplée d'aphones
Qui ose rire dans le noir ?
Nous n'avons plus de bouche pour parler
Quel choeur obscène chante dans l'ombre
cette chanson dans mon sommeil
cette chanson des grands marrons
marquant le rythme au ras des lèvres
Qui ose rire dans le noir ?
Nous n'avons plus de bouche pour parler
Les mots usuels sont arrondis
collants du miel de la résignation
et la parole feutrée de peur
s'enroule dans nos cerveaux capitonnés
Qui ose rire dans le noir ?
Nous n'avons plus de bouche pour parler
nous portons les malheurs du monde
et les oiseaux ont fui notre odeur de cadavre
Le jour n'a plus sa transparence et ressemble à
la nuit
Tous les fruits ont coulé nous les avons montrés
du doigt
Qui ose rire dans le noir ?
Nous n'avons plus de bouche pour parler
car le clavier des maîtres mots des Pères de la
Patrie
au grenier du passé se désaccorde abandonné"