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Lettre ouverte adressée au Premier ministre Laurent Lamothe sur le projet de faire d’Haïti un pays émergent en 2030.

Monsieur le Premier ministre,

Comme nombre d’Haïtiens vivant en dehors du pays, je ne peux m’empêcher d’avoir quotidiennement des préoccupations quant à l’avenir d’Haïti et de ses habitants. J’ai souvent pris le soin de les exprimer soit à travers les forums sociaux et/ou dans les journaux du pays afin qu’elles soient entendues et prises en considérations par les concernés. Malheureusement, je doute fort que c’en est le cas.

Votre gouvernement semble projeter une toute nouvelle réalité. Votre permanente présence sur les réseaux sociaux laisse croire que vous êtes à l’écoute des haïtiens en Haïti et ailleurs, ou tout au moins que vous aimeriez être écouté. Compte tenu de ce fait, je crois qu’il est opportun de vous faire part de mes préoccupations quant au vœu de votre gouvernement de faire d’Haïti un pays émergent en 2030.

Si pour certains, monsieur le premier ministre, votre déclaration est inconsistant avec les faits, l’histoire, tout au contraire, montre que les ‘miracles économiques’ sont possibles. Alors qu’il fallait après la Révolution Industrielle deux siècles à la grande Bretagne, les Etats Unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande de connaître une croissance économique de 2 pour cent, les quatre dragons de l’Asie du Sud-Est ont dans moins 50 ans, après la seconde guerre mondiale, passé d’un statut depays pauvre à celui de pays émergent. Mieux encore, La Chine a, dans moins de 40 ans, connu une croissance économique d’environ 9% facilitant des millions de chinois de sortir de l’extrême pauvreté. En 1981, 84% de la population chinoise était pauvre, mais à partir de 2005, soit dans moins 25 ans, seulement 16 pour cent vivait a moins de 2 dollars par jour.

Ces exemples semblent offrir une base empirique vous permettant d’avoir une confiance inébranlable qu’Haïti peut en 2030, soit dans moins de 20 ans, devenir un pays émergent, un « miracle économique ». Contrairement à certains, je ne crois pas que votre vision est utopique ; cependant, je dois avouer que je suis pessimiste. Comme vous le savez déjà, Haïti ainsi que nombre d’autres pays a déjà raté, outre la révolution industrielle, une importante occasion de rejoindre le monde des affluents dans les années d’après le seconde guère mondiale. Ce fut une occasion où 60 pour cent de la population mondiale a rejoint les 15 pourcent qui a profité de la révolution industrielle de 1750 débutée en Angleterre.En d’autres termes, les fruits de la Révolution Industrielle étaient inégalement repartis entre les nations; seulement un groupuscule de nations jouissait les privilèges, une tendance qui dure environ deux siècles jusqu’en 1950.Ce fut une période de grande divergence économique entre les nations. A partir de l’année 1950, une nouvelle situation émerge, ce que l’éminent Prix Nobel économiste, Michael Spence, appelle « The Next Convergence.» Les pays pauvres désormais se lançaient dans une dynamique de rattrapage économique qui semble défier certaines théories économiques classiques. Et malheureusement, Haïti n’en faisait pas partie.

Alors qu’en Chinedès le début de l’année 1980 Deng Xiaoping se lançait dans une politique de renforcement institutionnelle et de restructuration économique qui a légué au pays un héritage économique sans précèdent, en Haïti, tout au contraire, au milieu des années 80, on se lançait dans une bataille contre la dictature qui aboutit à une liberté exclusivement ‘civile et politique’ et non à ce que Amartya Sen, un éminent économiste du développement, appelle des libertés substantielles. Ces libertés sont d’une importance capitale dans la mesure où elles permettent aux citoyens d’avoir accès à l’éducation, la santé, l’eau potable, etc. Sen définit le développent comme étant un processus d’expansion de ces libertés substantielles.

Le cas de la Chine est, entre autres, un exemple assez fort illustrant qu’il n’existe littéralement pas de miracle économique. Il a fallu un homme de vision qui en 1980 a compris la nécessite de relever les défis que confrontait son peuple. Deng Xiaoping a objectivement évalué les atouts et faiblesses de son pays et a finalement mis en place des institutions, des hommes et femmes compétents pour assurer le développent de la Chine. Mieux encore, la situation du Japon aprouvé qu’il n’y a pas d’aléas en développement économique. Quand au dix-neuvième siècle,le Japon rencontrait l’immense capacité technologique de certains pays de l’occident, les dirigeants Japonaisne se reposaient pas sur leurs lauriers. En réponse, l’empereur Meiji décidait d’envoyer des milliers de jeunes à l’étranger pour apprendre non seulement les techniques de gouvernance occidentale mais aussi les « sciences dures ». Ainsi donc, les arrangement institutionnels, et non des miracles ou aléas, sontà la base du succès de ces pays.

Ces arrangements institutionnels résultent des choix des états qui priorisent pas les intérêts de certains groupes mais l’intérêt public. Ils ont déployé des efforts colossaux pour combattre le népotisme. Aujourd’hui, s’il est vrai que les acquis de 1986 en matière de liberté civile et politique ne sont pas menacés, cependant il saute aux yeux de tous que les institutions publiques sont caractérisées par d’incessantes corruptions qui entravent tout processus visant l’expansion des libertés substantielles.

Vous avez de grands défis à relever. Au moment où je vous écris, Haïti, avec un PIB de 673 dollars par habitant et un besoin exagéré en service de base, est le pays le pauvre de l’hémisphère occidentale. Selon les données de la Banque Mondiale, 78 pour cent des haïtiens vivent avec moins de 2 dollars par jours. Le Coefficient de Gini, un indicateur servant à mesurer la répartition des revenus, est de 0.59 en Haïti. En fait, si les revenus étaient normalement ou presque normalement distribués, le Coefficient de Gini serait dans l’intervalle de 0 à 0.3. Par conséquent, dans le cas d’Haïti, un tel coefficient montre que c’est un pays à grande inégalité de revenus. Les indicateurs sociaux sont encore plus alarmants.Entre autres, l’indice de Développent Humain (IDH) du pays – une valeur qui combine son produit national bruit, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation – le place en 156eme position sur 185 pays en 2011.

Toutefois, Je ne vous fais pasresponsable des maux du pays. Loin de là. Mais comme l’état doit être vu sous l’angle de la continuité, vous avez, par conséquent, la responsabilité de redresser la barre sinon l’histoire vous comptera parmi les prédateurs qui ont causé de graves forfaits à la population haïtienne.

Ainsi,si vous voulez faire quelque chose de substantiel, je pense quele gouvernement haïtien doit préparer une base de données vivante des cadres haïtiens vivant à l’extérieur du pays, car le développent ne se fait pas sans le capital humain et si on se réfère aux données de la banque mondiale, plus de la moitiéde l’intelligentsia haïtienne vit en dehors du pays. Du même coup, le gouvernement doit investir dans la formation des jeunes haïtiens en les envoyant à l’extérieur pour des études supérieures en Agronomie, Physique, Génie électronique et mécanique, et Chimie.

Monsieur le premier ministre la tache n’est pas facile, mais gouverner c’est prévoir.

Par Claude Joseph