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Entre survie et usure jusqu’à la corde : les rapports Haïtiano-dominicains (2 de 2)

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par Leslie Péan, 5 juillet 2015

 Traduction libre de l’entrevue de Marino Zapete (El Despertador, Color Vision) du 19 juin 2015

 « Nous payions moins les Haïtiens et nous les utilisions pour couper la canne.   Souvenez-vous que pendant plusieurs années les principaux produits d’exportation étaient la canne-à-sucre, le cacao, le café. La canne à sucre repose sur la main d’œuvre haïtienne, jusqu’à prsent. Pendant des années, les Haïtiens ont construit l’économie dominicaine sans détenir aucun papier. Le gouvernement dominicain donnait un sac d’argent au gouvernement haïtien et lui disait : "mettez un nombre « X » d’Haïtiens dans un camion" et il les faisait traverser la frontière. Et le gouvernement dominicain a laissé ces Haïtiens en République Dominicaine pendant plus d’un demi-siècle. Après un certain temps, l’économie dominicaine a commencé à se diversifier. Les Dominicains ont commencé à faire d’autres petits boulots : taxi, banques de loterie, petits commerces et autres. Les Dominicains ont délaissé l’activité agricole complètement et laissé la place aux Haïtiens. Ils ont également abandonné la construction à ces derniers, cherchant un travail plus léger parce qu’en plus, les constructeurs et autres grands dons de l’agriculture ont besoin d’exploiter ces gens en leur payant très peu, en leur refusant la sécurité sociale, en leur enlevant le droit à l’indemnité fin de carrière. »

La profondeur d’un désarroi

« Durant les décennies 1970, 1960, 1950, 1940, les Haïtiens ont vécu ici sans documents. Le gouvernement dominicain les a laissés rentrer sans documents, les a laissés vivre ici sans documents, se contentant de les exploiter. Et il déclare aujourd’hui, : " Nous allons régulariser ". Est-ce quelque chose de légitime pour un pays ? Un pays a ce droit. Quoique ce ne soit pas légitime, c’est légal. Ce n’est peut-être pas juste, mais c’est légal. Donc, la République Dominicaine a légalement le droit d’engager cette procédure. Maintenant, est-ce qu’un pays peut faire cela de n’importe quelle façon, et comme le président Danilo l’a proposé ? Est-ce qu’il peut prendre un problème que ce gouvernement a créé, non pas celui-ci précisément, mais ceux des décennies 1970, 1960, 1950, 1940 ans et dire d’un moment à l’autre : "Non je ne veux pas d’Haïtiens ici "  ? Est-ce qu’il peut diffuser une consigne de patriotisme, de souveraineté de la patrie, et dire qu’il faut retirer un demi-million d’Haïtiens d’ici du jour au lendemain ? Est-ce qu’il peut dire : " J’émets un décret, il n’y aura pas de prorogation " et tous nous applaudissons et nous oublions que les Haïtiens ont 40, 50, 60 ans et n’ont pas un papier, que leurs enfants, leurs petits-enfants, les uns avec des papiers d’ici, les autres non ? En projettant de chasser tous ces gens d’ici, vous déclenchez un drame.  »

L’énergie du désespoir

« Regardez cette femme qui était à Jimani où était notre reporter Manuel Méndez. Elle avait 22 ans ici, elle a 5 enfants nés ici. Elle a essayé de remplir les papiers, ces papiers sont faits pour qu’elle ne puisse remplir les conditions demandées. Les papiers que le gouvernement exige, ce sont des papiers pour faire de la démagogie afin de dire aux organisations internationales, "Oui on va le faire, regardez ce que nous faisons ", mais ceci pour que personne ne soit qualifiée. Il fallait voir ce qu’a expliqué l’avocate dominicaine Noémie Méndez. La procédure mise en application par le gouvernement ne marche pas. On peut le voir dans le cas de cette femme de 40 ans, dont 22 ans ici, et qui a 5 enfants. Elle déclare :  "Je vais en Haïti avec ce que je possède ; je ne peux pas emmener les 5 enfants parce que je ne sais pas où je vais. Je vais les laisser ici, j’emmène 1 seul enfant et je laisse les 4 autres ici avec une amie pour voir comment je vais faire avancer les choses et je vais revenir prendre mes 4 enfants." Ainsi, il y a des milliers et des milliers de familles dans cette situation parce que ce n’est pas seulement hier qu’ils sont venus. Pensez-y peuple dominicain. C’est comme si le gouvernement dominicain nous disait que d’ici demain, vous devez laisser les quartiers de la Zurza, Gualey, Guachupita, la Cienaga, los Guandules, tous les quartiers situés le long de la rivière et qui ont été contruits il y a des dizaines d’années. Les gens se sont installés dans ces quartiers et le gouvernement a fermé les yeux (se ha hecho de la vista gorda). Cela est pareil à ce qui arriverait si le gouvernement disait que dorénavant personne n’a le droit de vivre dans ces quartiers. Cela ne peut pas être une bonne chose. Et c’est précisément ce qui se passe ici avec les Haïtiens. »

Un défi au bon sens

« Personne ici ne met en question le droit qu’a l’État dominicain de réglementer parce qu’ici le gouvernement crie qu’il a le droit de règlementer, et qui a dit non ? Il a le droit de réglementer. Mais maintenant, peut-il défaire du jour au lendemain ce qui a été permis pendant 70 ans ? Le gouvernement dominicain peut-il dire maintenant, "les Haïtiens doivent tous partir, je prends 30 autobus et je fais monter tous ceux qui se trouvent dans les rues, je les prends ". Il importe de tenir compte du fait que ces gens ont été ici depuis des décennies. C’est la dimension humaine de la question qui doit primer, car si le monde ne met pas les êtres humains au premier plan, à quoi sert-il ? Donc, ici c‘est la dimension humaine qu’on doit prendre en considération, l’autre dimension, c’est l’avantage économique que tire la République Dominicaine des Haïtiens. Vous avez vu ces jours derniers, vous avez vu l’industrie de la construction, comment c’était hier ? Sans personne. J’aivu dans le rapport de Santiago ce que disait le chauffeur d’autobus public. "Aujourd’hui je n’ai eu personne. Normalement les gens qui montent dans mon autobus sont des Haïtiens". L’activité agricole, vous avez vu comment étaient les gens de Constanza. Ils disaient que la production agricole va diminuer parce qu’il n’y a personne pour travailler la terre. On ne peut pas défaire une structure de production du jour au lendemain. C’est une chose stupide. »

« La façon de faire des agents du gouvernement est stupide. Ils étaient ici avec plein d’autobus, évoquant le patriotisme et disant " nous avons 2000 soldats, il faut que ça se termine ici, nous devons mettre un terme à cette situation". Le pire, et le plus honteux pour notre pays, c’est le pillage. Voler est un délit, mais on dit que voler un indigent, c’est plus qu’un délit et ici depuis que ce plan de régularisation a commencé tous ces gens qui allaient là-bas (au bureau) disaient : "Écoutez, on me vole, j’ai pas mal de temps dans la file et je ne rentre jamais si je ne paie pas une somme d’argent. Et ceux qui arrivent en dernier avec de l’argent en main entrent et moi je ne peux pas rentrer parce que je n’ai pas 1,500 pesos. J’ai dépensé 20,000 pesos que je n’avais pas à cause de toute cette bureaucratie que le gouvernement a imposée. Le patron doit te donner une lettre (qu’aucun patron ne veut donner), ou encore cette lettre ne vaut rien, tu dois la faire légaliser, etc. ” Enfin, vous voyez ce que ça coûte, tout ça ! " »

Le saccage des Haïtiens

« Mais de plus, regardez jusqu’où nous sommes arrivés. Je vous ai expliqué plusieurs fois comment les Haïtiens s’en vont. C’est sans un rond. C’est pour cette raison qu’ils ne veulent pas marcher avec de l’argent en poche. Parce que les Haïtiens qui sont pris, on leur dit : "Laisse-moi voir ce que tu as dans tes poches". On lui enlève tout, c’est un saccage. Donc c’est ce qui se passe ici, c’est ce que vivent ces gens qui sont ici, c’est ce que nous avons vu avec ce plan de régularisation. On a vu ce qui s’est passé à Moca où des Dominicains ont saccagé la maison d’un groupe d’Haïtiens et une dame avec laquelle j’ai honte de partager la nationalité a crié " la bonbonne de gaz est à moi ". Et d’autres ont utilisé des enfants, ce qui est incroyable, avec des draps pour prendre tout ce qui est utile. Ils ont emballé des choses et les enfants sont sortis des maisons, volant ces choses. »

« En ce qui concerne cet exode des Haïtiens qui a commencé, tous nos journalistes depuis plusieurs points du pays ont reporté les faits suivants. Les Haïtiens cherchent des camionnettes pour s’en aller avant qu’on leur vole ce qu’ils ont, parce qu’ils savent que si on les rencontre dans la rue et qu’ils n’ont pas ce fameux papier (inscription au Plan de régularisation), on va les expulser sans qu’ils n’aient droit à rien. Les Haïtiens savent que ce n’est pas vrai qu’on va réviser les dossiers au cas par cas, qu’il n’y aura pas d’arbitraire et qu’on va respecter la procédure. Le ministre était là dans nos studios et a dit : " Nous, nous ne voulons pas que ceci passe par une procédure judiciaire". Ça c’est du "friendo y comiendo " ( kou l cho l kwit ). Les centres d’accueil, ce n’est pas plus qu’un jour. Mais tous ceux qu’ils rencontrent dans la rue, si c’est de nuit, comme il y a un horaire, comme ici c’est à 5 heures, s’ils arrivent après, ils doivent dormir sur les lieux pour être renvoyés le lendemain ; là il n’y a pas la procédure de rigueur, ni le respect du protocole. Que disent les Haïtiens ? " On va tout nous voler. ". Leurs biens pour nous, ce n’est rien, mais pour eux, ils mettent toutes leurs affaires ici et ils ne veulent pas qu’on les leur vole. Ils s’en vont comme vous le voyez. »

Le pouls de la réalité

« Déjà, hier, les Haïtiens qui partaient volontairement dénonçaient les mauvais traitements dont ils étaient l’objet. Ils disaient " Maintenant les gens du CESFRONT (Cuerpo Especializado de Seguridad Fronteriza) veulent nous prendre los économies que nous emmenons et ils veulent que payions même pour nous en aller. Ils ne veulent pas de nous ici, nous partons volontairement et ils veulent que nous leur payions pour nous laisser partir". Telle est la situation réelle qui est en train de se produire. De plus, quand vous appartenez à une partie, et j’appartiens à cette partie, les journalistes ici appartiennent à cette partie, laquelle ? la partie Dominicaine, la situation est délicate. Les loups ne se mangent pas entre eux. (Entre bomberos no se pisan las mangueras). On vous dit que "vous ne pouvez pas parler mal contre les Dominicains, que le Dominicain peut faire n’importe quoi, peut faire du mal, et si on est Dominicain, il ne faut pas parler du mal que fait un Dominicain ". Eh bien non, moi, non ! Si on veut me considérer chinois, qu’ils me considèrent chinois, je crois que la justice, c’est l’unique chose importante dans la vie. C’est la seule qui peut améliorer tant soi peu l’humanité. » 

Photo credit: Gerry Brierre

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