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Aristide, L’Intouchable!
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- Catégorie : Opinions
- Publié le dimanche 24 août 2014 17:35
Dans une déclaration conjointe faite dans la presse en début de semaine, l'Initiative de la Société Civile et le Conseil Haïtien des Acteurs non-Etatiques jugent les poursuites judiciaires engagées contre l'ex-président Aristide par le Juge Lamarre Bélizaire inopportunes, eu égard à la conjoncture actuelle qui fait déjà miroiter le spectre d'une crise pré-électorale. Je n'en reviens pas.
Cette déclaration est mal inspirée à bien des égards. D'abord, il faut que les acteurs de la société civile réalisent que la justice doit être indépendante non seulement des deux autres pouvoirs, mais aussi de toute interférence externe, d'où qu'elle vienne. En tant qu'éléments de la société civile, notre vigilance, dans ce cas précis, se borne à nous assurer que les poursuites enclenchées contre Aristide ne sont pas commanditées par le gouvernement Martelly/Lamothe, ce qui serait une triste façon de rater une opportunité unique de faire avancer la démocratie dans le pays. Aristide, contrairement à ses pratiques, a droit à un procès juste et équitable, si le juge Belizaire ou son successeur décide qu'il y a lieu de le juger. Cependant, nous savons tous que toute l'intervention gouvernementale qu'il fallait pour qu'Aristide aille en prison, il s'en était occupé lui-même, du temps de son règne.
Cela dit, il ne revient pas à des organisations de la société civile de décider de l'opportunité du timing des poursuites. C'est une décision qui revient, en toute indépendance, au pouvoir judiciaire. Si nous commençons à donner des prétextes aux juges quant à l'opportunité de faire avancer la justice, ils en trouveront à longueur d'année. Il ne sera pas opportun de poursuivre les ''grands'' de Novembre à Avril à cause des fêtes de fin d'année, des festivités carnavalesques, de Pâques et du Rara ; à partir de Mai jusqu'à Octobre, c'est le carnaval des fleurs, les fêtes champêtres et la réouverture des classes. Donc, il sera difficile de trouver un moment opportun pour qu'Aristide réponde de ses actes devant la justice.
En plus, il nous faut admettre que si nous revenons à la normalité —et il faudra tôt ou tard y revenir— nous devrons réaliser des élections tous les deux ans. Sachant qu'il peut falloir plus d'un an pour achever l'affaire Aristide, de l'instruction au verdict, il y aura toujours un chevauchement entre cette affaire et la réalisation d'élections dans le pays.
Mais, attendez : il y a une kyrielle d'autres raisons, encore plus fondamentales, pour lesquelles la déclaration de ces deux organisations est malvenue. D'abord, si nous suivons leur logique, le petit voleur de banane doit répondre de ses actes devant la justice à tout moment, mais les délinquants en col blanc qui, de surcroît, sont tellement irrespectueux des institutions nationales qu'ils paient des casseurs pour mettre le pays à feu et à sang au lieu de faire face à la justice, il faut attendre le clair de lune pour les convoquer ? N'est-ce pas là une justice à deux vitesses que ces organisations sont en train de promouvoir ? Ne sont-elles pas en train d'appeler la justice à récompenser la délinquance, le banditisme et l'irrespect des lois de ce pays ?
Ensuite, si les organisations de la société civile ayant pignon sur rue peuvent donner leur opinion, à leur façon, sur l'opportunité ou non des poursuites contre Aristide, pourquoi les soi-disant supporters de ce dernier ne peuvent pas eux-aussi, donner la leur, à leur façon, en bloquant l'entrée de sa résidence ? Tout cela nous fait réaliser que dans la lutte pour l'émergence de la démocratie en Haïti, nous sommes moins matures que nous nous amusons à le croire, et qu'au plus haut niveau, nous avons des réflexes antidémocratiques.
Cela dit, aujourd'hui, certaines conclusions s'imposent. Premièrement, Aristide n'a plus aucune force politique. Les deux ou trois dizaines de casseurs qui s'activent devant sa maison sont des journaliers qui n'ignorent pas qu'en environ 20 ans de pouvoir, Aristide et Lavalas n'ont rien fait ni pour Cité Soleil, ni pour le Bel-Air. Si Aristide était populaire, dans toutes les autres villes du pays, des citoyens se seraient précipités aux barricades. Si ces individus s'opposent à l'action de la justice, ils doivent le faire à leur dépens ; deuxièmement, le gouvernement Martelly doit se garder d'intervenir dans ce dossier car c'est à ce prix que le pays fera un saut qualitatif vers l'avant ; mais le gouvernement doit aussi agir avec rigueur contre les casseurs ; troisièmement, si Aristide est si puissant que son arrestation éventuelle peut plonger le pays dans le chaos, il peut aussi lâcher ses chiens et commanditer des fraudes massives aux prochaines élections, en toute impunité. Si c'en est le cas, il nous faut reconnaitre que ce pays a un ''problème Aristide'' qu'il faut d'autant plus résoudre avant les élections.
Somme toute, la démocratie ne se construit pas sans casse. Tant qu'il y aura des citoyens que la justice ne pourra entendre qu'en temps ''opportun,'' nous ne serons pas sur la bonne voie. Une justice qui attend le moment opportun pour fonctionner est, par définition, une justice opportuniste. Ce n'est pas ce dont nous rêvons pour notre pays.
Frandley Denis Julien
doctorant en Droit
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