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La diaspora dans l’effort du développement d’Haïti: Au delà des slogans
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Par Claude Joseph, New York 4 Juillet 2016 --- Haïti est l’un des pays au monde où la fuite des cerveaux est la plus prononcée. Les statistiques montrent qu’en 2000 Haïti figurait parmi les pays de la région envoyant vers les pays OECD le nombre le plus élevé de travailleurs hautement qualifiés. Avec un taux d’émigration de 83.6% de travailleurs qualifiés, Haïti était en cinquième position après St. Vincent et Grenadine, la Jamaïque, la Grenade et la Guyane.[1] Par exemple, pour l’année 2004, 35% des médecins haïtiens ont laissé Haïti pour les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou le Royaume-Uni. En somme, il est estimé que 80% des haïtiens ayant un diplôme universitaire (licence, maitrise ou doctorat) ne vit pas en Haïti.[2] Paradoxalement, il est constaté que recruter des techniciens qualifiés constitue l’un des sérieux problèmes auxquels se trouvent confrontées les entreprises installées en Haïti. Cette situation est on ne peut plus gênante quand on considère que 45.7% des adultes représentant 60.5% des chefs de ménage n’ont jamais fréquenté un établissement scolaire ou n’ont pas achevé leurs études primaires.[3] Si la fuite des cerveaux est considérée par plus d’un comme un fléau pour les pays en développement, il y a peut-être lieu de s’interroger sur l’impact de ce mouvement sur l’économie haïtienne. Le déplacement des travailleurs qualifiés vers d’autres pays constitue, selon certains économistes, une perte nette des investissements publics alloués à la formation de la main d’œuvre des pays d’origine. Cependant, en dépit de ce constat, les statistiques montrent que la migration semble être une option rentable de génération de revenus pour de nombreux ménages en Haïti.
L’économie des transferts de fonds de la diaspora haïtienne
Les transferts des migrants à destination du monde en développement sont estimés à 515 milliards de dollars en 2015. Ces transferts dépassent significativement l’aide publique au développement (APD) et représentent la moitié de la valeur des investissements directs étrangers (IDE) en 2011. Le plus important c’est que les envois de fonds des migrants sont généralement moins volatiles et plus résilients que les IDE en situation de crises économiques. Par exemple, alors que les transferts à destination des pays en développement diminuent de 5.27% au moment de la crise financière mondiale en 2009, les IDE ont connu une chute considérable de 33% au cours de la même année.[4]
Haïti est parmi les pays où les transferts des émigrés représentent plus de 20% du produit intérieur brut (PIB). En effet, de tous les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, Haïti reçoit de sa diaspora des transferts en termes de PIB les plus élevés. En outre, en proportion des recettes d’exportation, Haïti est le quatrième pays au monde ayant reçu plus d’argent de sa diaspora.[5] De 2000 à 2014, les ressources financières de la diaspora haïtienne n’ont pas seulement dépassé la valeur des APD, mais contrairement à la tendance mondiale, elles excèdent aussi les IDE et la valeur totale des exportations de biens et de services. Malgré tout, certains économistes croient que les transferts des nationaux vivant à l’étranger n’apportent aucune contribution significative à l’économie haïtienne parce que, disent-ils, ces ressources ne sont pas investies, mais elles sont consommées. Les évidences cependant semblent contredire une telle position.
Les résultats de plusieurs enquêtes sur les conditions de vie des ménages dans plusieurs pays en développement montrent que les transferts destinés aux ménages pauvres n’ont pas seulement aidé à couvrir des dépenses alimentaires mais aussi une bonne proportion est allouée aux dépenses d’éducation et de santé[6]. Des dépenses en éducation et santé sont des investissements importants dans la mesure où ils contribuent à la formation du capital humain nécessaire au progrès économique et social. Des études montrent que dans les ménages récipiendaires des transferts en provenance de l’étranger, le taux de mortalité infantile est moins élevé par rapport aux ménages qui ne reçoivent pas de transferts. Ceux qui reçoivent des transferts investissent dans l’éducation de leurs enfants beaucoup plus que les non récipiendaires. En ce sens, Haïti est en phase avec cette tendance, car plus de 21% des transferts reçus sont alloués à l’éducation et la santé. Mieux encore, si ce n’était l’apport de la diaspora, le taux de pauvreté serait beaucoup plus élevé en Haïti. Sans les transferts, l’extrême pauvreté qui est maintenant de 23.8% grimperait à 28.9% et la pauvreté modérée atteindrait la barre de 63% contre son niveau actuel de 58.5%[7]. En augmentant les revenus des pauvres, l’aide de la diaspora n’est pas seulement une forme d’assurance dans un pays comme Haïti où la protection sociale est très limitée mais elle permet aussi de réduire les inégalités de revenus.
Au delà des transferts
Les envois de fonds ne sont qu’un aspect de l’importance de la diaspora haïtienne pour le développement d’Haïti. Professeur Tatiana Wah de la Colombia University pense judicieusement que l’importance première de la diaspora haïtienne réside dans ce qu’elle constitue comme répertoire de ressources humaines qualifiées. Pendant que 32% de la diaspora haïtienne aux Etats-Unis a au moins fréquenté une institution universitaire et que 18% détient au moins une licence, seulement 3.5% des haïtiens vivant en Haïti fréquente un établissement universitaire parmi lequel environ 1.4% seulement détient un diplôme universitaire. Le contraste est flagrant. Par conséquent, dans son effort de développement, Haïti, selon Professeur Wah, n’a d’autres choix que d’utiliser les ressources humaines de la diaspora. Sinon, il faudra à Haïti 74 ans pour former en Haïti autant d’universitaires que ceux qui se trouvent actuellement au Canada et aux Etats-Unis[8].
Ainsi donc, l’engagement de la diaspora haïtienne dans le développement d’Haïti est plus que jamais une urgence. Ce qu’il faut maintenant c’est passer de la parole aux actes. Le problème étant identifié et justifié, il faut que des groupes de la société civile s’organisent pour l’inscrire sur l’agenda gouvernemental. Et c’est à partir de son inscription sur l’agenda formel que le problème s’apprête à devenir une politique publique. Il faut une véritable politique publique de l’intégration de la diaspora et non des actions isolées à la manière du prélèvement de $1.50 sur les transferts initié par le président Martelly.
Claude Joseph
Adjunct Professor
Fordham University
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[1] Ponce, P.(2010). « Aperçu national sur les migrations sud-sud et le développement en Haïti: Tendances et besoins en recherche ». Observation ACP sur les migrations.
[2] Forman, J., M. (2011). “The role of the Haitian Diaspora in Building Haiti Back Better”. Center for Strategic and International Studies (CSIS)
[3] Banque Mondiale (2015). Haïti: des opportunités pour tous – diagnostic-pays systématique
[4] Ratha, D. (2013). “The impact of remittances on economic growth and poverty reduction.” Migration Policy Institute (MPI)
[5] Banque Mondiale (2015). Haïti: des opportunités pour tous – diagnostic-pays systématique
[6] Ratha, D. (2013). “The impact of remittances on economic growth and poverty reduction.” Migration Policy Institute (MPI)
[7] Haïti: Investir dans l’humain pour combattre la pauvreté. Rapport conjoint entre la Banque Mondiale, ONPES et MPCE publié en 2014.
[8] Wah, T. (2013). “Engaging the Haitian diaspora: Emigrant skills and resources are needed, not just charity.” Cairo Review.