Economie
Plaidoyer en faveur d'une nouvelle orientation de l'industrie textile
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Voilà un livre qui va susciter l'intérêt des lecteurs. Technique il est vrai, mais à la portée de tous. Par son argumentation serrée et par le souci de poser les enjeux du secteur de la sous-traitance. Quels avantages tirons-nous des choix effectués ? L'auteur est très critique et se montre constructif
Faire l'économie de l'histoire industrielle.
Tout est aéré chez Jean Poincy. Avec les intertitres, le lecteur se fraye aisément un chemin dans la découverte de sa recherche sur l'industrialisation en Haïti. Il y manque seulement l'histoire de l'industrie locale, puisque, même embryonnaire, cela a existé. Je considère que le chercheur Jean Poincy mentionne les orientations prises à partir des années 1950. «Les années 60 sont marquées par une politique de l'industrialisation axée sur la substitution à l'importation (SI)», mentionne-t-il. C'est bien, mais ce n'est qu'une mention. Alors qu'il est approprié en histoire de
l'économie de démarrer une recherche de cette importance par un chapitre sur l'effort d'industrialisation entamé, ne serait-ce que pour rendre hommage aux pionniers, à ces entrepreneurs qui avaient la foi «dans le destin de grandeur» du pays d'Ayiti. Il y en a qui avaient commencé à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. A ces «capitaines d'industrie», hommage est dû, et dans tout travail scientifique, ils ont leur place. Je regrette vraiment cette omission, cet oubli dans l'essai «Refondre la chaîne de l'industrie textile en Ayiti» (C3 Group Editions, 2012).
A propos de textile (c'est-à -dire de l'habillement), n'est-il pas indiqué de revenir sur le fiasco du sisal (c'est-à -dire la pite) ? Des plantations entières de pite, une usine de transformation : la SAFICO, puis la mort de cette activité. Ou encore le cryptostegia. Des plantations à perte de vue de cryptostegia, matière première rentrant dans la fabrication du caoutchouc. C'était pendant la guerre. Puis rien. Parce que l'hévéa avait pris le relai. Tout cela fait partie de l'histoire agricole et industrielle d'Ayiti. Leur rappel n'est jamais de trop.
L'unité thématique de la sous-traitance
Il est vrai que Jean Poincy a choisi l'unité thématique : la sous-traitance. Le produit connait à Port-au-Prince un stade de transformation, la finition se fait à la maison-mère. Quand la sous-traitance est arrivée chez nous, on vanta sa principale qualité à savoir qu'elle allait contribuer à lutter contre le chômage, améliorer les conditions de vie du «lumpen-prolétariat», de ces populations qui s'installent et croissent dans les environs de la capitale sous la poussée de la migration rurale. Occuper les bras constituait l'objectif de cette option. Mais c'était sans compter avec la formation professionnelle qui assure une meilleure qualification. De plus, où est l'avantage avec les bas salaires ? Car la compétitivité est conditionnée par une rémunération insignifiante dans l'opération, on ne voit pas la valeur ajoutée, c'est-à -dire ce que la sous-traitance apporte à la croissance. Combien de points la croissance grappille-t-elle avec l'implantation des usines de transformation partielle ? Plus important : l'amélioration des conditions de vie de ces femmes et hommes oeuvrant dans ce secteur en offrant leur force de travail. Car c'est ça qui fait reculer dès lors que se dessine la perspective de travail en usine. «Fyèl mwen fin pete», se lamentent les intéressés.
Un travail méthodique
Ces considérations me viennent à l'esprit - et je ne peux m'en empêcher - en parcourant le travail méritoire de l'économiste Jean Poincy sur le textile. Il aborde le contexte de la délocalisation de la production en Ayiti. Dans ce chapitre, il ne néglige aucun aspect : comment est apparue la fièvre industrielle ? Poincy fournit l'explication de la nouvelle répartition des activités de production. Les firmes étrangères ayant opté pour les filiales-relais afin de contourner le protectionnisme et écouler directement les biens manufacturés,le lecteur est ainsi informé : «Une autre dimension de la présence des firmes étrangères est perçue à travers la filiale-atelier comme unité de production.» Plus l'on avance dans la lecture, plus on fait provision d'informations. L'aération du travail facilite l'approfondissement de la lecture.
Au deuxième chapitre, le chercheur formule des propositions constructives. Il suggère de repenser la parité de la CBTPA (Caribbean Basin Trade Partnership Act) à l'AGOA (African Growth & Opportunity Act), plus concrètement la production d'intrants en Ayiti comme opportunité économique. A ce stade, serait utile une liste des sigles. De même une biographie, un inventaire de la documentation.
Le modèle taïwanais
Dans le 3e chapitre, il recommande de bien penser la présence taïwanaise dans l'industrie d'assemblage et réfute l'argument de l'avantage comparatif. Selon lui, c'est «un justificatif économique mal fondé». Cependant, Poincy offre l'image de Taiwan comme modèle économique. Ayiti devrait s'en inspirer. Par ailleurs, le chercheur ne cache pas son scepticisme à propos de la loi Hope qu'il compare à une bouffée de gaz carbonique (notez bien : il ne dit pas une bouffée d'oxygène pour l'économie Ayitienne). HOPE est à ses yeux une illusion économique, un mirage d'espoirs. Manifestement, il est sans illusion sur l'orientation prise, et c'est là faire montre d'un grand courage. «Je regrette d'avancer que cette bouffée d'espoir n'est que du saupoudrage économique.» Hope ne vaut pas la chandelle, martèle-t-il. Enfonçant le clou, il déclare : «Hope est sans espoir». «La décevante Hope» est donc le coup de grâce.
L'illusion levée avec HOPE
Le débat sur l'option de l'industrie d'assemblage ayant tourné à la polémique, Jean Poincy prend position pour de réelles retombées économiques en faveur de son pays et de la population active qui vend sa force de travail dans la zone industrielle de la capitale. Sa plaidoirie pour la refondation de la chaîne textile en Ayiti ne doit pas tomber dans de sourdes oreilles. Le gouvernement et les entrepreneurs industriels gagneraient à tenir compte de ces propositions constructives. Pour de meilleures négociations avec les partenaires extérieurs.
Jean-Claude Boyer
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30 mai 2012