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Ile-à-Vache : le gouvernement en mode « démineur »
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Le gouvernement explique, tente de rassurer des habitants en fronde ouverte contre le projet de développement touristique de l'Il- à-Vache. La mine antipersonnel, pour certains, c'est l'arrêté présidentielle du 10 mai 2013, déclarant l'île « zone protégée » du domaine privé de l'Etat. Le nouveau corset, les contraintes ont alimenté la peur de « l'expulsion » des habitants brandie par ceux qui sont contre le projet, estime l'administration Martelly. Elle rappelle avoir toujours misé sur « l'inclusion », « l'intégration » de la population dans le tissu économique qui se met en place. Pour calmer encore plus les esprits, le patron du fisc, Jean Baptise Clarck Neptune, révèle que la DGI va dépêcher des arpenteurs sur l'île. Après, un procès-verbal tenant lieu de titre sera délivré aux concernés. « C'est une mise à disposition de la personne ». Enquête derrière un paysage de carte postale.
Dimanche 9 mars 2014. Le soleil, presque au zénith, fait scintiller la mer bleu turquoise dans la crique de « Kay Kòk », à l'Ile-à-Vache. Des mâts braquent le vide. Ils attendent que les plaisanciers lèvent l'ancre et voiles pour que les proues se remettent à fendre les eaux de cette anse tranquille formant un fer à cheval irrégulier, surplombée par l'hôtel Port Morgan. Sur le littoral mal léché par les vagues, en face d'une mangrove, des voiliers de pêche sont amarrés. C'est une petite exposition de couleurs vives et de dévotion à Dieu. Dieu, ici, est dans toutes les sauces. On l'attend, on s'en remet à lui pour tout. A l'ombre de cocotiers, certains fraichement peints en rose et blanc à cause de la visite récente du Premier ministre Laurent Salvador Lamothe, un pêcheur, chemisette blanche trouée, casque bleu sur la tête, répare ses filets sous les yeux de deux gamins.
Pourtant, derrière ce paysage de carte postale, des gens angoissent. « L'avenir n'est pas encore clair pour le peuple », jette Vildor Pilorges, 40 ans. Né à « Kay Kòk », ce tenant d'une buvette redoute le déplacement de certaines familles pour faire place aux villas, hôtels estampillés écologiques. Dans le plan de développement touristique de l'Ile-à-Vache, on table sur la construction de plus de 2 000 chambres devant coûter au moins 200 000 dollars américains l'unité. « Je ne veux pas me déplacer car ma vie est ici, pas ailleurs », insiste-t-il, au milieu d'un écho, de murmure d'autres habitants de cette localité, l'une des 26 que compte cette île de 15 km de long sur 3 de large dans laquelle vivent plus de 15 000 personnes.
Comme un réquisitoire
Dans l'avant-cour d'une maison à Trou milieu, au terme d'une dizaine de minutes de marche dans un relief boisé, accidenté, jonché de reptiles, de bouses de vache, Genes Jérome, porte-parole d'une plate-forme d'organisation de l'ile, explique, déballe ses critiques. « Nous ne sommes pas contre le projet de développement. Nous sommes contre la façon dont le gouvernement le gère», affirme Génes Jérome, qui considère comme de la poudre aux yeux l'inauguration d'une cantine populaire Ede Pèp, d'un centre communautaire à Kay Kòk et d'une radio communautaire, « Radio voile », dépourvue d'émetteur. Suspicieux, ce leader communautaire croit que « le gouvernement cache des vérités sur le projet de développement ». Des « vérités » qu'il n'énumère pas.
Pour lui, les rapports tendus entre le gouvernement et la population sont dus à une succession de maladresses et d'un « déficit de communication ». Le gouvernement, soutient-il, devait informer, éduquer la population à travers des membres de la population formés à cet effet. « Des gens du Sodad sont passés faire un simulacre, prendre du bon temps à l'hôtel. Les messages essentiels n'ont pas été communiqués », affirme Génes Jérome.
Encore plus pugnace, Lainé Mac Donald, la vingtaine, président de « Konbit peyizan Ile-à-Vache », « favorable à l'intégration de la population dans ce projet de développement », exige le retrait de l'arrêté présidentiel du 10 mai 2013 déclarant l'île zone réservée à destination touristique ainsi que ses limites maritimes. « Cet arrêté a dépossédé plus de 15 000 paysans de la terre travaillée pendant longtemps par leur aïeux », souligne Lainé Mac Donald, qui dénonce « un génocide culturel et économique ». « Depuis cet arrêté, un paysan ne peut plus construire ou reconstruire sa maison sans autorisation expresse du ministère du Tourisme, donner son lopin en exploitation à un autre », détaille-t-il, critique à l'endroit des responsables de ce projet. « Ils ne tiennent pas leurs paroles, jouent sur les mots », accuse Lainé Mac Donald, acide face à ce qu'il appelle « la répression contre le peuple ».
Il révèle que trente mandats d'arrêt sont dans les tiroirs afin de mettre au vert les principaux leaders du mouvement de protestation qu'il qualifie de « pacifique ». « C'est dans cette dynamique de persécution que le policier Martinez, habitant de l'ile, a été arrêté pour un homicide involontaire, 14 mois après les faits survenus pendant une patrouille quelque part à Delmas à cause d'un fusil T-65 défectueux. Nous réclamons sa libération », affirme Lainé Mac Donald, déplorant au passage le caractère autoritaire du député Jean Fénel Tanis qui, dans le cadre de la construction de la route Kay Kòk /Madame Bernard, n'a pas prévu de compensation pour les paysans concernés. Lainé Mac Donald déplore l'étiquette de « bandits », « de « voyous » accolée aux manifestants. Il affirme aussi que ceux qui protestent ne sont pas « marionnettes utilisées par des mains politiques tapies dans l'ombre ».
L'autre son de cloche
Fritz César, l'agent exécutif intérimaire, indique que des habitants de l'ile ont coupé la route pendant des manifestations. « Récemment, j'ai été agressé », révèle-t-il, assurant que la mairie n'a réprimé aucune manifestation. L'agent exécutif intérimaire reconnaît par ailleurs que la grande faiblesse du projet de développement de l'île-à-Vache est la communication. Fritz Cezar déplore au passage la méfiance et la colère provoquées par la construction de la route Kay Kòk/Madame Bernard avec les 10 millions de gourdes allouées aux projets communaux. « Le député avait dit que la construction de la route était une affaire d'Etat et qu'il n'avait pas de dédommagement », selon Fritz César.
Sur l'ile, il y a actuellement 20 agents de la CIMO, 20 agents de la BIM, 4 policiers administratifs. Bientôt, 10 nouveaux policiers y seront déployés, confie l'inspecteur Lauture Jean. « Il n'y a pas de répression. Je n'ai rien à reprochr aux habitants de Kay Kòk », indique-t-il, reconnaissant qu'il y a à la « Hatte » des gens qui ont eu recours à la violence.
Paroles d'hôteliers
« Je n'ai pas vu de répression. La police a évité que la cela déborde », estime Didier Boulard, manager de l'hôtel Port Morgan, 25 chambres avec un taux de fréquentation de 70 % d'étrangers. Ce Français installé sur l'ile depuis 21 ans croit qu'il faut « que la population écoute bien et ne dénature par les messages du gouvernement ». « Il y a des gens qui sont en train de manipuler la population à cause de leurs intérêts politiques », poursuit Didier Boulard, soulignant « qu'il n'a jamais été dit qu'on allait expulser les habitants de l'Ile-à-Vache ». « La communication sur ce projet n'a pas été rapide et suffisant face à un risque de manipulation encore colossale », soutient Didier Boulard. Le projet est porteur de développement, de travail pour les habitants qu'on devra former, affirme-t-il.
« Il faut que le gouvernement continue de discuter avec les habitants de l'ile sur les sujets qui fâchent », conseille pour sa part Fernand Sajous, propriétaire de l'hôtel Abaka Bay Resort dont la plage figure parmi les plus belles au monde, selon un classement rendu public l'an dernier par CNN. Il rappelle qu'une « zone touristique a besoin de paix » pour bien fonctionner. Le plus tôt que des solutions seront trouvées par des gens qui connaissent bien le milieu, mieux ce sera, estime Fernand Sajous.
Le gouvernement explique, propose des solutions
Ce lundi, en conférence de presse, la ministre du Tourisme, Stéphanie Balmir Villedrouin, affirme que le gouvernement recevra bientôt le cahier des charges de plusieurs organisations de l'île. Les discussions avec elles se poursuivront. « Il y a des gens méchants qui ne veulent pas un meilleur avenir pour l'île et pour le pays », tance Stéphanie B. Villedrouin, rappelant comme une tigresse que le gouvernement a toujours priorisé « l'inclusion de la population dans le projet de développement de l'Ile-àVache ». Le gouvernement se soucie de la population et crée les conditions pour que Ile-à-vache soit une destination touristique. Pour illustrer, la ministre du tourisme évoque les deux résolutions pétrocaribe 18.5 millions de dollars sur l'ensemble de 48 millions à investir dans les infrastructures sociales, les infrastructures et dans l'agriculture pour libérer le potentiel agricole de l'Ile-à-Vache. Elle assume que désormais, il y a des restrictions. Il y a un environnement à préserver, souligne Stéphanie Balmir Villedrouin. Dans les sites où les villas et hôtels estampillés écologiques seront construits, il ya des gens qui seront relocalisés dans des habitations décentes pourvues des services de base, garantit la ministre du Tourisme.
Jean Baptiste Clarck Neptune, qui rejette la manipulation de la population par des « bandits » et des forces obscures, précise que toute l'ile n'est pas concernée par l'aspect relocalisation de population. D'un autre coté, le patron du fisc rappelle que l'ile est du domaine privé de l'Etat. Sous Duvalier il y avait le bien rural de famille et des fermiers de l'Etat. Aujourd'hui, dans beaucoup de cas, il y a des gens qui occupent des terrains de générations en génération sans avoir de papier.
Pour calmer les esprits, Jean Baptise Clarck Neptune révèle que la DGI va dépêcher des arpenteurs sur l'ile. Après, un procès-verbal tenant lieu de titre sera délivré aux concernés. « C'est une mise à disposition de la personne », assure-t-il, assis à côté d'autres officiels du gouvernement qui ajuste les actions, corrige, recadre pour la réussite du projet-phare de l'administration Martelly/Lamothe géré par la ministre du tourisme. « Ce projet réussira », affirme-t-elle, comme une gestante en travail qui accepte les douleurs avec en ligne de mire le bonheur à savourer de mettre un bébé au monde. « C'est le projet du gouvernement, c'est le projet d'Haïti, d'un pays à remettre sur la carte touristique mondiale », souligne Stéphanie Balmir Villedrouin.
Roberson Alphonse
Source: Le Nouvelliste
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