Economie
Connaître l'essentiel sur les institutions indépendantes
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De même que la souveraineté est limitée, l'indépendance institutionnelle est relative. Dans un milieu a-normatif, le tour de force des générations successives est de parvenir à la stabilité des institutions. Quand la commune renommée élève au pinacle l'efficience administrative, cela signifie qu'un grand pas a été franchi. Le président américain Barack Obama, pendant l'une de ces deux visites en Afrique durant son premier mandat, tint un discours ferme sous forme de mise en garde : «L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais plutôt d'institutions fortes.» Tant que la force des institutions n'impose pas le respect à ceux qui seraient tentés de fouler aux pieds les principes établis, le gâchis s'installe. Alors, dans un objectif pédagogique, didactique, de génération en génération on retrouve des penseurs, des techniciens de la matière administrative, des connaisseurs du fonctionnement de l'administration pour cogiter, coucher sur le papier ou taper sur le clavier de l'ordinateur le produit de leurs réflexions, le résultat de leurs travaux (ou de leurs observations). Ils le font pour qu'aucun administrateur, aucun administré n'en prétexte ignorance.
Une publication intéressante
Avec le plus grand intérêt, je feuillette l'essai de droit administratif «Les institutions indépendantes d'Haïti : quelle indépendance?» (Imprimerie Henri Deschamps, 1er avril 2013, 326 pages). Son auteur, le professeur Joubert Neptune, prolonge une tradition. Parfois j'en arrive à douter de l'utilité de l'approfondissement des connaissances sur le fonctionnement des institutions supposément indépendantes, mais l'instant d'après, je me dis que c'est nécessaire de continuer à hurler sa déception sur l'état déplorable de ce qui devrait constituer le socle de l'appareil d'État.
Une coquille vide sans loi-cadre
L'indépendance administrative a été une longue quête. On est frappé de constater que vingt-sept ans après l'acquisition de ce statut, il reste beaucoup à faire. L'auteur de l'essai annonce d'emblée que «son étude se veut un plaidoyer pour l'adoption d'une loi organique qui définisse, de façon adéquate, le cadre juridique des institutions indépendantes, et, en même temps, un plaidoyer pour leur autonomie budgétaire» (page 18). Pourquoi le conseiller à la COur supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) insiste-t-il tant sur l'indépendance institutionnelle et l'autonomie budgétaire? Parce qu'il sait qu'une institution indépendante qui n'a pas les coudées franches pour exécuter financièrement sa mission est une coquille vide. D'ailleurs, il ne suffit pas que les constituants de 1986-1987 consacrent, au titre VI de la loi mère, cinq institutions indépendantes pour mettre fin aux vieilles pratiques. Le professeur Joubert Neptune souligne que seulement deux des cinq institutions sont formellement dotées du statut d'indépendance; pour les trois autres, on ne retrouve pas expressément le mot indépendance dans les articles y relatifs. En tout cas, les cinq institutions sont rangées sous le titre VI de la Constitution.
Une coquille vide si l'institution n'est pas ultérieurement dotée de loi-cadre. Ainsi donc, le caractère général de leur définition et de leurs attributions, énoncé par la Constitution, ne suffit pas. Joubert Neptune est convaincu de la nécessité de leur renforcement législatif.
La vision du constituant de 1987
J'éviterai de relayer la distinction entre décentralisation et déconcentration, notions qui ont longtemps rebuté l'étudiant en droit. Je préfère, avec l'essayiste, me livrer à un rappel historique. Après une longue mainmise du président à vie sur les institutions, le constituant de 1987 innove, il «accorde l'indépendance à cinq institutions, afin de les mettre à l'abri des immixtions du chef de l'État, du chef de gouvernement et/ou des ministres dans leur fonctionnement» (page 24). Le constituant, se souvenant du non-respect du principe de la séparation des trois pouvoirs de l'État, a donc voulu «implanter la démocratie» dans le pays, selon l'essayiste. Dans cette perspective, ont été conçues les institutions indépendantes.
Les moyens de la mission
Joubert Neptune soutient un plaidoyer pour que les cinq institutions concernées soient davantage dotées de moyens pour leur fonctionnement et en vue de leur efficacité, c'est-à -dire disposent de ressources financières et matérielles pour accomplir leur mission. L'Office de protection du citoyen (OPC) tente difficilement de jouer son rôle d'Ombudsman comme au Canada et dans les pays scandinaves (Norvège, Danemark...). Ce changement d'orientation se fait maintenant avec Mme Florence Elie, actuel protecteur du citoyen. Mais les moyens font défaut.
La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif contrôle les dépenses de l'État, approuve les contrats entre l'État et des particuliers, etc. mais dans ses attributions contentieuses, une lenteur pour rendre ses décisions est observée. Un confrère déplorait en janvier 2012, en ma présence, qu'il n'accepte plus de se constituer pour un employé du secteur public, victime d'abus de pouvoir; il y a des affaires pour lesquelles il attend l'arrêt de la Cour depuis 2004-2005. La CSC/CA manque-t-elle de bras? Il faut le croire. Je produis ces remarques pour démontrer que l'autonomie financière sera certes une avancée appréciable, mais la culture administrative doit évoluer vers la satisfaction des administrés et des justiciables.
La reconnaissance du travail des devanciers
J'applaudis des deux mains la balade de Joubert Neptune dans le droit comparé; il fait visiter au lecteur les institutions indépendantes de France, du Canada... Ce qui me rappelle le cours de Me Louis M. Lamarre à la Faculté de droit du temps où j'étais étudiant. Son doctrinaire favori était le professeur René David. La matière du droit administratif a une tradition dans sa transmission à Port-au-Prince. Quand Joubert Neptune rend hommage à la mémoire du professeur Louis C. Thomas, c'est en quelque sorte rendre justice aux devanciers qui ont maintenu vivante la flamme dans la transmission du savoir juridique dans son aspect administratif. N'en doutons pas, la lutte continue pour l'institutionnalisation; Arnold Antonin, dans le cadre du Forum libre du jeudi, avait organisé une série de conférences sur le thème «Institutionnalisation de la démocratie»; le livre de Joubert Neptune prolonge le débat. Ne croyons surtout pas que les lecteurs trouveront lassant que la cendre soit de temps à autre remuée, c'est-à -dire que la volonté citoyenne exerce des pressions pour l'implantation définitive d'une administration qui fera sortir le pays de l'archaïsme.
Le changement de statut comme une bouffée d'oxygène
Comme il faut toujours interroger l'histoire, question d'objectivité, l'auteur de l'essai «Les institutions indépendantes d'Haïti : quelle indépendance?» date l'orientation de mission des institutions sous étude à partir de 1983. En effet, le constituant de 1983 avait fait de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) et de l'Université d'État d'Haïti (UEH) des «organismes indépendants». (page 23) «Le constituant de 1987 a choisi d'aller plus loin que celui de 1983 en introduisant dans le paysage administratif trois nouvelles institutions : le Conseil électoral permanent, la Commission de conciliation et l'Office de la protection du citoyen.» (page 23) Il est intéressant de retenir que «les membres du Conseil de la Cour n'avaient pas de mandat entre 1959 et 1983. Ils pouvaient donc être démis n'importe quand». Disons mieux : selon le bon vouloir du prince. A partir de 1987, l'évolution est notable, quoiqu'il y ait encore du pain sur la planche.
Lever le voile sur les cas d'ingérence
Les cas d'ingérence, d'immixtion ne sont pas documentés. Cela est fort compréhensible. Quel chef d'État, chef de gouvernement, ministre exercerait des pressions sur le président d'une institution indépendante pour le porter à prendre une décision arbitraire, à poser un acte illégal ou immoral et le ferait par écrit, par un instrumentum? Tout reste dans l'oralité. Cependant, en avançant un fait, en se livrant à une plaidoirie, en soutenant une thèse, l'exigence de la méthode commande le recours à l'étude de cas. S'il est impossible d'archiver les ingérences, intrusions et immixtions, il reste l'expérience personnelle. Rien n'interdit, en se gardant de faire de la personnalité, de confier ce qui est parvenu à notre connaissance ou ce qu'on a pu observer ou surtout ce qu'on a vécu. Il ne suffit pas de suggérer l'intrusion pour que l'on soit cru. De toute façon, l'exercice est difficile dans un secteur qui ne pratique pas la transparence, surtout sur les déviances. Avec le vécu personnel et/ou avec les témoignages de ceux qui ont subi l'ingérence, la plaidoirie eût été plus vibrante. A moins que l'auteur observe un devoir de réserve. En tout état de cause, le regard de l'intérieur d'un haut placé dans l'une des institutions indépendantes est une indication du chemin à parcourir pour parachever l'institutionnalisation.
Pour connaître l'État
«Les institutions indépendantes d'Haïti : quelle indépendance?» est un essai qui se laisse lire. Un livre à la fois technique et pratique. Technique, on s'en aperçoit dès l'analyse conceptuelle. L'auteur opère la différenciation entre indépendance et autonomie, ce à quoi renvoie l'un ou l'autre concept. Pratique, puisque l'auteur décrit les mécanismes de fonctionnement d'une institution et ses limitations. L'indépendance est acquise du point de vue formel, mais dans la pratique, l'institution est gênée aux entournures. On se privera de l'opportunité de connaître à fond les institutions concernées - étant entendu que la liste n'est pas exhaustive -, plus largement l'État et ses modes de fonctionnement si on ne consulte pas ce nouveau livre. Avec le choix du titre, l'essayiste est dénonciateur.
Mine de rien, au fil des témoignages de hauts fonctionnaires, on parfait sa culture de la sphère publique. C'est le plus grand profit que tirera le citoyen qui lira ce nouvel essai de droit public.
Jean-Claude Boyer dimanche 12 mai 2013
Source: Le Nouvelliste