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Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Analyses & Opinions

Cent ans de domination des ÉTATS-UNIS

caricature merten et opont lunion parfait

L'an 1898 marque l'entrée fracassante des USA sur la scène des Caraïbes comme puissance en marche vers l'hégémonie régionale, puis mondiale.

L'Espagne vaincu à Cuba par les troupes étatsuniennes, perd le dernier reste de son empire. L'Allemagne défaite à l'issue de la Première Guerre Mondiale renonce temporairement à ses prétentions impériales avant son retrait définitif avec l'effondrement de l'Hitlérisme. L'espace britannique ira en se rétrécissant avec les indépendances de la Jamaïque, de Trinidad et Tobago, de Barbade, Guyane, et l'autonomie de Belize. Les Pays-Bas vont conserver Aruba, Curaçao, Bonaire, importants par leurs raffineries de pétrole. La France va mener une politique d'assimilation, de départementalisation pour garder Martinique, Guadeloupe, Guyane Française...

L'hégémonie des USA

Les bases idéologiques.

A l'orée du 19e siècle, Thomas Jefferson, Président des USA révèle à son pays sa vocation de dominer le continent : « Cette ultime possession de tout ce continent est l'ordre naturel des choses ». Il établit le principe du Manifest Destiny. Il est repris par le Président James Monroe en 1823 qui s'adressait aux monarchies de l'Europe, solidaires du roi d'Espagne perdant des colonies en Amérique du Sud :« Pour ce qui regarde les gouvernements qui ont déclaré et maintenu leur indépendance pour laquelle nous avons une grande considération, nous ne pourrions considérer toute intervention d'une Puissance Européenne ayant pour but, soit de les opprimer, soit de les contrôler de toute autre manière, autrement que comme la manifestation d'une disposition hostile à l'égard des USA ».

La doctrine de Monroe sera rarement remise en question, comme lors de la guerre des Malouines opposant l'Argentine à l'Angleterre en 1982.

De 1846 à 1848, les USA vont agrandir leur territoire en s'accaparant de possessions mexicaines comme le Texas, le Nouveau-Mexique, la Californie, reculant ainsi l'Amérique Latine au Sud du Rio Grande. Au nom de la doctrine Monroe, ils vont combattre l'intervention de la France au Mexique par leur soutien actif au nationaliste Benito Juarez (1862-1867).

2) La nécessité de l'impérialisme.

La domination de la Caraïbe, de l'Amérique Latine fait partie, aux yeux des classes dirigeantes des USA, de leur destinée. Au cours de la dernière décennie du 19e siècle, la réalisation de ce projet s'avère une nécessité impérieuse. Deux causes l'expliquent :

a) La croissance américaine après la Guerre de Sécession (1861 – 1865).

Après la victoire du Nord industrialisé sur le Sud esclavagiste, l'Etat applique une vaste politique d'industrialisation par de massifs investissements privés dans les manufactures, les mines, la sidérurgie, l'agriculture, les chemins de fer, ces derniers à la fois sources d'emplois, sources de consommation, vaste réseau de circulation de personnes et de marchandises permis d'abord par la machine à vapeur, puis par la découverte de l'électricité. A ces raisons de l'expansion, on peut ajouter la migration d'une main-d'œuvre considérable, les investissements accumulés à partir de l'épargne et injectés dans la production, la politique protectionniste des hauts tarifs et de libre entreprise, la tendance forte à l'enrichissement individuel comme signe de succès personnel.

b) A cause des exigences propres à cette croissance, les USA se tournent vers l'extérieur pour la conquête de nouveaux marchés et de nouvelles sources de matières premières. La formation d'une vaste zone d'influence devient vitale pour la continuité de cette croissance et pour leur réussite. Ils vont exploiter la précarité des Etats de l'hémisphère en les menaçant d'abord de leur « big stick » (gros bâton).

3) Le big stick (1898 – 1933).

Le Président Théodore Roosevelt, soutenu par une campagne intense dans la presse du magnat Randolph Hearst campé par le cinéaste Orson Welles dans son célèbre film « Citizen Kane », lance son pays sur la voie impérialiste en Amérique Centrale et dans les Antilles en premier lieu. Deux allocutions formulent sa conception.

« Parlez doucement et portez un gros bâton. Vous irez loin ! Si la nation américaine sait parler doucement et cependant construire et maintenir prête une marine puissante, la doctrine de Monroe ira loin « » (Discours à Chicago le 2 avril 1903)

« Des défaillances répétées et une carence du pouvoir se traduisant par un relâchement général des liens de la société civilisée peuvent, en Amérique comme ailleurs, nécessiter en dernière ressource l'intervention de quelque nation civilisée et, dans l'hémisphère occidental, l'adhésion des Etats-Unis à la doctrine de Monroe peut les pousser .... à exercer .... un pouvoir de police internationale » (Message au Congrès du 6 décembre 1904).

Cette application impérialiste de la doctrine de Monroe, due au remarquable développement interne du capitalisme va entraîner des interventions en 1898 au détriment de l'Espagne à Cuba où les USA instaurent une indépendance factice, s'attribuent un droit permanent d'ingérence, installent la base de Guantanamo. Peu après, ils annexent Porto-Rico, détachent en 1903 le Panama de la Colombie et y creusent un canal interocéanique inauguré en 1914. A cette date, le bassin des Caraïbes devient une Méditerranée américaine. Les USA y ont fait face à des contestations territoriales comme à propos de l'ilot de la Navase avec Haïti, de l'île des Pins avec Cuba, des frontières avec le Mexique. Ils y ont demandé la cession à bail de sites stratégiques pour des bases navales comme le môle Saint-Nicolas à Haïti, Samana en République Dominicaine. Leur ingérence va prendre des formes diverses. Démonstration navale suivie d'un débarquement de troupes comme en Haïti en 1915, en République Dominicaine en 1916, au Honduras, au Nicaragua... Contrôle sur les finances des Etats comme en Haïti à partir de 1915, au Honduras, au Nicaragua et bien avant en République Dominicaine... Refus de reconnaître les gouvernements issus de mouvements révolutionnaires (Mexique, Costa-Rica, Salvador). Après 1912, les ingérences policières, auparavant ponctuelles, se transforment parfois en des occupations militaires comme en Haïti (1915 – 1934) avant la République Dominicaine (1916 – 1924) et le Nicaragua (1926-1933).

Ces 3 occupations ont des raisons stratégiques, financières, policières. Elles sont des actes de force aux dépens du Droit, avalisés par des traités imposés ensuite par les USA, sauf en République Dominicaine où le traité date d'avant 1916. Partout, objectifs à long terme identiques : application de la doctrine de Monroe, suprématie du dollar, la politique de la canonnière, protection des voies d'accès au canal de Panama. Cependant, on note des variantes.

En Haïti : contrôle financier avec occupation totale du pays vassalisant un gouvernement d'autochtones. L'armée haïtienne est limogée, la population désarmée, une gendarmerie créée.

En République Dominicaine, le gouvernement local est remplacé par l'autorité militaire américaine. L'armée est renvoyée et remplacée par une gendarmerie.

Au Nicaragua : contrôle financier soutenu par une force militaire qui laisse en place le gouvernement local et le protège.

Ces interventions déclenchent différentes formes de résistances dont les meneurs prennent à leur époque ou plus tard la dimension de héros nationaux.

En Haïti, la résistance armée se déroule surtout en zones rurales en 1915 – 1916 avec les survivants de l'insurrection de Rosalvo Bobo : père des luttes anti-impérialistes en Haïti, écarté de la course au pouvoir par les Marines au profit de Sudre Dartiguenave. Après l'écrasement des « Bobistes », Charlemagne Péralte organise la révolte des Cacos mais est tué en 1919 comme son successeur Benoit Batraville en 1920.

La résistance dans les villes s'est faite d'abord par les armes lors de la prise d'armes d'Antoine Pierre-Paul en janvier 1916, puis dans les journaux et par l'implantation du mouvement « l'Union Patriotique » de Georges Sylvain et dont Joseph Jolibois Fils se mue en principal animateur au pays comme à l'extérieur. C'est en Haïti que l'armée des USA va utiliser pour la première fois des avions pour combattre une guérilla rurale. Pour mater celle-ci, le camp de concentration de Chabert est ouvert dans le nord d'Haïti, plus de 10 mille résistants vont y périr et le cadavre de Péralte y sera inhumé en cachette en 1919.

Michel Soukar