Economie
Haïti population : des mots pour ses maux
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« N ap met kapòt… jiskobou », c’est le slogan depuis quelque temps, sur presque toutes les stations de radio. Campagne de sensibilisation du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) et de ses partenaires. Le public cible, les jeunes en particulier, n’en fait pas souvent grand cas. Ces jeunes font généralement fi des maladies sexuellement transmissibles (MST), dont le VIH. Et invités à « boule jou a » (Vwadèzil), ils s’adonnent de plus en plus à un « jwi lavi w» (Barikad Crew) effrené. Dans nos villes, et pire dans les sections communales, les centres d’attraction se comptant sur les doigts d’une main ou inexistants, les jeunes créent donc leur propre « plaisir », sans pour autant faire les meilleurs choix.
Résultats, entre autres, d’un tel comportement : croissance démographique, surpopulation, bidonvilisation et leurs corollaires, promiscuité, manque d’accès aux services sociaux de base, problèmes récurrents de santé, pauvreté, inégalités sociales, et à la suite de ces tares, frustrations, protestations, instabilité politique et, dans le pire scénario, ingouvernabilité. Et le gouvernement sera donc acculé, par faute de vision, pour n’avoir pas su bien éduquer ses citoyens, pour n’avoir pas su élaborer une politique devant répondre aux multiples besoins de la population. On se souvient encore de ces fameuses « émeutes de la faim », sous le gouvernement de Préval.
Un cas typique
Mackandal, ce quartier populaire de Jérémie, semblable aux innombrables zones à forte concentration de population à travers le pays, a pris de l’extension en dix ans. D’environ deux cents familles à la fin des années quatre-vingt-dix, il en compte aujourd’hui près de 757, avec une moyenne de six personnes par famille. Soit près de cinq mille âmes, enchevêtrées à majorité dans des maisons de fortune aux toits en tôles ondulées minées par la rouille, d’où elles mènent le rude combat de la vie haïtienne.
Une vue améliorée de Mackandal (Jérémie) : les nouveaux logements construits par la HHF. André Michelet, 28 ans, résident de la zone, félicite toutefois l’intervention de la Haitian Health Foundation (HHF), à travers sa directrice, communément appelée Sœur Marianne. En effet, grâce à un projet de construction de la HHF, de nouveaux logements plus décents s’érigent au fur et à mesure. N’empêche, déplore Michelet, que la situation sanitaire laisse toujours à désirer. Pour preuve, explique-t-il, privés de blocs sanitaires, enfants et adultes vont déféquer sur les rochers du bord de mer ou directement dans la mer, Mackandal étant situé au versant nord du centre-ville, sur la côte. Ce qui en fait donc une zone à risque exposée au furibond nordé et qui est justement évacuée en grande partie à chaque menace imminente de cyclone.
Pire encore, Mackandal est privé d’eau courante. Donc, ses cinq mille êtres vivants ne reçoivent pas directement dans la zone le précieux liquide destiné à améliorer leur qualité de vie. Parallèlement, Roseleine Milfort, 25 ans, n’en peut plus de voir, à chaque averse, les résidents patauger dans l’eau boueuse et parmi d’autres saletés. L’espace avait été occupé à qui mieux mieux, sans même un embryon de plan d’aménagement au préalable.
Les enfants vivant à Mackandal et en âge d’être scolarisés étaient disséminés, il y encore quelque temps, à travers les écoles de la ville. Heureusement maintenant à proximité, il y a l’Efacap mais qui ne répond pas tout à fait au flot des demandes. Pas d’espace de jeu, sinon un terrain poussiéreux 25x20 m pour le football et une gaguère, du moins ce qu’il en reste, où, en période électorale, les résidents reçoivent la visite des candidats qui les abreuvent de mensonges, s’est indigné Edner Nazaire, 46 ans.
Pour Mme Oder Pierre, en sa qualité de sage-femme depuis plus de vingt ans, l’alimentation demeure un problème crucial à Mackandal. Sans être savante, mais par expérience, cette matrone a ainsi abordé un facteur capital en termes de population et de développement : la survie maternelle et infantile. « Comment des femmes, interroge-t-elle, peuvent-elles donner la vie et mettre au monde des enfants sains et robustes si elles sont sous-alimentées et ne vivent pas dans conditions hygiéniques adéquates ? » Nous avons orienté la question et les appréhensions des résidents de Mackandal aux responsables régionaux du MSPP, surtout pour nous enquérir des projections du Ministère.
Le MSPP dit assurer
Les problèmes sont tellement multiples que les solutions qui y sont apportées à court ou à moyen terme ne paraissent pas évidentes. En tout cas, la prise en charge est assurée autant que possible par le MSPP et avec de plus en plus de compétences, souligne Mme Conceptia Pamphile, directrice adjointe au bureau régional de la Grand-Anse. Il est vrai, avoue-t-elle, que le pays est en butte à un déficit en matière de couverture sanitaire. Ce déficit naît en partie de la croissance et de la dynamique démographiques, lesquels, à leur tour, génèrent d’autres problèmes exigeant, selon la responsable, une gouvernance de plus en plus lucide et clairvoyante.
Mais cette gouvernance, estime Mme Pamphile, doit se situer d’abord au niveau local ou régional. En d’autres termes, chaque ville, chaque direction départementale, en mettant à profit son autonomie, devrait pouvoir assurer une prise en charge répondant aux défis liés aux questions de population : services de santé, logements, emplois, infrastructures et autres. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. N’empêche qu’un effort est consenti, estime Mme Pamphile, en vue de rendre les institutions plus efficientes, comme au niveau de la santé, en fournissant plus d’emplois, en mettant beaucoup plus de médecins, d’infirmières et d’auxiliaires au service de la population.
Malgré cela, en certaines circonstances, comme dans le cas du VIH-Sida, à côté du comportement irresponsable d’une catégorie de jeunes, une autre menace pèse sur la population, celle relative aux porteurs sains qui, par crainte de stigmatisation et de discrimination, fuient les centres de traitement. Ce qui risque également, à long terme, d’accroître le taux de prévalence et, de fait, porter préjudice à une situation économique déjà désastreuse.
Justement à ce sujet, a rappelé notre interlocutrice, nous sommes le pays au PIB le plus bas dans l’hémisphère. C’est donc là un indicateur de la situation alarmante que vit la population haïtienne. En effet, ajoute-t-elle, seulement 2 % de cette population monopolisent toutes les richesses du pays, tandis que 40 % vivent dans une situation d’extrême pauvreté, comme on peut l’observer dans les bidonvilles. Malheureusement, déplore Mme Pamphile, cette pauvreté est féminisée, en ce sens que les femmes en majorité en pâtissent. Et avec ce système de matriarcat dont la société haïtienne a hérité, Mme Pamphile ne croit pas que la population sera de si tôt au bout de ses souffrances et de ses maux.
Des maux, toutefois, que le gouvernement Martelly-Lamothe doit s’empresser de soulager, à défaut de pouvoir y apporter des réponses définitives, pour que chaque Haïtien puisse dire durablement « Katye pa m poze ». D’autant que, si l’on en croit Chateaubriand : « Dans l’ordre politique, les maux physiques causent les soulèvements et les souffrances morales font les révolutions ». Une étincelle s’est allumée cette semaine aux Gonaïves, qu’il faudra vite éteindre.
Yvon Janvier
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Source: Le Matin