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Il existe deux douanes en Haiti: Celle de Martelly et celle de la douane nationale causant un déficit de 7,85 milliards

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L'excellente analyse de Thomas Lalime « Douane parallèle, baisse des recettes ? » mérite d'avoir une diffusion beaucoup plus large car elle permet de mettre en évidence des théories que le commun des mortels pensait tout haut mais ne pouvait pas mettre en perspective. Thomas Laline a connecté les bouts de fils, ce que les américains appellent « connect the dots ».

Au niveau de la source de revenue la plus importante pour le pays, une structure parallèle a été créé par le régime Martelly-Lamothe pour siphonner les maigres recettes de l'Etat et la résultante n'est autre qu'une stagnation ou une baisse des recettes. L'état haïtien aurait pu recueillir des recettes beaucoup plus importantes que celles claironnées par l'actuel figurant directeur de la douane.

Tout Haiti vous invite à lire ce texte qui en dit long ...

Douane parallèle, baisse des recettes ?

Thomas Laline --- J'ai eu une conversation avec un ancien cadre de l'administration publique qui a quitté le pays récemment. Je sollicitais son aide en vue de comprendre quelles pourraient être les causes de la baisse des recettes publiques, malgré la campagne gouvernementale avouée contre la contrebande et la volonté de l'équipe au pouvoir d'augmenter ces recettes.

La note sur la politique monétaire (1), publiée par la Banque de la République d'Haïti (BRH) pour le troisième trimestre de l'année fiscale en cours, précise qu'«en dépit des mesures prises par les autorités budgétaires pour minimiser les problèmes de fraude et de contrebande dans le but de renforcer les organes de collecte de l'État, les recettes fiscales ont été inférieures aux prévisions des autorités budgétaires. Les prévisions de recettes pour l'exercice 2012-2013 qui tablaient préalablement sur 52 milliards de gourdes ont été revues à la baisse pour être fixées à 44 milliards de gourdes, soit une baisse de 15%. Sur la base des encaissements enregistrés, les recettes fiscales collectées au profit du Trésor public au 19 juin 2013 s'élèvent à 32,05 milliards de gourdes. Le taux de réalisation représente environ 61.6% par rapport à ce qui avait été initialement prévu dans le budget 2012-2013 et 72.8 % si l'on considère les dernières révisions.»
Le niveau des dépenses cumulées pour l'exercice s'élève à 39,9 milliards de gourdes au troisième trimestre. En glissement annuel, les dépenses cumulées au troisième trimestre ont crû de 22,6%.

Il n'y a donc pas de doute sur la baisse des recettes et sur la persistance du déficit budgétaire du gouvernement. Le solde courant de l'État a affiché un déficit de 7,85 milliards de gourdes au troisième trimestre de 2013, révèle la BRH. Pourquoi a-t-on observé cette baisse ?
L'ancien cadre, qui était impliqué dans le traitement et l'analyse de ces données, m'a confié que ce constat était difficile à expliquer par les techniciens. Ces derniers, me disait-il, croient que l'intensification de la lutte contre la contrebande et l'évasion fiscale pourrait, peut-être, pousser certains commerçants à regagner le secteur informel. L'hypothèse me paraît plausible. Mais, en fait, les commerçants n'avaient pas forcément besoin de se convertir au secteur informel si l'on analyse bien les affaires Ernest Laventure Edouard (Mòlòskòt) et Calixte Valentin.

L'institution d'une douane parallèle ?

On se rappelle que Calixte Valentin, conseiller politique du président de la République, a été détaché à la douane de Malpasse. Il était comme un intendant à la douane de Malpasse. Quelle a été l'étendue de son pouvoir ? Quelle relation entretenait-il avec le directeur de la douane de Malpasse ? Avec le directeur général de l'AGD ? Dans ma chronique du 12 décembre 2012, je me demandais s'il y avait un Calixte Valentin dans les bureaux de douane les plus importants du pays. L'affaire Ernest Laventure Edouard (Mòlòskòt) vient d'apporter un élément de réponse à mon interrogation.

Rappelons que le journaliste-présentateur de l'émission radiophonique «Les grands dossiers» sur la radio RFM avait affirmé à la presse qu'il avait été embauché par le chef de l'État pour coordonner les douanes du pays. Que ferait alors le directeur général de l'Administration générale des douanes (AGD) si quelqu'un d'autre, sans compétence dans le domaine, devrait coordonner les bureaux de l'institution qu'il dirige?

Mòlòskòt a avoué à la presse qu'il n'est pas un technicien en gestion et administration douanières. Selon ses propres affirmations, le président Martelly lui avait dit qu'il devait représenter ses yeux et ses oreilles [les yeux et oreilles du président] à l'AGD. Il a confirmé avoir joué un rôle politique à l'AGD comme représentant du chef de l'État à qui, a-t-il dit sur Radio Caraïbes à l'émission Matin Caraïbes, il avait soumis des rapports d'avancement dans l'accomplissement de sa mission à l'AGD.

Selon les dénonciations à la justice du directeur général de l'AGD, M. Fresnel Jean-Baptiste, Mòlòskòt a émis des badges de l'Administration générale des douanes (AGD) ainsi que des permis de port d'armes à feu à un certain nombre d'individus. Il serait activement recherché par la justice haïtienne pour « usurpation de titre, faux et usage de faux » pendant que son avocat crie à la trahison. « Mon client se sent trahi et abandonné par ses [employeurs] dans cette affaire. Il avait tout le support de hauts dignitaires de l'État. Pourquoi il est maintenant livré à la justice alors qu'on pouvait régler le dossier autrement », a confié Me Harrycidas Auguste, cité par HPN. Mòlòskòt se dit lui aussi trahi par le chef de l'État, tout en précisant qu'il n'avait rien entrepris seul et sans consentement des plus hauts dirigeants de l'État.

On comprend donc que Mòlòskòt et Calixte Valentin s'instituaient en une administration douanière parallèle. Ils échappaient bel et bien au contrôle administratif auquel est censé être assujetti tout fonctionnaire public. Ils n'avaient de compte à rendre qu'à la présidence. Ils se sont attribués des pouvoirs que même le directeur général de l'AGD n'avait pas.

Jean Norlex Volcy, président du syndicat des chauffeurs haïtiano-dominicains, avait affirmé que M. Valentin faisait ombrage au responsable de la douane de Malpasse. Et qu'il gardait même les clefs des barrières, insultait à son goût les transporteurs. Il semble que Mòlòskòt était encore plus puissant. Qui, à l'intérieur de l'AGD, pouvait rappeler Calixte Valentin et Mòlòskòt à l'ordre ? Comment les douaniers comprenaient-ils leur mission en présence de ces agents de la présidence? Ne se sentaient-ils pas impuissants, diminués, démotivés, laissant ainsi faire les contrebandiers sans lever le petit doigt?

Ces agents parallèles disposaient d'un énorme pouvoir discrétionnaire qui ne pouvait déboucher que sur la corruption. Ils pouvaient faciliter n'importe quelle personne de leur choix, d'où la forte probabilité de monnayer leur service. Certains commerçants en profitaient pour éviter de payer les redevances envers l'État. Ce qui avait une incidence négative sur les recettes publiques. Et la baisse de celles-ci sera alors proportionnelle à l'ampleur du mouvement de douane parallèle institué par ces proches du Palais national.

La douane parallèle est également la résultante de la rivalité qui règnerait entre la Primature et le Palais national. Une source proche de la douane m'a confié que l'actuel directeur général est un proche de la Primature qui a été poussé vers la sortie par son prédécesseur qui était lui-même proche de la Présidence. Donc, à défaut d'avoir son propre directeur général, le Palais national aurait placé ses agents avec autant ou même plus de pouvoirs que le directeur général.

Je doute fort qu'un citoyen honnête aurait sollicité les badges et les permis de port d'armes de Mòlòskòt. Il est donc assez clair que ces badges devraient servir à leur détenteur à se défaire des redevances douanières. Quant aux permis de port d'armes émis, la police devrait analyser leur lien avec les actes d'insécurité enregistrés ces derniers mois.

Lors d'une conférence de presse, le mardi 9 juillet 2013, le directeur général de l'Administration générale des douanes a indiqué avoir collecté, pour le mois de juin, plus de 2,4 milliards de gourdes. Un véritable record pour reprendre son propre mot. Seraient-ce les retombées du démantèlement du réseau Mòlòskòt? M. Jean-Baptiste s'est contenté de préciser que cette bonne performance est le fruit du renforcement des mesures de contrôle sans trop miser sur le type de contrôle. Existe-t-il encore d'autres Mòlòskòt et Calixte Valentin dans d'autres bureaux de douane? La réponse mériterait d'être connue.

La bonne gouvernance comme planche de salut

Dans un régime de bonne gouvernance, si le président de la République identifie un problème de contrebande ou tout autre type de problème douanier à résoudre, la démarche appropriée voudrait qu'il passe des instructions au Premier ministre qui, lui, demanderait à son ministre de l'Économie et des Finances, ministre de tutelle de l'Administration générale des douanes (AGD), de proposer au Conseil des ministres un plan de lutte contre la contrebande. Une fois ce plan approuvé, le ministre des Finances instruirait le directeur général de l'AGD en vue de son application. Ce dernier, avec l'approbation de son ministre de tutelle, prendrait toutes les mesures que l'exécution du plan imposé. L'administration publique est, dit-on, hiérarchisée.

Pour superviser l'exécution du plan, les directeurs généraux des douanes de la frontière enverraient régulièrement des rapports au directeur général de l'AGD qui en dresserait l'état d'avancement au ministre de l'Économie et des Finances aux fins de suivi avec la Primature et la Présidence. Le cheminement paraît long mais la bonne gouvernance a ses exigences. Pour être efficaces, tous les maillons de la chaîne doivent jouer leur participation adéquatement.

D'un autre côté, la mauvaise gouvernance a son coût social. Et dans le cas de la douane, c'est la population qui en paie la facture. Puisque la baisse des recettes engendrera un déficit budgétaire qui, s'il est financé par l'émission monétaire, créera de l'inflation qui, à son tour, réduira le pouvoir d'achat des ménages et dégraissera leur assiette. Il revient donc à la société haïtienne et en particulier à ses élites d'exiger le règne de la bonne gouvernance. Puisque la mauvaise gouvernance et le non-respect des procédures institutionnelles ne profitent pas au pays. Elle ne bénéficie pas non plus à la présidence dont il écorne l'image et la crédibilité, car cette noble institution se retrouve être associée à des gens à la moralité douteuse. Elle rend service encore moins aux intendants nommés par la présidence qui font présentement face à la justice.

Si le chef de l'État estime qu'un directeur général de l'AGD ne représente pas assez «ses yeux et ses oreilles», il n'avait qu'à le remplacer par quelqu'un qui lui inspire beaucoup plus de confiance. Mais, imposer des agents comme des surveillants et rapporteurs (les yeux et les oreilles du président) ne peut qu'affaiblir l'institution douanière, faire baisser les recettes publiques, réduire le contrôle douanier, donc augmenter le risque d'une détérioration de la sécurité nationale, et pourquoi pas? régionale et internationale si les trafiquants d'armes et d'autres produits illicites arrivent à se défaire de la surveillance douanière. Celle-ci, il faut le reconnaître, est le pilier de toute politique de sécurité nationale efficace. Et comme les pays sont interdépendants, le manque de contrôle de l'AGD peut représenter par exemple aux yeux des États-Unis un terreau fertile au terrorisme.

(1) :http://www.brh.net/note_polmon3t13.pdf
(2) :L'affaire Calixte Valentin: un symptôme de mauvaise gouvernance,www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=111527‎

Thomas Lalime
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Source: Le Nouvelliste

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