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Economie

L'urgence d'une réforme fiscale en Haïti

minister-financePar Joseph Harold PIERRE

Les points de vue sur la publication de la liste d'un groupe de contribuables de la part de la DGI, sont divergents. Beaucoup y voient des règlements de compte ou des représailles; d'autres ont applaudi la décision, puisqu'elle s'inscrirait dans la politique de rigueur du gouvernement comme une démarche de nature à faire respecter la loi dans le pays. Pour moi, cette situation est avant tout symptomatique de ce que j'appellerais une crise de recettes chronique en Haïti et dont la solution passe nécessairement par une réforme fiscale. Dans les lignes qui suivent, je présenterai (a) un diagnostic de la crise des recettes fiscales, (b) les aspects fondamentaux de toute réforme fiscale réussie et (c) des recommandations au gouvernement haïtien en vue de pallier à moyen terme les effets déstabilisateurs de cette crise.

Diagnostic du problème

1.1 - Informalité

Les taux des impôts en Haïti sont aussi élevés que dans les autres pays de la Caraïbe. Par exemple, le taux de l'impôt sur la consommation est en moyenne 10% et 11% en Haïti et dans les pays de la Caraïbe. L'impôt sur le revenu est en moyenne 20% en Haïti et 24% dans la Caraïbe, alors que la taxe corporative y est de 22,5% et 23% respectivement. Cependant, en dépit de cet alignement dans les taux, la pression fiscale (recettes fiscales comme proportion du PIB) en Haïti est beaucoup moindre que celle de la région. En 2011, elle a été de 19% en Amérique Latine et 13 % dans la Caraïbe, alors qu'elle s'est située à moins de 10% en Haïti, dont moins de 4% sont perçus sur les revenus et les corporations. Ce manque de performance dans la collecte est dû pour une large part à la grande informalité de l'économie haïtienne, favorisant l'évasion fiscale. En Guyane, l'informalité de l'économie à hauteur de 50% a causé une perte en recettes fiscales de 7% du PIB (Faal, 2003). Si plus de la moitié de l'économie dominicaine est informelle, on peut se faire idée du niveau d'informalité en Haïti.

1.2 - Manque de conscience citoyenne et de confiance dans les autorités.

Suivant une étude de Torgler (2005), en Amérique Latine, 46% des gens croient que les contribuables ne paient pas les impôts, parce qu'ils sont trop élevés; alors que 44% affirment que les citoyens ne le font pas par manque d'honnêteté et de conscience civique.

D'autre part, le "Baromètre Latino" ("Latinobarómetro") (1) a rapporté en 2009 que 79% des habitants de la région ne croient pas que les recettes fiscales seront bien utilisées par l'Etat (Gómez et O'Farrell, 2009). Bien qu'on ne dispose pas de sondage d'opinion sur la perception des Haïtiens sur l'utilisation des taxes, les résultats des études précitées sont aussi valides dans le cas d'Haïti.

2 - Réforme fiscale

Contrairement à une vision traditionnelle, la réforme fiscale ne se fonde pas sur l'amendement ou la modification des textes juridiques relatifs aux impôts. Elle émane avant d'une concertation entre l'Etat et la société. Elle vise la redistribution des richesses du pays, la solvabilité de l'Etat, c'est-à-dire que ce dernier soit capable de payer ses dettes, et la croissance économique fondée sur l'investissement, la formalité des entreprises et la création d'emplois.

L'histoire économique a montré que les principes de toute réforme fiscale réussie sont entre autres: a) la simplicité, c'est-a-dire un système facile à comprendre par les contribuables (le meilleur moyen d'atteindre cet objectif est d'uniformiser les taxes); b) la stabilité, puisque les investisseurs ont une vision à long terme des choses et ne vont pas dans les pays où des doutes planent sur des décisions (désavantageuses) liées aux impôts que pourra prendre l'Etat; c) la transparence, car les contribuables ont besoin de savoir comment sont dépensées les taxes.

3 - Recommandations à l'Etat Haïtien

Si le slogan politique du gouvernement Martelly/Lamothe est "tèt kale", son slogan économique est "Haiti is open for business". Ceci dit, la réforme fiscale que le gouvernement devra enclencher, aura comme objectif principal l'amélioration du niveau de compétitivité d'Haïti pour attirer les investisseurs étrangers. C'est d'ailleurs la mission qu'a assignée le premier ministre au nouveau directeur du Centre de facilitation des investissements. Cet objectif pourra être atteint si:

les institutions de l'administration publique affectées à la perception des taxes sont réformées;
on cherche à diminuer l'informalité de l'économie (Le recensement des entreprises annoncé par le gouvernement est un très bon commencement).
on développe d'autres secteurs économiques, comme le tourisme, pour augmenter les impôts (plus de 15% du PIB dominicain provient du tourisme).
on diminue considérablement les exonérations fiscales, comme l'entend la République Dominicaine dans le cadre de la réforme fiscale entamée par le gouvernement de Danilo.
l'Etat se montre transparent, de manière à se sentir de plus en en plus confortable pour poursuivre ceux qui refusent de payer les taxes.

Conclusion

Une reforme fiscale en Haïti doit être l'une des priorités de l'Etat, puisque, sans argent, il ne pourra fonctionner. Un budget qui dépend presqu'exclusivement de l'aide extérieure, comme il l'est maintenant, est insoutenable. Il est impératif que le gouvernement prenne des mesures pour formaliser, autant que possible, l'économie du pays et simplifier les processus de la collecte des taxes et impôts.

Une reforme fiscale complète tient compte de l'orientation des dépenses publiques. Dans le cas d'Haïti, pour l'efficacité de cette réforme, je propose au gouvernement d'accorder la priorité à l'éducation et à la santé, puisqu'elles sont les garants du capital humain, et à l'électricité dont dépendent tous les secteurs de la vie d'un pays.

Joseph Harold PIERRE,M.A.; M.Sc.
 Ã©conomiste et politologue Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


Note


(1) Le Latinobaromètre ("Latinobarómetro") est un sondage d'opinion réalisé chaque année sur environ 19.000 entretiens dans 18 pays latino-américains. http://www.latinobarometro.org/latino/latinobarometro.jsp

 

Références

Faal, E. (2003). Currency Demand, the Underground Economy, and, Tax Evasion - The Case of Guyana. IMF Working paper WP/03/7.
Gómez, S. & O'Farrell J. (2009). La Economía Política de las Reformas Tributarias en América Latina XXI. Seminario Regional de Política Fiscal de la CEPAL.
Torgler, B. (2005). Tax morale in Latin America. Public Choice 2005 122: 133-157.