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EDH : principale source d’appauvrissement de l’Etat haïtien

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Par Etzer S. Emil --- L'Electricité d'Haïti (EDH), devenue de façon juridique un organisme d'Etat à caractère commercial et industriel à partir du décret du 9 août 1971, a été créée avec l'objectif de produire, transporter, distribuer et commercialiser l'électricité à travers le pays. Cependant, loin d'être une entreprise commerciale pouvant générer des profits, EDH constitue depuis des années un lourd fardeau pour le budget national.

Face à la croissance de la population haïtienne et l'augmentation du nombre des consommateurs et des besoins énergétiques à travers le pays, l'Etat haïtien se voit dans l'obligation à chaque année fiscale de mettre davantage de fonds à la disposition de ce secteur pour des résultats au rabais.

Faute de réforme, le fardeau que représente EDH est devenu chaque jour plus lourd, plus insupportable pour les ressources publiques déjà très maigres et insuffisantes par rapport aux obligations de dépenses et d'investissement de l'Etat. Le gouverneur de la BRH a affirmé au cours de la conférence de presse du 14 juillet 2015 que le financement public de l'EDH avait atteint 450 millions de dollars par an, soit un peu plus de 24 milliards de gourdes. En d'autres termes, la facture annuelle de l'EDH représente plus de la moitié des recettes effectives de l'année fiscale 2013-2014 qui étaient autour de 45,42 milliards de gourdes alors que les prévisions tablaient sur des recettes de l'ordre de 50,9 milliards de gourdes. À souligner également que le soutien financier de l'Etat à l'EDH correspond à peu près au montant des budgets annuels du MENFP et du MSPP combinés, soit 25,6 milliards de gourdes.

Cette facture de 24 milliards de gourdes de l'EDH dépasserait également la valeur totale du déficit budgétaire prévue sur l'année fiscale 2014-2015, soit 19,2 milliards de gourdes. Sur les huit premiers mois de l'exercice fiscal en cours (octobre 2014-mai 2015), l'Etat a enregistré un déficit moyen mensuel de l'ordre de 1,6 milliard de gourdes (Note de Politique Monétaire de la BRH, juillet 2015). L'on pourrait ainsi déduire que sans cette facture de l'EDH pour le Trésor public, le budget de l'Etat serait peut-être en situation excédentaire. On est tenté de dire que l'inexistence de l'EDH dans le domaine de l'Etat serait une meilleure situation pour les finances publiques. L'EDH, loin de pouvoir générer des profits supportant l'Etat dans ses obligations, absorbe près de la moitié de ses maigres recettes. Les revenus annuels de l'EDH qui sont autour de 60 millions de dollars sont plus de 7 fois moins élevés que cette subvention accordée par le Trésor public à cette compagnie. Ce financement public destiné à l'EDH représente l'une des principales sources de déséquilibre budgétaire du pays pour ne pas dire la première source au-delà des dépenses inutiles et non-productives et d'un certain manque à gagner volontaire ou non au niveau des recettes fiscales et douanières.

En outre, malgré l'apport financier du trésor public, les subventions de la BID, de l'ACDI, de l'USAID et de la Banque mondiale, et la nomination de cinq directeurs généraux durant les quatre dernières années, l'EDH n'arrive toujours pas à fournir un service adéquat au tiers de la population haïtienne et ne cesse d'être une entreprise déficitaire. Les chiffres parlent de seulement 28% des foyers en Haïti qui ont un accès régulier au réseau électrique (Banque mondiale, 2014), dont la moitié de façon illégale sans parler du nombre d'heures effectives d'électricité pour ceux qui y ont accès.

La République dominicaine, pour ses 10 millions d'habitants, dispose d'un réseau électrique bien plus moderne que le nôtre et doté d'une puissance de plus de 3 000 mégawatts, soit d'une capacité 13 fois plus puissante que celle de notre réseau, qui ne fonctionne que partiellement. Haïti affiche une consommation d'électricité per capita inférieure à 75 kWh par an, l'un des plus bas niveaux du monde.

En 2010, les pertes techniques et commerciales combinées d'électricité ont été d'environ 75 %, selon les données de la Banque mondiale. À côté de son déficit, l'EDH perd les trois quarts de sa faible production. Un autre problème identifié, c'est le faible niveau de compétitivité-prix du kilowatt/heure qui, selon la BID, est vendu à un prix relativement élevé, soit à 0,38 dollar, un tarif bien supérieur à la moyenne de la Caraïbe qui est de 0,33 dollar. En République dominicaine, il est vendu à 0,20 dollar. Le consommateur haïtien moyen, qui est théoriquement 15 fois plus pauvre qu'un citoyen caribéen moyen, se trouve dans l'obligation de payer le courant électrique à un coût plus élevé que la plupart de ses voisins.

Vis-à-vis de cette source d'énergie à la fois coûteuse, irrégulière et de puissance faible, plusieurs entreprises décident de divorcer d'avec les services de l'EDH pour totalement utiliser une source d'énergie alternative interne.

Il serait souhaitable d'identifier un autre modèle de production et de commercialisation de l'énergie en Haïti. L'EDH a fait son temps et a probablement fait le bonheur du pays à un certain moment de son histoire, mais aujourd'hui, son fonctionnement se résume tout simplement à un désastre économique et un échec de gouvernance. Son existence et son mode d'opération est un poids pour le budget national et a causé la faillite de nombreuses entreprises privées. Il faut avoir le courage de le dire et l'audace de questionner l'avenir de cette institution et ses incidences sur les perspectives économiques du pays. Si le «E » d'énergie était parmi les cinq principaux axes de la présidence de M. Michel Martelly, la situation de ce secteur prouve aujourd'hui que ce «E» n'était qu'un slogan car aucune véritable réforme de ce secteur n'a été enclenchée sinon quelques interventions isolées et quelques projets de petite taille et à faible impact. Jamais on n'a tenté de changer de manière profonde ce modèle d'affaires. Jamais on n'a voulu questionner ce monopsone contrarié qui appauvrit le pays, pendant qu'il enrichit un petit groupe de producteurs indépendants d'électricité. L'EDH est en fait la résultante d'un déficit de gouvernance, d'un modèle de production défaillant et désuet, d'un modèle économique inefficace et d'un modèle de distribution et de commercialisation déficient.

Je ne saurais dire s'il faut privatiser cette entité ou s'il faut développer un partenariatpublic/privé pour sa gestion, ou trouver une autre formule, mais je sais qu'il faut nécessairement se débarrasser du modèle existant et travailler pour aboutir à un nouveau modèle de l'EDH qui soit rentable, productif et compétitif, et qui viendra booster les activités économiques et permettre à l'Etat de gagner de l'argent et non pas de creuser son déficit budgétaire.

Professeur Etzer S. Emile,
M.B.A Economiste
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Source: Le Nouvelliste