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Cour de cassation : la hantise de la chaise vide

anel-alexis-courdecassationAujourd'hui en plus des dénonciations dont il est l'objet de la part de la Fédération des Barreaux de la République et de l'Association nationale des magistrats haïtiens, Me Anel Alexis Joseph se trouve aussi dans le collimateur du Sénat. Une résolution signée par les sénateurs les plus proches de l'exécutif réclame la destitution de ce septuagénaire qui préside la plus haute instance judiciaire du pays. Le Sénat dit avoir été induit en erreur et veut maintenant se ressaisir.

La Cour de cassation qui depuis février dernier a pu remplir ses chaises restées vides depuis sept ans, semble s'avancer vers une nouvelle réduction d'effectif. Un pouvoir demande à un autre de rendre caduc ou provisoirement inopérant, la plus haute instance du pouvoir judicaire. 17 sénateurs ont voté lors d'une séance qui en réunissait 18, pour demander au chef de l'Etat de publier un arrêté rapportant celui qui nommait les juges Anel Alexis Joseph, Frantzy Philémon et Michel Kesner Thermézi.

Pourtant, sauf remplacement immédiat, la destitution de Me Anel Alexis Joseph paralyserait à la fois la Cour de cassation et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). « C'est un dossier nouveau et le CSPJ n'en a pas encore parlé au niveau interne », nous a lâché sèchement Me Néhémie Joseph qui refuse de commenter les incidences de la résolution du Sénat sur le fonctionnement du CSPJ. Le vote du 9 octobre au sein du CSPJ ainsi que toute éventuelle audience solennelle à la Cour de cassation doivent encore se tenir sous la direction d'un président contesté par le Grand Corps.

« La résolution du Sénat n'est pas contraignante », rappelle un juriste qui considère comme un très mauvais précédent le fait pour le Sénat de demander à l'exécutif de revenir sur la nomination d'un haut fonctionnaire. « Le Sénat est en train de bafouer sans le voir le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire. L'inamovibilité des juges est la base même de l'indépendance de ce pouvoir. Quand pour des raisons, peut-être justifiées, on décide de renvoyer un juge, c'est qu'à l'avenir ont peut toujours chercher d'autres raisons, justifiées ou non, pour se débarrasser de tout juge encombrant », soutient l'homme de loi.A son avis le Sénat pouvait se contenter de réclamer directement la démission des juges concernés sans demander à l'exécutif d'intervenir dans cette affaire.

ces trois juges sont-ils arrivés sur la liste ?

Les pères conscrits qui ne doutent pas de la conformité de leur démarche, accusent leur ancien collègue, Youry Latortue. Ce dernier explique que le nom de Me Anel Alexis Joseph était sur la liste du Sénat depuis 2007 et a été régulièrement voté. Mais le suivi n'ayant pas été fait par le président René Préval, le nom de Me Joseph a seulement été confirmé lors d'un second vote en 2011. Une question, cependant reste pendante : La loi sur le statut des magistrats qui date du 13 novembre 2007 et qui fixe à 65 ans l'âge maximum pour obtenir une nouvelle nomination dans la magistrature, existait-elle déjà lors du premier vote de Me Anel Alexis Joseph par le Sénat ?

Quant aux deux autres juges ciblés par cette résolution qui a paradoxalement fait l'unanimité au Sénat, ils sont arrivés sur la liste seulement deux jours avant la publication de l'arrêté nommant les nouveaux juges à la Cour de cassation, selon le sénateur Steven Benoît. Sur la liste des dix-huit candidats juges sélectionnés par le Sénat, deux défections ont été enregistrées à la dernière minute. Il s'agissait de l'ancien sénateur François Fouchard Bergromme et l'ancien Ministre de la Justice Me Henri Marge Dorléans.

C'est donc sur proposition du sénateur Youry Latortue, alors président de la commission justice et sécurité du Grand Corps, que le président du Sénat, Desras Simon Dieusel, a ajouté deux nouveaux noms pour remplacer les candidats qui avaient décliné. Voilà comment, les noms de Frantzy Philémon et Michel Themezi sont arrivés au Palais national sans passer par un vote de l'Assemblée des sénateurs, si l'on en croit la version récitée en chœur par des sénateurs tels Francky Exius et Steven Benoît.

La résolution du Sénat existe aujourd'hui et a toute sa valeur politique, même sans force contraignante. La Cour de cassation habituée avec ses chaises vides, joue encore son rôle et prend des décisions « au nom de la République ». Pourtant certains sénateurs épris par leur volonté de « renverser » le président de la Cour de cassation et deux de ses collègues, considèrent que toutes les décisions rendues par ladite Cour de février à aujourd'hui sont nulles et non avenues. Le dilemme s'est donc renforcé autour de cette Cour, à la veille du lancement d'un processus électoral au cours duquel, elle sera, comme d'habitude, très sollicitée.

Ainsi, au pays de l'Etat de Droit, Michel Martelly se voit aujourd'hui devant la nécessité de revoir des mesures institutionnelles pour lesquelles il croyait déjà pouvoir se vanter. Pour remplacer trois juges à la Cour de cassation, compléter le CEP et former le Conseil constitutionnel, le président Martelly devrait réfléchir froidement mais sans oublier ceux-là qui lui demandent de vider lui aussi sa chaise.


Eddy Laguerre
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Source: Le Matin