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Article 136 de la Constitution haïtienne : LE JEU DE L'INTERPRÉTATION

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"Martelly est prêt à assurer la continuité de l'État", titre un message reçu le matin du 11 janvier 2015. Cette phrase tire sa source, selon l'auteur, dans l'article 136 de notre Constitution qui se lit :

Article 136 : Le Président de la République, Chef de l'État, veille au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.

Et notre Constitution propose l'organisation suivante de l'État,:

Article 59 : Les citoyens délèguent l'exercice de la souveraineté nationale à trois pouvoirs : a) le pouvoir législatif;   b) le pouvoir exécutif; c) le pouvoir judiciaire.

Le principe de séparation des trois pouvoirs est consacré par la constitution.

Article 59.1 : L'ensemble de ces trois pouvoirs constitue le fondement essentiel de l'organisation de l'État qui est civil.

 Que signifie réellement "assurer la continuité de l'État" selon les prescrits de la Constitution ?

 Il y a deux courants d'idées contraires qui s'affrontent depuis le précédent créé par l'ancien président Préval qui en constatant la caducité du Parlement le 11 janvier 1999, a passé le reste de son mandat à diriger par décret (de manière illégale).

 Le premier, l'école de la gouvernance prévalienne par décret et de toutes les violations de la Constitution de 1987, porte et avalise l'idée que le chef de l'État puisse prendre directement la place des parlementaires. C'est ce que défendent des partisans du pouvoir actuel. Selon eux, après le 12 janvier 2015, puisque le mandat de la plupart des parlementaires arrive à terme, rendant ainsi le Parlement dysfonctionnel, le président Martelly a le droit d'exercer les prérogatives du Parlement car ce dernier n'existera plus. C'est le sens qu'ils donnent à "assurer la continuité de l'État" dans l'article 136 de la Constitution. Assurer la continuité de l'État devient l'équivalent d'exercer directement par le président les prérogatives de toutes les institutions de l'État s'il le faut.

 Leur modèle : Préval en 1999 pour ne pas remonter plus loin, trop loin jusqu'à la période dictatoriale. Ils se réfèrent à toutes les décisions les plus anticonstitutionnelles de l'ère prévalienne afin de justifier les leurs. Notons que ce sont les mêmes hommes et femmes de l'équipe prévalienne qui assurent la continuité aujourd'hui…

 Dans le même ordre d'idées, toujours pour "assurer la continuité de l'État", Martelly pourrait jouer le rôle du président démissionnaire de la Cour de Cassation et du CSPJ. Ainsi, le président pourrait exercer à lui seul le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif parce qu'il lui faut "assurer la continuité de l'État". Ainsi, la Constitution de 1987 dont l'ultime mission est d'empêcher qu'un seul élu puisse jouir des pleins pouvoirs, ce serait cette même Constitution qui en son sein cacherait les vices absolutistes.

 L'autre courant, contre la gouvernance par décret, réplique que l'article 136 est un tout dont la première exigence afin d'assurer la continuité de l'État, est de veiller au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. L'Exécutif ne saurait remplacer le Législatif ni le Judiciaire. Chacun des trois piliers de l'État doit exister séparément et en tout temps. Et que l'État est symbolisé ouvertement dans la Constitution par trois pouvoirs indépendants, l'Exécutif, le Législatif et le Judiciaire.

 Continuité est le contraire de discontinuité, contraire d'interruption. Donc assurer la continuité de l'État signifie veiller à ce qu'il n'y ait aucun moment d'interruption dans la vie des institutions qui symbolisent l'État, ce qui équivaut à assurer la stabilité des trois branches de l'État, à savoir le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire tel que le décrit la Constitution dans les articles 59 et 59.1. En résumé, assurer la stabilité ou la continuité de l'État signifie qu'à aucun moment l'État, représenté par l'ensemble de ses trois institutions, ne devrait cesser d'exister; ce qui implique qu'aucune de ses institutions ne peut être mise à l'arrêt momentanément.

 Alors, êtes-vous convaincu-e-s que le président Michel Martelly aura pleinement la légitimité constitutionnelle de diriger par décret après le 12 janvier 2015 ? Est-ce vrai que la Constitution l'autorise à gouverner par décret ?

 Pour moi, absolument pas. Je fais partie de ceux qui croient, à juste titre, que la gouvernance par décret est contraire à la Constitution haïtienne et une telle gouvernance nous enfonce dans les voies complètement illégales et anticonstitutionnelles. Les dictateurs et apprentis dictateurs sont beaucoup plus dangereux quand ils se parent d'une couverture légale. Les interprétations volontairement erronées de la Constitution haïtienne servent les intérêts des antidémocrates par héritage ou par choix.

 Nous avions commis l'erreur d'avoir accepté en 1999 un président qui s'était attribué les pleins pouvoirs en la personne de René Préval. Aujourd'hui, le président Martelly fait appel à ce précédent pour rendre concrète sa velléité de diriger par décret en 2015 et faire passer tous ses vÅ“ux personnels et claniques à la nation. Dans le futur, un troisième larron aura le beau jeu de nous présenter deux précédents pour nous imposer ses visées absolutistes. Rassurez-vous, il y aura bien un troisième larron si on laisse passer un deuxième.

 Ã€ partir du 13 janvier 2015, peu importe la formule retenue, le pays se trouvera en situation d'exception parce que le chef de l'État a failli à sa mission de "veiller au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions ainsi que d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État."

Et puisque le mot sacrifice est sur toutes les lèvres rosées, le meilleur sacrifice que Michel Martelly puise offrir à Haïti à l'occasion du 5e anniversaire du séisme le plus meurtrier qu'ait connu notre pays, est de remettre à la nation haïtienne sa démission, en suivant l'exemple de son ancien premier ministre et compère, Laurent Lamothe.

 Que tout le monde se rassure, la démission du président n'est pas anticonstitutionnelle, la Constitution haïtienne ne l'interdit pas…

 Junia Barreau
12 janvier 2015