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Malpasse, l'un des fronts de la bataille contre la contrebande

contrebande-malpasseDeuxième en terme de perception de taxes, la douane de Malpasse se renforce, se met en ordre de combat avec le retour d'un douanier redoutable : Jeantal Clervil. Cette bataille menée contre la contrebande avec la bénédiction de l'administration Martelly /Lamothe pour capter quelque 700 millions de dollars l'an pour le Trésor public ne fait pas que des heureux. La contestation tend à enfler sans une alternative économique à la population de cette ville frontalière.

Jeantal Clervil revient en territoire connu : la direction de la douane de Malpasse. 21 ans d’expérience au compteur, cet irréductible embrasse à bras le corps la lutte de l’administration Martelly/Lamothe contre la contrebande. « C’est la première fois que je vois autant de volonté de lutter contre la contrebande », confie Jeantal Clervil, assis derrière un bureau sans confort dans une grande salle avec des collaborateurs absorbés par le boulot.

Son diagnostic est aiguisé. « Pour les importateurs formels, on peut trouver des cas de glissements tarifaires mais pas de contrebande. L’importateur formel soumet en général son quitus fiscal, la facture de sa marchandise et la certification SGS établissant la quantité, la qualité et la valeur de sa marchandise », explique le douanier qui ne se trompe pas de cibles : les importateurs informels et les pratiques de milliers de marchands, des passeurs haïtiens durant les deux jours du marché binational, lundi et jeudi.

Agacé par l’appellation « marché binational », Jeantal Clervil indique qu’il n’y a pas d’échanges. « Ce sont uniquement les Dominicains qui vendent des produits. Cela crée un sérieux problème pour notre économie, pour les importateurs formels », explique-t-il, sans omettre de souligner que l’Etat ne perçoit aucune taxe sur ces produits entrant en petite quantité dans des tap-tap, sur des motos, à dos d’homme, dans des camions de faibles tonnages. « La contrebande fourmi est difficile à combattre », ajoute Jeantal Clervil, appelé à redresser la barre en vue de revenir à la moyenne des 170 millions de gourdes de recettes mensuelles par mois à la douane de Malpasse, le deuxième bureau d’importance en termes de perception de taxes.

Capable de critiquer ses pairs, Jeantal Clervil reconnaît cependant que l’absence de rigueur, de constance dans la lutte contre la contrebande par le passé a fini par encourager des importateurs formels  à " se greffer" sur l’informel. « Certains passent parfois par l’informel. Et l’informel est étroitement lié à la corruption », confie-t-il, sans cacher aussi que des douaniers sont dans certains cas soudoyés pour sous-facturer des marchandises.  

« Quand la responsabilité de mauvaises pratiques d’un douanier est établie, il est sanctionné », garantit Jeantal Clervil, qui veut que l’Etat rentre ses redevances, que tous les importateurs respectent les règles du jeu définies par la loi. « J’insiste et je souhaite que cela soit compris », soutient-il, sans savoir peut-être qu’en face d’un poste de la douane, à Ganthier, plus d’une dizaine de personnes hostiles à la lutte contre la contrebande gueulent leur colère.

Cela décoiffe

« C’est le travail des bourgeois, on veut tuer les pauvres», crie un conducteur furieux du fait que des camions avec les marchandises de plusieurs détaillants aient été interceptés la veille par un task force composé de policiers de l’UDMO, de douaniers et d’autres entités de l’Etat engagées dans la bataille contre la contrebande.  

contrebande-fourmi« C’est l’Etat qui a institué le marché binational. Comment voulez-vous qu’un commerçant dominicain me donne une fiche pour l’achat de deux sacs de sucre ?», s’interroge un jeune homme en sueur. « Si l’on veut fermer ce marché, l’Etat doit nous donner des alternatives. Des emplois, d’autres sources d’approvisionnement, mais le plus important, les moyens pour cultiver nos terres et ne plus avoir à acheter même le citron chez les Dominicains », exige-t-il sous les yeux du longiligne Wilguens Noel dont le camion a été intercepté et conduit à ce poste de la douane la veille au soir, en dépit, dit-il, d’une panne de pneu.

« La population n’a pas voulu que l’on m’arrête. Elle a lancé des pierres et les policiers de l'UDMO ont tiré des coups de feu», explique Wilguens Noel qui fait le pied de grue dans l’espoir de récupérer son camion. « J’avais mon bordereau de douane », assure-t-il, reconnaissant toutefois avoir bénéficié « d’une mainlevée » du douanier dans la facturation. « J’avais 70 sacs et j’ai déclaré 60 », avoue-t-il, favorable malgré tout à des mouvements de protestations pour que « l’on permette aux pauvres de survivre ».

Si les douaniers rencontrés n’ont pas voulu s’exprimer sans autorisation de la direction générale de la douane, le directeur général des douanes, Fritzner Jean-Baptiste, quelques heures plus tôt, sur les ondes de Magik 9, assurait qu’il est courant que des gens ajoutent des marchandises sur le volume d’une cargaison préalablement déclarée.

Fritzner Jean-Baptiste, engagé à fond dans la lutte contre la contrebande, indique que les douaniers sont devenus plus méticuleux dans leur travail car ils savent qu’ils sont contrôlés un peu plus ces derniers temps. Assurant que les critères de taxation de produit sont valables pour tous, Fritzner Jean-Baptiste est revenu dans la foulée sur un dossier de « facturation frauduleuse » de fer ayant fait des remous fin 2011.    

Petit problème d’interprétation

« On ne peut pas parler de cas de contrebande avéré  mais de problème d’interprétation d’imposition tarifaire », selon Fritzner Jean-Baptiste, directeur général de l’AGD. « Chaque groupe a interprété le tarif de manière différente. Dès qu’il s’agit de loi, il y a toujours matière à interprétation », indique-t-il, ajoutant que « pour résoudre le problème, il y a eu une loi de finances en application ce mois-ci ». « Je ne veux pas parler de magouilles. C’est une solution technique qui a été trouvée », soutient Fritzner Jean-Baptiste.

Si Fritzner Jean-Baptiste n'insiste pas et souligne avec précaution qu’il n’a pas travaillé sur ce dossier « traité techniquement au niveau des ministères », le désaveu de l’analyse de l’administration de  Francel Saint-Hillien est pourtant patent. L'Etat haïtien a subi un manque à gagner de quatre cent millions de gourdes au cours de l'exercice fiscal écoulé et continue de perdre de l'argent sur les importations de ronds à béton appelés couramment « fer ½ , fer ¼ , fer 3/8 », selon une note de l'Administration générale des douanes rendue publique le 18 octobre 2011 alors que  Francel Saint-Hillien dirigeait l’AGD.

D’après cette note, « ces ronds à béton importés en rouleau sont depuis plusieurs années déclarés à une position tarifaire les assimilant aux matières premières utilisées dans l'industrie de la quincaillerie, dans le but de les soustraire au paiement régulier des droits de douane. »

« Ce détournement, effectué en dépit du fait que ces produits font l'objet d'une correcte classification tarifaire dans le pays d'exportation, prive annuellement le Trésor public de plusieurs centaines de millions de gourdes. Pour l'exercice fiscal 2010 - 2011, le manque à gagner dû à ce glissement est d'environ quatre cent millions de gourdes  ( 400, 000,000.00 gourdes)», avait indiqué la note de presse, la première du genre.

Le pari du président Martelly

 Le président Michel Joseph Martelly, qui pousse les institutions étatiques à poursuivre la lutte  contre la contrebande, veut que le Trésor public capte plus de 700 millions de dollars américains l’an. L'important, c'est de trouver dans la lutte contre la contrebande à la frontière de l'argent pour construire des maisons et mettre sur pied d'autres programmes pour le peuple, avait-il dit en juin dernier. « Le rôle du président, c'est de gérer les crises, les difficultés », avait ajouté Michel Joseph Martelly qui ne craint pas la déstabilisation de son pouvoir, comme c'est le cas par le passé des pourfendeurs de contrebandiers.

Cependant, sans être un devin, l’un des manifestants de Ganthier prédit que le chef de l’Etat perdra le soutien de la population si celle-ci n’obtient pas une alternative économique au moment où cette bataille est menée contre la contrebande…

 Roberson Alphonse
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