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L'Amérique: état des lieux

American-eagle-flagPar Jean Claude Boyer - La fois dernière, il a été question de modélisation: l'Amérique peut-elle servir de modèle ou bien est-elle un repoussoir? Il est vrai que, parfois, elle a suscité des réactions de rejet. Exemple : lors des excès du maccarthysme au début des années 1950, du nom du sénateur Joseph Mac Carthy, lequel trônait à la tête de sa fameuse commission en vue de démasquer des  soi-disant communistes, déclenchant une chasse aux sorcières de mauvais goût dans l'Administration, chez les intellectuels, dans le monde du cinéma, du spectacle et j'en passe. Jamais la liberté individuelle n'a été autant menacée en Amérique du Nord.

2e exemple : les années 1960, enlisement dans le bourbier vietnamien, provoquant une forte contestation interne. Cassius Clay alias Mohamed Ali optera pour la prison au lieu de s'engager au Vietnam, estimant son engagement contraire à ses convictions (religieuses).

La belle militante noire Angela Davis, professeur de philosophie, sera persécutée en raison de son opposition à la présence américaine au Vietnam. Très vite, elle suscitera des passions, gagnant des sympathies à sa cause un peu partout à travers le monde.

3e exemple : l'appui des gouvernements américains aux dictatures de l'Amérique latine, si l'on veut s'en tenir à la zone américaine, est pour beaucoup dans la perte d'estime qu'a connue subir l'Amérique. Comment a-t-elle pu, à travers ses agences de renseignement, fermer les yeux en laissant couler tant de sang au Guatemala (1954) ou au Chili (1973) ou en Haïti (1957-1971 et même après) sous prétexte de la lutte à mener contre le communisme ? Comment ne comprend-elle pas qu'après quarante ans, il lui fallait desserrer, dans les faits, l'étreinte autour de  Cuba, victime d'un embargo sans merci ? Que la loi Helms-Burton est tout simplement anachronique et qu'il fallait, qu'il faut sur le sujet, éviter l'affrontement avec les autres partenaires : Europe, Canada, etc?

4e exemple : la vague libertaire des années 1960, avec le pasteur Martin Luther King, suscita un immense mouvement de sympathie, d'enthousiasme et de solidarité ici et là. Cette Amérique divisée ne pouvait que desservir son ambition de leadership, et pourquoi pas servir de repoussoir. Heureusement que des progrès ont été accomplis sur le plan de l'intégration des minorités, principalement des Afro-Américains. Or, voilà que, dans les compétitions sportives, c'est toute l'Amérique qui tire sa part de légitime fierté devant les performances de ses athlètes, toutes races confondues. Quelle belle revanche !

5e exemple : le choc du Watergate qui causa la chute de Richard Nixon provoquera la nécessité d'une moralisation de la vie publique, c'est cette cure de moralisation qui facilita la victoire de M. James Earl Carter, lequel vint avec une approche plus humaine des relations internationales. Rappelez-vous l'engouement que suscita, la sympathie que provoqua la visite, à Port-au-Prince en août 1977, de Andrew Young, lors ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies, avec son apologie des droits de l'homme. Pour la première fois, l'Amérique transmettait un message clair, elle retirait son soutien aux dictatures de l'Amérique latine et d'ailleurs.

Evidemment, tout ça n'empêche pas que le modèle a fasciné et fascine encore. C'est le pays du melting-pot. A travers le monde, chacun nourrit l'idée de venir s'y établir, de vivre le rêve américain, c'est-à-dire que l'ambition d'une réussite pour l'émigrant n'est pas une fiction. Il peut devenir réalité.

Pendant qu'elle fermait les yeux sur les atteintes à la liberté en Amérique latine, en Asie, en Afrique, paradoxalement ce fut la terre d'accueil de tous ceux  persécutés par le totalitarisme. Les opposants anticastristes et ceux de l'Europe de l'Est y seront reçus à bras ouverts. Ces gens-là fuyaient le diable, si l'on suit leur pensée.

L'American way of life continue de susciter des envies, des tentations. Si, dès le début du siècle, se produisirent les déferlements de la culture de masse, proposant ainsi quelques-unes des innovations majeures qui ont fasciné la planète : automobile, téléphone, ampoule électrique, cinéma, gratte-ciel, autoroute, avion, machine à écrire, etc., de même au fil de la marche du XXe siècle, fascineront les imaginations les déferlements de la culture de masse : presse à grand tirage, Hollywood, bande dessinée, photographie, jazz, feuilletons, radio, dessins, télévision, musique rock, pop-music, et j'en passe. Par exemple: si dans les années 1950 et 1960, Elvis Presley avec sa musique rock suscite des passions, qui tournent au fanatisme quasi-religieux, l'image de l'actrice Marylin Monroe reste mytique. Les assassinats de John Kennedy  (22 novembre 1963), de Malcon X (1965), de Martin Luther King (avril 1968) et de Robert Kennedy (juin 1968) font de ces victimes des demi-dieux pleurés, regrettés trente ans plus tard. La vente des effets personnels de John et Jackie Kennedy suscita un véritable engouement et atteindra des rentrées inespérées; dans les années 1980 et 1990, c'est Michaël Jackson, le roi de la pop-music, qui fait un tabac. Aux Jeux Olympiques, Carl Lewis fait la fierté de l'Amérique, sa constance exemplaire ne peut que susciter des vocations. Dans la boxe,  Mohamed Ali fut un demi-dieu comme, tout récemment, Mike Tyson faisait rêver.

L'Amérique, c'est le fief du capitalisme,  de la libre entreprise, de l'initiative privée, de la réussite individuelle. Elle fascine donc, surtout en raison des symboles de la « mass consumption » (de la consommation de masse), de cette consommation qui s'est présentée sous une forme massive, de cette frénésie, de cette rage de consommation au point que les critiques de l'American way of life ne vont pas par quatre chemins pour dénoncer la société de gaspillage. Paradoxe: beaucoup de gens, chômeurs, exclus, salariés en-dessous du seuil de pauvreté, bref les marginaux, les marginalisés ne peuvent prendre part à cette ère d'abondance. Pourtant, la réalité est là : l'Amérique, dans la marche du XXe siècle, a très vite atteint l'ère de la consommation de masse. Walt Whitman Rostow semble penser que c'est la phase achevée du développement. Les gens, les ménages peuvent consommer à satiété. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Ce n'est pas aussi simple!

Les déferlements de l'ère de la consommation de masse sont là, présents, visibles, palpables: publicité, grands magasins, supermarchés, centres commerciaux, marketing, vente par correspondance.
Marketing: Résidez aux Etats-Unis d'Amérique, vous serez inondé, au fil des jours, de dépliants publicitaires, d'offres d'achat de toutes sortes avec des modalités de règlement intéressantes, c'est-à-dire vous seront alloués des crédits commerciaux. A propos, vous entrerez dans le monde de la monétique: caisses automatiques, cartes de crédits: AMERICAN EXPRESS, VISA, etc.

Publicité: la minute d'un spot publicitaire, lors de la retransmission de grands événements sur les grandes chaines télévisées - ABC, CBS, NBC, HBO, TNT, CNN, FOX, etc.- peut coûter la faramineuse somme d'un million de dollars. C'est le capitalisme dans tous ses états. Lors des J.O à Atlanta, en juillet 1996, NBC acquerra les droits de retransmission pour plusieurs centaines de millions de dollars. C'est encore le capitalisme dans ses débauches.

Grands magasins : c'est l'implantation de J.C PENNEY, de MACY'S, de WOOLWORTH, de WALGREENS, de SEARS, de K-MART, etc, c'est aussi l'implantation des MALLs, ces vastes espaces où sont regroupés rien que des stores. C'est la popularité de Radio Shack dans le domaine audiovisuel... c'est la création de clubs d'acheteurs: BJ'S Wholesale Club dans le Connecticut ou  HOME DEPOT en Floride.

Supermarché: c'est l'extension de GIANT'S, PEOPLE'S,  de SUN MARKET, de Seven Eleven, PATH MARK, etc.

Et depuis quelque temps, le développement de la vente à domicile par le biais de réseaux tels que AMWAY qui a fait son chemin en Haïti. Aidé en cela du transport rapide des colis et documents : DHL, par exemple.

Venons-en à l'évolution de la société américaine au cours de  ces dernières années. Après la récession de 1989, 1990, 1991, 1992, la croissance est revenue. Durant ces 4 ans, des jobs ont été crées : 10 millions et demi de jobs, les taux d'intérêt sont bas, l'inflation est basse, seulement 5, 4% de la population active est au chômage. L'économie est florissante, mais à quel prix ?

La drogue a planté sa tente chez les jeunes. La violence est endémique, même les écoles publiques ne sont pas épargnées (il est vrai de dire que la violence dans les écoles tend à baisser) ; la montée en flèche de la criminalité fait que un million et demi d'individus se retrouvent derrière les barreaux. La peine de mort quasi abolie dans les années 1970 est rétablie depuis les années 1980 dans la plupart des Etats. L'anxiété gagne les populations sans compter l'anxiété économique, c'est dire la précarité de l'embellie économique que vivent les ménages. L'anxiété, en effet, gagne les populations. Chaque foyer éprouve la tentation de l'autodéfense, au point que fleurissent les ventes d'armes. Les marchands d'armes font de bonnes affaires. Le National Rifle   Association devient une institution, un groupe de lobby avec lequel il faut compter. L'anxiété est synonyme de peur, soi-dit en passant. Chacun a peur de l'autre.

Et comme les temps sont marqués par la précarité, l'Amérique, terre d'accueil, terre d'immigrants, veut contenir le flot d'immigration. La loi réformant le système d'aide sociale est particulièrement sévère: tout subside est pratiquement enlevé au nouvel immigrant. C'est à se demander si le salut ne se trouve pas désormais dans la naturalisation. C'est ce qu'a fait cette dame de 104 ans d'origine haïtienne, établie dans la banlieue de Washington et qui avait émigré en 1979. Les patrons qui emploient des travailleurs irréguliers sont fortement pénalisés, au point que cela sert de dissuasion. L'Amérique, ainsi donc, veut contenir la vague migratoire.

On n'en finirait pas avec la liste des choses insuffisamment au point. Une société en pleine mutation - d'aucuns y relèvent des signes d'éclatement- mais qui pose ses problèmes, ses vrais problèmes sans les déposer, ni les déplacer.

Source: Le Nouvelliste