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Le faux problème du salaire minimum dans le secteur d’assemblage en Ayiti

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Contexte

Suite à la décision du Conseil supérieur des salaires (CSS) de modifier les provisions de la loi de 2009 sur le salaire minimum, les revendications salariales des ouvriers du maillon d'assemblage de l'industrie textile reviennent en force, cette fois-ci, avec des manifestations de rue qui se sont soldées par la casse d'une usine de sous-traitance. Sous prétexte que l'augmentation prévue par la loi risquerait d'évincer les investissements et de relever le taux chômage, il est jugé impératif de ne pas respecter à la lettre les prescrits de ladite loi. Non seulement la décision d'augmenter le salaire minimum est tardive, mais aussi l'augmentation est nettement en deçà de ce qu'elle devrait être légalement. Les protagonistes de la loi, syndicalistes et opposants politiques, se rallient pour vigoureusement protester contre ladite décision et porter les ouvriers à réclamer plus que l'augmentation légale prévue. Sur toile de fond de faux problèmes, chaque partie semble indûment tirer la corde de son côté pour rendre effective la chasse des investisseurs tant réprouvée initialement. Que faut-il comprendre ?

Du dernier maillon d'une chaîne de production industrielle

Considérant le maillon d'assemblage comme le dernier d'une chaîne de production industrielle qui n'est pas relié à d'autres maillons capables de produire des effets d'entraînement en amont, il est incapable d'assurer la croissance économique d'une société. Sa capacité limitée d'emplois est telle, que si une croissance économique en provient, ce ne sera qu'un mirage. Il s'agit simplement de l'effet de mobilisation d'une force de travail inerte qui, en toute logique, dégage assez d'énergies pour faire osciller positivement l'aiguille de croissance économique. C'est une saccade négligeable qui, due à un minimum d'investissements, ne doit pas être assimilée à une croissance économique réelle. N'étant pas une activité engendrant d'autres valeurs ajoutées en plus que ce qu'elle apporte sur le marché local, la création de beaucoup d'emplois ne sera jamais au rendez-vous pour donner une croissance économique soutenue si le produit fini est strictement destiné au marché international. C'est le cas d'Ayiti aujourd'hui, avec l'industrie textile réduite à son dernier maillon qui est l'assemblage.

Du choix économique erroné du gouvernement

La volonté du gouvernement d'attirer les investissements est louable, mais le choix de stratégie économique la pervertit. Si dans les années 70, le maillon d'assemblage sans lien avec d'autres maillons en amont a permis au pays de connaître une croissance économique sans précédent, aujourd'hui, dans un contexte hautement compétitif et démocratique, il ne peut reproduire ses prouesses à lui seul. Alors le contexte politique international fermait les portes des pays communistes pauvres aux firmes multinationales en quête de main-d'œuvre à bon marché pour délocaliser la branche d'assemblage de leur système de production. La compétition pour la main-d'œuvre à bon marché était faible en conséquence. Comme Ayiti, pays pauvre, non communiste de surcroît avec un régime dictatorial, ne favorisait pas les mouvements des ouvriers, la délocalisation de la branche d'assemblage via la sous-traitance y portait ses fruits. Le cas étant différent aujourd'hui, il est erroné que le gouvernement en fasse un pilier de sa stratégie de développement économique pour vaincre la pauvreté qui y sévit.

Pour une nouvelle orientation

Aujourd'hui, de nombreux pays pauvres sortis du joug communiste et même ceux qui y sont encore aspirent au bien-être économique de leur population. En quête d'opportunité d'emplois, ils invitent les multinationales à exploiter leur main-d'œuvre à bon marché tout en offrant une stabilité politique et une production de qualité. La démocratie chaotique qui perdure en Ayiti fait de la stabilité politique une commodité rare, de la défense des ouvriers la cause des parlementaires, et du mouvement des ouvriers une arme politique subversive. Ce sont toutes des conditions qui font perdre au pays sa compétitivité en termes de main-d'œuvre à bon marché. En conséquence, le gouvernement devrait repenser sa stratégie économique en faveur d'une alternative structurante visant à rattacher le dernier maillon aux autres en amont de l'industrie textile. Ce secteur porteur, à haute intensité de main-d'œuvre et doté d'une forte capacité de création de valeurs ajoutées, permettrait de faire redémarrer le moteur du développement économique.

Le dilemme du salaire minimum

L'importance donnée au salaire minimum laisse croire que c'est le seul levier à manœuvrer pour, d'un côté, conserver ou faire affluer les investissements en le gardant bas, et de l'autre, améliorer la croissance économique ou réduire la pauvreté en l'augmentant. Ne favorisant pas l'exploration des pistes de solution, cette perception, agrémentée de la modification des prescrits de la loi sur le salaire minimum sans une entente préalable, met indûment face à face les sous-traitants et les ouvriers. Autant qu'un salaire apporte un pouvoir d'achat donnant accès aux biens et services capables d'améliorer les conditions de vie, il n'est d'aucune utilité et perd toute sa vertu quand ceux-là sont indisponibles, et autant, quand disponibles si son niveau ne rend pas effectif le pouvoir d'achat. Ayiti est dans le dilemme de l'indisponibilité des biens et services et du très faible pouvoir d'achat même avec une augmentation du salaire minimum. En effet, pendant que les ouvriers réclament 500 gourdes au lieu des 300 gourdes qui leur sont dues, mêmee une augmentation de 1 000 gourdes ne ferait pas l'affaire en raison du coût de la vie excessivement élevé.

Les fâcheuses conséquences d'une augmentation du salaire minimum

Considérant les enjeux donnant respectivement raison aux différentes parties selon leurs intérêts et le non-respect de la loi sur le salaire minimum, il s'ensuivrait en toute logique des conflits qui nécessitent des pourparlers pour trouver un bénéfice mutuel progressif dans le temps. Cela étant dit, l'impair commis par le CSS ne justifie nullement les revendications salariales intempestives fragilisant davantage une activité dont la capacité de création d'emplois est naturellement limitée. La grande inquiétude est le risque d'évincer les investissements. La hausse du coût de la main-d'œuvre réduirait la marge de profit des sous-traitants qui, ne l'ayant pas souhaité, porteraient les multinationales à absorber leur éventuelle baisse de profit au risque de voir les commandes réduites. Dans le cas contraire, l'intérêt de réinvestir pour créer davantage d'emplois serait minimal. Les réels perdants seraient les ouvriers qui se retrouveraient au chômage. Ce sont des conséquences contraires aux vœux des différentes parties.

En guise d'augmentation du salaire minimum

Si vaincre la pauvreté d'un peuple ne réside pas dans une quelconque augmentation du salaire minimum, mais dans l'acquisition effective des biens et services rendus disponibles, l'augmentation du salaire minimum posée comme condition d'amélioration des conditions de vie des ouvriers de la sous-traitance devient un faux problème. La situation étant ce qu'elle est, il faudrait une politique d'accompagnement social pour atténuer les frustrations de ces ouvriers en attendant un réel développement économique capable de créer davantage d'emplois et d'augmenter le pouvoir d'achat en général. Acceptant que l'augmentation du salaire minimum dans le cas du pays est loin d'être l'outil approprié pour améliorer leurs conditions de vie, l'alternative serait une politique d'accompagnement social ciblant principalement non les ouvriers eux-mêmes, mais leurs dépendants.

Conçu équitablement, un tel accompagnement devrait grandement compenser le salaire minimum, aussi bas qu'il puisse être. Partant du principe que pour la majorité des ouvriers, l'amélioration des conditions de vie de leurs dépendants importe davantage, le gouvernement pourrait mettre en place un système d'accompagnement social rationnel subventionnant leur logement, la formation scolaire de leurs enfants, leurs soins de santé, leur transport entre l'école et leur maison, et les cantines scolaires. Si les ouvriers devaient faire un choix entre un accompagnement social qui couvre tous ces aspects avec un salaire minimum de 70 gourdes et de 1 000 gourdes sans ledit accompagnement social, une majorité significative porterait sa préférence sur la combinaison de 70 gourdes avec l'accompagnement social.

Pour une stratégie de développement structurel

Une telle politique sociale n'est possible que quand le gouvernement alimente continuellement son assiette fiscale principalement à partir des impôts sur le revenu et des taxes à la consommation. Cela n'est possible que si le chômage est contenu à un taux naturel de l'ordre de 4 à 5 pour cent résultant du plein emploi positivement corrélé à une forte poussée de production et de consommation. La stratégie de développement économique y relative visant le changement structurel devrait être axée sur la transformation à effets d'entraînement en amont et en aval, intrasectoriels et intersectoriels, impliquant des activités à haute intensité de main-d'œuvre. Ce serait des sources durables de production de biens locaux capables de relancer le moteur du développement économique qui est le marché local.

Telle est une logique d'industrialisation que, si ignorée au profit du secteur de sous-traitance dans l'idée d'éponger le chômage, le gouvernement est loin de pallier les méfaits de la pauvreté dans le pays. Le problème du salaire minimum même augmenté ne sera jamais résolu. Sachant que le gouvernement n'est pas celui qui doit concrétiser une telle stratégie, il a pour rôle d'élaborer une vision d'industrialisation via un plan directeur identifiant les secteurs porteurs. Y seront définis les priorités selon les possibilités de production du pays, les objectifs à atteindre dans le temps et les modalités d'implication des investisseurs à différents niveaux d'activités de production et de distribution, au bénéfice du marché local d'abord. Outre l'invitation à faire et des avantages à offrir au secteur privé, le gouvernement doit effectivement remplir sa fonction naturelle de sécurité et de régulation pour réussir le développement structurel de l'économie.

Jean POINCY
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