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Esclavage et Dette de l'indépendance : Restitution, réparation, le débat relancé en France
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- Publié le lundi 13 mai 2013 16:41
Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a annoncé vendredi assigner en justice la Caisse des dépôts et consignations (CDC) devant le tribunal de grande instance de Paris pour « complicité de crimes contre l'humanité ». Drôle de coïncidence, cette décision est prise au lendemain de la première déclaration publique de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide qui, en avril 2003, avait demandé à la France la restitution de la « rançon » que le pays avait versée pour que son indépendance soit reconnue par cette dernière.
Haïti occupe depuis vendredi une place spéciale dans les colonnes de plusieurs journaux en France. En ce jour de commémoration de l'esclavage, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a ressuscité un sujet qui n'avait cessé de faire des remous en 2003: restitution et réparation de la France à Haïti qui a payé pour son indépendance. Le CRAN a accusé la Caisse des dépôts et consignations (CDC) d'avoir « profité » de la traite négrière.
« Nous assignons en justice la Caisse des dépôts et consignations, la banque d'Etat qui a joué un rôle considérable dans l'esclavage », a déclaré Louis-Georges Tin, le président du CRAN, accusant la banque d'Etat d'avoir joué «un rôle considérable dans l'esclavage». Il précise que l'assignation serait remise lundi à la banque.
C'est quoi l'histoire? En 1804, Haïti proclame son indépendance en même temps que l'abolition de l'esclavage. 20 ans après, le roi Charles X n'accepte de reconnaître cette indépendance qu'en échange de 150 millions de francs or pour dédommager les colons qui demandent une réparation financière. Cette somme a été réduite par la suite à 90 millions. Haïti débourse 21 millions de dollars (90 millions de francs or), rappelle le CRAN.
La somme, fait remarquer le Conseil, est encaissée par la Caisse des dépôts et consignations - institution publique financière née sous Napoléon - qui la reverse ensuite aux anciens colons. « L'argent des Haïtiens n'a pas été totalement reversé, la Caisse des dépôts en a gardé une partie », soutient Louis-Georges Tin qui exige donc la restitution des fonds restants à Haïti.
« L'argent doit revenir à l'Etat haïtien et à la société civile haïtienne. L'heure est venue de réparer cette double peine subie par l'île, à savoir l'esclavage puis la rançon. Le dénuement d'Haïti est dû au paiement de ces 90 millions de francs or qui ont obligé le pays à s'endetter sur des décennies », a déclaré le président du Conseil, créé en 2005, pour «lutter contre les discriminations que subissent les populations noires en France ».
Selon le Conseil représentatif des associations noires, de 1825 à 1946, Haïti paie «des sommes équivalentes à 21 milliards de dollars». «Cette rançon a précipité Haïti dans une spirale infernale d'instabilité et de misère », estime Louis-Georges Tin qui assigne la CDC pour alimenter le débat. «Faute de solution politique, nous menons le débat sur le plan juridique», dit-il.
L'«impossible réparation», selon Hollande
De son côté, dans un discours prononcé près des jardins du Luxembourg ce vendredi, le président de la France, François Hollande, a souligné «l'impossible réparation» des ravages de la traite négrière. « Il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini ? Non, ce ne sera jamais réglé », a déclaré le président français qui citait le poète antillais Aimé Césaire.
« L'histoire ne s'efface pas. On ne la gomme pas. Elle ne peut faire l'objet de transactions au terme d'une comptabilité qui serait en tous points impossible à établir. Le seul choix possible, le plus digne, le plus grand, le plus responsable, c'est celui de la mémoire, c'est la vigilance, c'est la transmission », a ajouté François Hollande.
Pour sa part, le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) ne le voit pas ainsi. Louis-Georges Tin soutient que la Caisse des dépôts a tiré profit de l'esclavage en recueillant notamment la «rançon» imposée à Haïti pour son indépendance.
« Tout crime appelle réparation, et quand on refuse la réparation, c'est qu'on refuse qu'il y ait eu véritablement crime. Il faut une réparation globale: morale, culturelle, financière, symbolique, matérielle», a réagi Louis-Georges Tin. « Ce chemin de justice doit être ouvert », dit-il.
Des pays ont quand même décidé de réparer matériellement des dommages causés à leurs anciennes colonies. L'Italie, par exemple, s'est engagée à verser à la Libye cinq milliards de dollars à titre de « dette coloniale ».
En avril 2003, l'ex-président Jean-Bertrand Aristide avait forgé ce fameux slogan « Restitution - Réparation » pour demander à la France le remboursement de la somme qui lui avait été versée pour l'indépendance. Le débat est à nouveau ouvert. Devoir de mémoire oblige!
Valéry Daudier
Source: Le Nouvelliste