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Pour débusquer la corruption dans l’utilisation des fonds PetroCaribe (1 de 2)
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Leslie Péan, 26 avril 2016 --- Une chose est claire, le détournement illicite de plusieurs centaines de millions de dollars de PetroCaribe, largement et régulièrement dénoncé par la clameur publique au cours des huit dernières années, n’aurait pas pu se produire sans la complicité active ou passive de plusieurs institutions d’Etat chargées de veiller au grain. Il doit y avoir eu un fil conducteur, un noyau dur, pour faire tourner la machine malgré les risques associés aux nombreuses dénonciations, aux changements de présidents, de premiers ministres et de parlementaires. C’est dans ce noyau dur que se trouve la clé du mystère PetroCaribe géré par le Bureau de Monétisation de l’Aide au développement (BMPAD).
De quoi s’agit-il ?
Il est question d’un complot diabolique tramé contre Haïti. Un complot qui dure depuis plus de huit ans et qui aurait fait la fortune de politiciens, d’affairistes et même d’étrangers au détriment du peuple Haïtien. Toutes les institutions ont baissé les bras devant la machine infernale de corruption mise en place sous le président René Préval en 2007 autour du projet PetroCaribe et reprise en main par le Président Martelly en 2011. Sur certains postes clés, aucune remise en question n’a été faite. Michel Martelly a tenu à garder dans son escarcelle Jean-Max Bellerive [Premier Ministre et Ministre de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE)], Hervé Day (chef de cabinet du Premier Ministre), Michaël Lecorps (directeur du BMPAD), Harold Élie (président de la Cour Supérieure des Comptes) et Wilner Valcin (Secrétaire d’Etat à la Planification).
Serait-ce parce que ce quintet détient les clefs de la machine kleptocratique ? La mainmise sans limites du quintet, interrompu brièvement par l’arrivée de Garry Conille, est rapidement contournée par Hervé Day, nommé à dessein, Ministre de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Il fallait garder Conille loin du savoir-faire de l’épouvante, ce qui ne l’a pas empêché de mettre le doigt dans la mécanique en réclamant les 41 contrats signés par Bellerive en tant que Ministre de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE).
Loin d’être un archaïsme à fleur de peau, la distribution des ministères est pensée et calculée pour protéger la machine de corruption mise en place par Préval. Cette distribution est conservée par Martelly qui la condense dans son articulation propre en y ajoutant la touche de sa musique Tèt Kale. Il n’a donc rien inventé. Juste de la diversion avec ses trivialités qui se répandent partout. En contrepoint ! Sur fond de gouyades et autres déhanchements exposant ses fesses en portant un tanga ! Une façon comme une autre de manifester sa joie d’épaissir le mystère intérieur de la dilapidation des fonds PetroCaribe qui touche toute la population. La flamme prometteuse de la corruption allumée par le gouvernement Préval est entretenue et l’orchestre Martelly lui donne même valeur de symbole.
La Commission Latortue
Jusqu’ici, les efforts faits pour signaler cette forfaiture[i] sont restés infructueux. Il n’y a aucun battement de cœur sur la volonté d’oubli. En dépit de la création de la Commission Anti-Corruption et Ethique du Sénat par le sénateur Youri Latortue qui veut se pencher théoriquement sur les manipulations frauduleuses des fonds PetroCaribe dénoncées dans les media.
Le président provisoire Jocelerme Privert a enfoncé le clou en déclarant que seulement « 5 % des contrats entre l’Etat et des compagnies privées ont été passés dans le respect de la loi »[ii]. L’atmosphère s’obscurcit et s’épaissit. Loin du paysage paradisiaque que le gouvernement antérieur voudrait présenter, le président Privert affirme : « Pour beaucoup de ces contrats, les décaissements ont été faits mais les travaux n’ont pas été effectués »[iii]. De plus, le président Privert indique l’effet ricochet dévastateur de la gabegie en disant : «Nous devons beaucoup d’argent aux compagnies chargées de faire des travaux à travers le pays. Pour l’instant, la majorité de ces projets sont à l’arrêt»[iv].
En particulier, Radio Zenith a présenté des dossiers de surfacturation systématique indiquant que les prix des travaux effectués ne correspondent pas aux prix payés aux entreprises. C’est le cas particulièrement avec des dizaines de terrains de football qui ont été facturés à 13 millions de dollars chacun alors que les coûts réels se situent entre 1 et 5 millions de dollars. Les décaissements ayant été supérieurs aux coûts effectifs des projets, un audit financier et technique s’impose pour faire la lumière sur le programme de construction de ces terrains de football qui avait été confié par le président Martelly à son fils âgé de 22 ans.
Cette Commission se propose d’investiguer les contrats exécutés et qui ont permis la dilapidation des fonds PetroCaribe au cours de la période 2008-2016, dont des centaines de millions de dollars sont dans le brouillard. Il importe de savoir garder raison en analysant sans complaisance le dispositif de corruption mis en place. Il s’agit d’indiquer que le raisonnement de la Commission ne tient pas la route, qu’il est inconsistant et spécieux. Cinq premiers ministres ont été convoqués pour faire la lumière sur les fonds dépensés. Une procédure singulièrement insolite !
Dans la foulée, les premiers ministres convoqués par cette enquête de la Commission Anti-Corruption et Ethique du Sénat haïtien sont : Michèle D. Pierre-Louis (5 Septembre 2008-11 Novembre 2009), Jean-Max Bellerive (11 Novembre 2009-18 Octobre 2011), Gary Conille (18 Octobre 2011-16 Mai 2012), Laurent S. Lamothe (16 Mai 2012-14 Décembre 2015) et Evans Paul (16 Janvier 2015-26 Février 2016). La précipitation avec laquelle cette Commission a été créée ainsi que sa présidence par Youri Latortue qui fait l’objet d’une certain nombre d’accusations et de dénonciations, soulèvent bien des questions. Certains y voient une outrageuse provocation. C’est le cas avec les associations de la société civile telles que Sèk Gramsci, GREPS, LAKOU, UNNOH, MODEP, MOLEGHAF, GRAD[v]. Tout en étant contre toute dérive visant à transformer le détail en nécessité et le risque en évidence, il importe de sortir de la pénombre en démêlant les nœuds qui laissent croire que la Commission vient à la rescousse des bandi legal.
Quels sont les dossiers préparés par la Commission Anti-Corruption et Ethique du Sénat avant de convoquer les premiers ministres ? De combien de personnes et d’experts se composent la dite Commission ? Quelles sont les complicités des institutions telles que la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE), le Parlement, la Primature et surtout le Bureau de Monétisation des programmes d’Aide au Développement (BMPAD) dans le brigandage orchestré dans l’utilisation des fonds PetroCaribe de 2008 à 2016, soit pendant huit ans ?
Une fuite en avant et une cavalerie
La corruption du sens, qui a fait qu’un pays ait accepté d’abord le cancre Jean-Claude Duvalier de 19 ans comme président, puis un dirigeant de l’acabit de Martelly, n’habilite pas à espérer grand chose. À moins qu’un soulèvement général fasse changer de certitude ! Et c’est pour apporter une pierre à l’édifice d’un triomphe de la raison dans les affaires publiques qu’il convient de questionner le cheminement inconsistant qui nous est proposé. Ce qui revient à lier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté, comme l’exprimait Gramsci. Cela est nécessaire d’abord pour éviter que la Commission ne soit pas qu’un simple relais dans la grande machinerie de tromperie qui conduit Haïti.
C’est aussi une exigence pour que la Commission ne soit pas qu’une tempête dans un verre d’eau. C’est surtout pour exposer le fascisme quotidien d’une bande de gens qui devraient se voiler la face et avoir honte de se présenter à visage découvert. En effet, aucun parti néo-fasciste ne peut avoir pignon sur rue, encore moins avoir des candidats aux élections. Le fascisme est exécrable et n’a pas droit à la parole. Haïti file un mauvais coton empoisonné en ne s’éloignant pas de cette engeance de malheur. C’est bizarre et inquiétant de laisser l’ombre du fascisme flotter !
On doit se frotter les yeux devant les repérages, les mesures et les mots d’un parti politique qui ose parler d’élections alors qu’il n’en a pas fait pendant cinq ans au pouvoir. Il y a là du désespoir à voir que la société accepte de telles invraisemblances ! Nous référons moins à la population urbaine habituée aux courbettes pour survivre qu’à la population rurale victime de la répression au quotidien des chefs de section. Serait-ce que la répression en milieu rural a continué après 1986 dans son invisible banalité comme l’ont montré Gilles Danroc et Daniel Roussière dans leur ouvrage La répression au quotidien 1991-1994[vi].
En refusant de donner corps au refus de savoir qui a fait d’Haïti «un singulier petit pays », le passage obligé d’un autre fonctionnement d’esprit est réclamé. Une objectivité propre s’impose pour que la Commission ne se révèle pas en réalité une fuite en avant, une cavalerie, afin d’empêcher une analyse en profondeur de la corruption dans la gestion des fonds PetroCaribe. Le triomphe de la raison est indispensable pour que la Commission ne serve pas d’instrument court-circuitant toute enquête approfondie sur le vol des fonds PetroCaribe mais aussi bloquant les investigations sur d’autres affaires scandaleuses dont la transformation d’une agence de monétisation en agence d’exécution et d’achat de riz et d’autres produits de consommation. Déjà , plusieurs sénateurs, dont Jean-Baptiste Bien-Aimé, Antonio Cheramy alias Don Kato, Wetsner Polycarpe, Stevens Benoît et Jean-Marie Salomon, ont dénoncé la frénésie avec laquelle la Commission a été constituée et indiqué qu’elle est une manœuvre orchestrée par les bandi legal pour prendre les devants.
Le témoignage du premier ministre Gary Conille devant la Commission, tout en ne constituant qu’une partie émergée de l’iceberg, risque d’être détournée pour servir à cette fin de noyer le poisson en montrant qu’il ne s’agit pas de corruption mais plutôt d’une mauvaise gestion due à l’absence de procédures. Le stratagème est double. Le sénateur Youri Latortue veut d’une part maquiller les vols des gangsters en évoquant une simple question d’absence de procédures et d’autre part envoyer un message clair à tous ceux qui exigent la reddition des comptes sous le gouvernement Martelly. Youri Latortue leur dit en clair que s’ils insistent, la Commission est capable de leur trouver des poux dans la tête.
Et dans ce cadre, la première tête à tomber sera celle de Jean-Max Bellerive, le premier ministre sous le gouvernement Préval qui a signé nombre de contrats financés avec les fonds de PetroCaribe. Jean-Max Bellerive est actuellement le chef de cabinet du président Privert. Au cours des trente dernières années, ce que le professeur Marcel Gilbert appelle « la classe politique de pouvoir d’État » s’est recyclée, du pouvoir exécutif au Parlement, et vice versa, du pouvoir à l’opposition, sans le moindre gêne. Des dirigeants de Lavalas d’Aristide sont devenus des dirigeants d’Inité de Préval avant de se muer en dirigeants du PHTK de Martelly. La « classe politique de pouvoir d’État » s’affirme dans toute sa laideur. (à suivre)
Leslie Pean
Historien - Economiste
[i] Leslie Péan, « La corruption rose et les fonds PetroCaribe (5 articles) », AlterPresse, novembre 2014 ; Lire aussi Leslie Péan, « La dilapidation des fonds PetroCaribe par le gouvernement Martelly (5 articles) », AlterPresse, 18 mars 2015. Lire également Leslie Péan, « Le départ de Préval – Une nécessité absolue du moment », AlterPresse, 25 janvier 2011. Lire enfin Leslie Péan, « Haïti : Un acte d’accusation contre un pouvoir soupçonné de crimes », AlterPresse, 17 novembre 2010.
[ii] Roberson Alphonse, « Privert et les squelettes dans le placard de PetroCaribe », Le Nouvelliste, 14 mars 2016.
[iii] Ibid.
[iv] Ibid.
[v] Lèt tou louvri pou senatè konteste Youri Latortue, Tout-Haiti, 14 avril 2016.
[vi] Gilles Danroc et Daniel Roussière, La répression au quotidien 1991-1994, Paris, Karthala, 2000
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