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Dans quels secteurs ont été créés les 400 000 emplois ?

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Cela fait exactement huit jours que les économistes du pays cherchent à avoir des données sur l'annonce de la création de 400 000 emplois faite par le président Michel Martelly, mercredi dernier, lors d'un Conseil des ministres. Ni au palais national ni chez les ministres, personne n'est disponible pour soutenir les statistiques présentées par le chef de l'Etat.

400 000 emplois en deux ans ! Le président de la République a lancé le chiffre comme on centre un ballon sur un terrain de football. Mais il n'y a personne dans son équipe à la réception. Depuis mercredi dernier, les journalistes cherchent partout des explications sur cette création massive d'emplois au pays dans l'espace de 24 mois. Au palais national comme chez les ministres du gouvernement, personne ne veut s'aventurer à fournir des données sur le dossier. Les travailleurs de la presse se rabattent alors sur les économistes pour tenter de trouver une réponse à ce qui semble être une énigme.

Chez les économistes, c'est la confusion. Par l'interprétation des réalités socio-économiques du pays au cours de ces deux dernières années, ils tentent de donner une explication. Personne ou presque ne veut dire directement au chef de l'Etat qu'il aurait inventé sur le chiffre de la création de 400 000 emplois ni qu'il aurait été induit en erreur par ses conseillers économiques.

Comme tout le monde, l'économiste Pierre Marie Boisson a entendu dans la presse l'annonce faite par le président Martelly. Comme tout le monde aussi, il ne dispose d'aucune information ni de données sur le sujet. « Le chef de l'Etat a des experts qui travaillent pour lui, je les respecte. Ils ont certainement des bases pour faire cette annonce... », a-t-il dit mardi sur les ondes de Radio Magik 9.

« Dans l'économie haïtienne depuis des temps, l'essentiel de la création d'emplois se fait au niveau du secteur informel », a indiqué M. Boisson. Particulièrement dans le service et le commerce. Cependant, l'économiste a donné un crédit au gouvernement qui entreprend pas mal de chantiers de construction et de réhabilitation de routes, de ponts... Certainement, il va créer des emplois avec cela...Mais, honnêtement, le nombre de 400 000 emplois à créer en deux ans paraît élevé. Mais, je ne peux pas me prononcer sur ce chiffre », a-t-il dit, soulignant qu'il ne dispose pas de documentation pour le faire.

Pierre Marie Boisson a indiqué qu'entre 2011 à 2012, après le tremblement de terre, il y a eu un flux de dollars dans le pays. Ce qui a provoqué un bond et une augmentation de 20% des importations. « Depuis lors, a-t-il dit, ce flux a diminué. Nous avons reçu après le séisme 1,8 milliard de dollars américains de don. Un chiffre record qui a baissé de 50% deux ans après... »

Cette diminution des apports en devises étrangère n'est pas sans conséquences sur l'économie du pays. Elle a provoqué, selon Pierre Marie Boisson, une contraction de demande de biens et de services. Le prix des loyers a baissé, des ONG quittent le pays... Alors qu'il y avait l'année dernière une croissance du crédit de 30% due à la reconstruction et la construction d'hôtels, cette année le rythme d'augmentation annuelle du crédit depuis le début de l'exercice est de moins de 10%. C'est-à-dire, elle est à peine plus élevée que l'inflation elle-même qui est à 7,5%, a indiqué l'économiste.

Depuis 2009 et 2010, l'économie haïtienne est dans une phase de contraction et de dégonflement de la bulle, a constaté l'économiste. « En 2009, après les quatre cyclones, il y avait eu une première vague de flux de devises rentrant de l'aide externe. Une grande augmentation en 2010 et, depuis lors, l'économie ne va pas très bien. »

Après avoir fait toutes ces considérations, l'économiste a indiqué qu'il doit voir les justificatifs de la création de ces 400 000 emplois avant de se prononcer. Toujours est-il Pierre Marie Boisson a du respect pour les conseillers économiques du président Martelly.

Nesmy Manigat, prudent dans ses propos

L'économiste Nesmy Manigat ne veut pas s'aventurer à donner des explications sur un dossier qu'il ne maîtrise pas du tout. Dans cette interview accordée à Radio Magik 9, il a préféré indiquer qu'il ne dispose d'aucune documentation sur l'annonce de la création des 400 000 empois faite par le chef de l'Etat. « Je l'ai entendue dans la presse. Je ne sais pas dans quel secteur... », a-t-il dit.

Chaque année, a-t-il souligné, des milliers de jeunes arrivent à l'âge de travailler et ils ne vont pas attendre l'Etat pour le faire. Selon l'économiste, ces gens-là se donnent une activité. « Naturellement, avec ou sans le gouvernement, il y a un ensemble d'emplois qui est créé... Dans une politique d'emplois, on doit savoir combien il existe de salariés dans le secteur formel ou dans l'informel ou encore qui travaillent dans des programmes à haute intensité de main-d'oeuvre pendant ces deux dernières années. »

Pour lui, seule une étude peut aider à vérifier la véracité du nombre d'emplois créés en deux ans dans le secteur informel. Pour le secteur public, a-t-il ajouté, on sait qu'il existe environ 60 000 fonctionnaires. « Maintenant, si ce chiffre est passé de 60 à 100 000, c'est facile de le savoir », a-t-il dit, soulignant que la masse d'emplois ne se crée pas dans ce secteur.

M. Manigat renvoie la balle aux bases de données de l'OFATMA, de l'ONA où les employeurs sont tenus de contribuer. Cela peut aider à trouver le nombre de nouveaux emplois, a-t-il dit. Il a souligné que la santé de l'économie du pays pourrait être aussi un indicateur du nombre d'emplois créés.

Camille Charlmers rejette carrément le chiffre de 400 000

Impossible d'avoir la création de 400 000 emplois dans ces conditions, a tranché, pour sa part, l'économiste Camille Charlmers. « C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de travaux d'infrastructures, mais qui n'ont donné que des jobs de quelques semaines », a-t-il ajouté, soulignant que dans les secteurs de développement durable comme l'agriculture, l'agro-industrie et les services, il n'y a pas d'investissement qui pouvait amener à la création de 400 000 emplois.
Selon le professeur, l'équipe au pouvoir n'a créé au grand maximum que 5 000 emplois. « Il est clair que nous fonctionnons avec un gouvernement habitué à la propagande qui, très souvent, exagère dans son bilan », a-t-il critiqué dans une interview accordée au Nouvelliste. Toutefois, M. Charlmers a reconnu que la création de 400 000 emplois en deux ans est possible, « mais pas avec l'orientation économique de l'équipe au pouvoir », s'est-il empressé de souligner.

Sans succès, depuis une semaine, Le Nouvelliste tente de trouver des explications sur l'annonce de ces 400 000 emplois. Rien du côté de la présidence ni du côté du gouvernement. Personne ne veut s'aventurer.

Robenson Geffrard,
Twitter: @robbygeff
Source: Le Nouvelliste

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