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Au-delà de toute illusion : le vrai rôle du CSPJ

symbole-justiceOn a bien battu la grosse caisse autour de l’installation du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Dans la presse comme dans les universités, on dit de ce conseil qu’il est le garant de ce qu’on se plaît à appeler « l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Mais on semble peu s’intéresser aux attributions réelles de cette institution.

Il est important de rappeler que la loi sur le CSPJ a fait partie d’un menu législatif de trois lois prises en même temps, en 2007, pour réguler la magistrature et renforcer l’autonomie du pouvoir judiciaire. Ces trois lois portaient l’une sur le statut de la magistrature, l’autre sur la réorganisation de l’École de la magistrature (EMA) et la troisième sur le CSPJ. C’est cette dernière qui constitue jusqu’ici la seule assise légale de cette institution aux attributions diverses et aux missions délicates.

CSPJ : un rôle administratif et disciplinaire

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire remplace au moins deux instituions sur des points spécifiques. Sur le plan disciplinaire, il remplace l’ancien Conseil supérieur de la magistrature qui n’existe plus aujourd’hui. Sur le plan administratif, le CSPJ enlève certaines attributions jusque-là confiées au ministère de la Justice et de la Sécurité publique, conformément à la loi du 30 mars 1984 organisant ledit ministère et au décret du 22 août 1995 sur l’organisation judiciaire.

Le rôle administratif du CSPJ lui est conféré par l’article premier de la loi du 13 novembre 2007 et est renforcé par l’article 15 de cette même loi, qui stipule que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire gère et administre le budget de fonctionnement alloué aux cours et tribunaux. L’article, 17 qui définit les attributions de la direction administrative du CSPJ, vient renforcer les dispositions de l’article 15. Cette direction interne se charge de la gestion des ressources matérielles et financières du pouvoir judiciaire. En lieu et place du MJSP, c’est la direction administrative du CSPJ qui assurera désormais l’approvisionnement, la gestion et l’entretien des cours et tribunaux. Elle participera aussi à l’élaboration des normes et procédures administratives en matière de gestion des ressources matérielles et financières.

Dans sa compétence disciplinaire, le CSPJ a deux tâches spécifiques : il veille au respect des critères et procédures légaux dans la nomination des magistrats et contrôle les actes posés par ces derniers. Il reçoit aussi les plaintes des justiciables qui s’estiment lésés par le comportement d’un magistrat. La loi définit la procédure de dépôt de ces plaintes et le mode de saisine du CSPJ. Mais il faut noter que toute décision du Conseil contre un magistrat doit être notifiée, entre autres, au ministre de la Justice (art. 32). Pour s’assurer de la bonne marche des cours et tribunaux le CSPJ dispose d’une direction de l’Inspection judiciaire, chargée de veiller au respect des normes juridiques dans le fonctionnement des cours et tribunaux, à l’application des tarifs judiciaires et au contrôle l’application des règles statuaires relatives au personnel judiciaire. Elle répond ainsi à l’une des attributions principales du CSPJ : la fonction de contrôle. Enfin, le Conseil peut délibérer, à la demande du président de la République, sur toutes les questions relatives à l’amélioration de la justice et à la protection des justiciables. Ainsi quatre verbes résument le travail quotidien du CSPJ : administrer, discipliner, contrôler et délibérer.

Le CSPJ peut-il nommer ou révoquer des juges ?

L’article 1er de la loi sur le CSPJ prévoit que ce Conseil ne peut fournir qu’un « avis » concernant la nomination des magistrats. Soit par oubli, soit par choix délibéré, le législateur ne confère aucune force contraignante à cet avis fourni par le CSPJ. La Constitution en vigueur, en son article 75, a déjà fixé le mode de choix des juges pour tous les degrés de juridiction. Le CSPJ n’aura pas à nommer des magistrats. Il faut le noter à l’encre rouge pour éviter, dans l’opinion publique, toute confusion sur les attributions de ce conseil.

En exerçant ses attributions disciplinaires, le CSPJ peut être amené à prendre des mesures disciplinaires contre des magistrats. Dans tous les cas, et en fonction de la gravité de la situation, la loi fixe trois sanctions qui peuvent être prononcées par le CSPJ à l’encontre d’un magistrat jugé fautif : la réprimande avec inscription au dossier, le retrait de la magistrature, la mise en disponibilité sans traitement.

À l’exception des juges de paix, le magistrat bénéficie d’un mandat inamovible et c’est là l’une des garanties de son indépendance. La loi ne permet donc ni à l’exécutif, ni au Parlement, ni même au CSPJ de mettre fin au mandat d’un juge. On retiendra toutefois cette pratique dans l’administration publique qui considère la mise en disponibilité comme une sorte de révocation voilée.

Le CSPJ peut cependant constater la destitution d’un magistrat contre qui un jugement est rendu pour forfaiture. Il peut aussi recommander de mettre fin au mandat d’un juge frappé d’incapacité physique ou mentale.

Des limites remarquables

En applaudissant l’arrivée du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, une partie de la société a cru voir la fin de toute intervention de l’exécutif dans le secteur judiciaire. Mais il faut remarquer que le ministère de la Justice et de la Sécurité publique sera encore responsable de l’élaboration et de l’application de la politique de justice du gouvernement. Aussi, le CSPJ ne gérera que le budget de fonctionnement du pouvoir judiciaire. Le budget d’investissement relève encore du pouvoir exécutif.

Ainsi les grands chantiers de la justice inclus dans le budget 2012-2013 du gouvernement (construction d’une cinquantaine de tribunaux, réhabilitation prochaine de trois cours d’appel, etc.) ne seront pas menés par le CSPJ. C’est le ministère de la Justice qui s’en chargera. Des critiques retiennent aussi la présence de deux commissaires du gouvernement au sein du CSPJ comme une porte restée ouverte pour les éventuelles interférences de l’exécutif.

Pour bien savourer cette grande avancée que constitue le CSPJ en termes d’indépendance du pouvoir judiciaire, certains juristes croient donc qu’il faut vulgariser la loi du 13 novembre 2007 pour éviter toute confusion autour du vrai rôle du CSPJ et aussi pour souligner à l’attention des parlementaires la nécessité de prendre des mesures d’accompagnement favorisant le respect et l’application de la loi du CSPJ ou même pour proposer une nouvelle loi sur les latitudes de ce Conseil.

Eddy Laguerre
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Source: Le Matin