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Deux aéroports dans le Sud, un gaspillage de ressources

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L'un des maux endémiques des pays pauvres n'est pas forcément l'absence ou le manque de ressources mais plutôt le gaspillage de celles-ci. Haïti n'échappe pas à ce constat. Je me bornerai à citer quelques exemples.

Le premier est le projet de construction de deux aéroports dans le département du Sud, plus particulièrement aux Cayes, à quelques kilomètres d'intervalle. Notre confrère Valéry Numa, à l'émission Vision 2000 à l'écoute du lundi 17 février 2014 sur Radio Vision 2000, a informé que l'un des grands investisseurs du vaste projet touristique de l'Ile-à-Vache menace de ne plus investir un sou si le gouvernement poursuit son projet de construction de l'aéroport Antoine Simon des Cayes. Cet entrepreneur veut, selon toute vraisemblance, éviter cette concurrence qui nuirait à la rentabilité de l'aéroport de l'Ile-à-Vache.

Cela veut tout simplement dire que, selon cet entrepreneur, avoir deux aéroports dans le même département pour la demande actuelle dans le secteur est un gaspillage de ressources. Je voudrais bien voir l'étude de rentabilité de ces deux projets. Car même les lignes aériennes locales n'ont pas trouvé rentable la nécessité de desservir régulièrement le département du Sud. Par rapport au prix de ce mode de transport, la majorité des voyageurs ont préféré prendre les autobus climatisés de plus en plus confortables, réguliers et rapides. Les lignes aériennes locales exigeaient en moyenne 160 dollars américains pour un aller-retour Cayes/Port-au-Prince. Le niveau de la taxe aéroportuaire serait un des éléments qui empêchaient les opérateurs aériens locaux de fixer un prix plus abordable.

Mais le gouvernement avait-il vraiment besoin d'un investisseur étranger pour lui intimer l'ordre d'arrêter l'un des deux projets ? Ne pouvait-il pas comprendre qu'il serait mieux d'avoir un aéroport à l'Ile-à-Vache ou celui d'Antoine Simon et de mettre en place un moyen d'assurer convenablement le trajet Cayes/Île-à-Vache?

Si le gouvernement choisit de finaliser les deux aéroports, y aura-t-il une clientèle pour les alimenter de façon à les rendre tous deux rentables ? Certainement non. Puisque l'aéroport Antoine Simon a été déjà initié, si l'on décide de l'arrêter pour se concentrer uniquement sur celui de l'Ile-à-Vache, les ressources déjà utilisées dans ce projet seront purement et simplement gaspillées. Or, sans un aéroport, le projet touristique de l'Ile-à-Vache perdra probablement de son rayonnement.

La ville de Montréal, considérée comme la grande métropole du Québec, a fait l'expérience de deux aéroports internationaux: l'aéroport Pierre Eliott Trudeau et l'aéroport de Mirabel. Le deuxième a été construit pour décongestionner le premier. Mais au fil du temps, avec la concurrence de l'aéroport de Toronto, situé dans une autre province canadienne, l'aéroport de Mirabel trouve de moins en moins de clients. Finalement, en 2004, il a dû fermer ses portes au trafic international. Si une grande métropole comme la ville de Montréal ne peut contenir deux aéroports internationaux, qu'en sera-t-il de la ville des Cayes ?

En fait, si le maillage routier national était adéquatement réalisé, avec la fréquentation actuelle, Haïti n'aurait pas besoin de plus de trois aéroports. Un pour le Grand Sud, l'autre pour le Grand Nord et un aéroport international Toussaint Louverture digne du nom du héros à Port-au-Prince. Les trois doivent prévoir des plans d'agrandissement pour faire face à toute éventuelle croissance de la clientèle. Si le réseau routier reliant ces départements est en bon état, tous les grands centres urbains nationaux se situeront à moins de quatre heures de course en voiture de ces trois aéroports.

Le deuxième exemple est le projet de construction des stades piloté par le fils du président, Olivier Martelly. Grande a été ma surprise d'entendre le directeur technique national de la Fédération haïtienne de football (FHF), M. Wilner Étienne, déclarer que les stades construites ne répondent pas aux critères d'un terrain de football standard. M. Étienne était l'invité du chroniqueur sportif John Chéry à son magazine hebdomadaire du samedi sur Radio Métropole. Ce qui voudrait dire que l'État dépenserait beaucoup d'argent pour construire des terrains de football qui ne respectent pas la norme en la matière. Ainsi, dans le cadre d'un projet sportif national cohérent, il faudra alors réévaluer ces chantiers. Idéalement, il vaudrait mieux construire trois ou quatre terrains de sport réguliers sur le territoire national au lieu d'en avoir six ou sept qui ne respectent pas les normes. Un prochain président construirait trois ou quatre autres. Et sur un horizon de 15 ans, tous les départements disposeraient d'un stade en bonne et due forme.

En vue de dépenser de façon optimale les ressources publiques, les pays développés adoptent un modèle de construction d'écoles publiques avec un terrain de jeu et un amphithéâtre pouvant accueillir spectacles et concerts. D'une pierre, on fait alors plusieurs coups. L'État contrôle l'accès et la qualité de l'éducation tout en offrant la possibilité aux jeunes de développer leurs talents sur les plans sportifs et artistiques (danse, théâtre, musique, etc.). Cela permet également au gouvernement de réaliser des économies d'échelles. Car, la clôture de l'école servirait pour le terrain de sport. Et le même local servirait d'espace de loisir. Voilà ce à quoi devrait servir les fonds du Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (Psugo). Ce serait un investissement rentable susceptible de promouvoir le développement national. Présentement, la structure du programme s'assimile plutôt à une consommation.

Un troisième exemple de gaspillage de ressources est la réalisation de trois carnavals à Carrefour, Pétion-Ville et Delmas alors qu'une seule activité sur le Champ de Mars aurait accueilli tout le monde. Qui pis est, deux mois plus tard, le président de la République confesse que les caisses de l'État sont vides.

Mais cette pratique de gaspillage ne date pas d'aujourd'hui. Pour prendre un autre exemple récent, sur la route nationale # 1, près de Gonaïves, le passant attentif peut remarquer le tracé parallèle d'un pont abandonné qui devait être, selon les propos de l'ex-Premier ministre Gérard Latortue, le pont le plus long de la Caraïbe. Selon les informations disponibles, l'étude technique n'a pas été convenablement réalisée. La compagnie Estrella qui a réhabilité ce tronçon n'a finalement pas jeté de pont. Et le chantier entamé ne peut être récupéré, les fonds décaissés par l'administration Alexandre / Latortue non plus.

Un ancien ministre des Travaux publics, Transports et Télécommunications (MTPTC) m'avait avoué qu'il se retrouvait dans l'obligation de reprendre de nombreuses études techniques pour la construction de tronçons routiers puisqu'elles présentaient des failles évidentes. Or, en l'absence des études techniques rigoureuses, le risque de gaspillage des ressources demeurera toujours élevé. Un pays pauvre aux caisses vides qui gaspille les maigres ressources dont il dispose, le paradoxe est bien saisissant !

Thomas Lalime
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