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La Constitution de 1987 est-elle vraiment amendée ?
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- Publié le dimanche 29 juillet 2012 23:38
Beaucoup de gens nous demandent cet article pour expliquer exactement notre situation présente. Cet article complète notre article paru dans Le Nouvelliste du 31 mai 2012 en l’actualisant. Notre situation à l’heure actuelle est très simple : « Malgré la pompe et la mise en scène ayant accompagné la publication des pseudo-amendements, nous avons laissé les voies de la légalité constitutionnelle pour entrer dans les voies plus agréables, moins contraignantes mais plus périlleuses du DE FACTO. » Le Droit a perdu, mais la défaite du Droit est toujours provisoire. L’imbroglio juridique est loin d’être résolu. Il va continuer.
Les légalistes ne capituleront pas devant les magouilleurs, même si, pour le moment, ces derniers ont le vent en poupe. L’intellectuel français Alain Joxe vous dit que, pour gagner la guerre, il faut avoir l’assentiment du vaincu. Cet assentiment des légalistes, les magouilleurs ne l’auront jamais. Encore une fois, nous intervenons, non pour prendre parti, mais pour simplement essayer d’apporter un peu de lumière à nos concitoyens déboussolés. Les explications vont suivre. Il faut toujours dire la vérité.
Le Président de la République, M. Michel Joseph Martelly, finalement a tranché dans la longue saga des amendements frauduleux après plus d’un an de rebondissements, en laissant publier ces pseudo-amendements dans le journal officiel de la République Le Moniteur. Il est rentré de plain-pied dans la voie de l’illégalité et de la violation de la Constitution.
Disposant de la puissance publique, il a décidé d’autoriser la publication et de s’associer au document frauduleux baptisé « corrigé pour erreurs matérielles » qui se trouve dans les colonnes du Moniteur et qui est baptisé pompeusement du nom d’amendements à la Constitution. Le Président de la République peut publier ce qu’il veut dans Le Moniteur, mais il n’a pas la possibilité de changer la nature de ce qu’il publie. Il n’a pas de baguette magique. Il vient cependant d’offrir sur un plateau d’argent un cadeau royal à ses ennemis.
Les raisons qui avait motivé le retrait d’abord et la non publication des amendements frauduleux depuis un an restent et demeurent. Elles sont intactes. Seule l’orientation de la décision présidentielle a changé. Il s’est prononcé maintenant pour l’illégalité. L’approche « c’est légal parce que je le veux » est peut-être valable dans une monarchie absolue comme l’Arabie Saoudite ou le Vatican, mais elle n’a aucune valeur dans un Etat de droit, un Etat de droit que le Président de la République dit vouloir construire. Il n’existe pas d’Etat de droit à la carte. Ici, des six E (œufs) du Président, il y en a un de cassé, l’E de l’Etat de droit. Il lui en reste cependant cinq dans son panier : Education, Enfance, Ecologie, Economie, Energie. Il aura fort à faire quand même. Force est de constater que les conseillers du Président ont été incapables d’empêcher leur patron de commettre cette bévue politique monumentale dont au cours de la poursuite de son mandat présidentiel il expérimentera les conséquences néfastes pour son régime. En droit, on ne peut pas faire en même temps une chose et son contraire. L’illégalité est une chose très addictive.
En 2011, faisant le retrait des amendements frauduleux, le Président Martelly avait pris une décision d’homme d’Etat. En 2012, en autorisant la publication d’un texte frauduleux, il a pris une décision de politicien. Quand les considérations politiques l’emportent sur le droit, on n’est plus dans un Etat de droit. La politique doit au contraire toujours être subordonnée au droit, non l’inverse. Il est temps que nous cessions de faire de la politique en coquins.
Le Président Martelly sait mieux que personne que le document publié le 19 juin et dit « reproduit pour erreurs matérielles » est un document frauduleux, sans existence juridique et inopérant. Il sait aussi qu’il existe en vigueur dans le pays une version de la Constitution en créole qui est intacte et qui contredit point pour point ce qu’il y a dans le document frauduleux. Il est bien conscient de tout cela. A preuve de ce que nous avançons, nous dirons que le Président s’est contenté de retirer son Arrêté du 3 juin 2011 qui, faisant le retrait des amendements frauduleux, remettait le pays dans la légalité constitutionnelle, et qu’il n’a pas signé le document publié dans Le Moniteur, croyant pouvoir mettre à couvert sa responsabilité dans cette mise en vigueur d’amendements frauduleux à la Constitution, ce qui s’apparente ici à un véritable tour de passe-passe. Le Président Martelly a techniquement adopté l’attitude de Ponce Pilate vis-à -vis de ces amendements frauduleux, s’en lavant littéralement les mains et les laissant entrer en vigueur par une voie elle-même irrégulière. Le Président a confondu vitesse et précipitation.
Ici encore, le Président de la République a été induit en erreur par certains mauvais conseillers qui lui ont fait croire qu’en agissant ainsi, il exonérait totalement sa responsabilité dans cette malheureuse affaire d’amendements. En droit administratif, le fait par un dirigeant de ne pas faire quelque chose ou de laisser faire délibérément quelque chose d’irrégulier et d’illégal équivaut à une faute qui engage pleinement la responsabilité de ce dirigeant. Personne n’est dupe de la manœuvre qui est cousue de gros fil blanc. Le Président Martelly a commis une infraction qui est définie par les auteurs anglo-saxons comme une « Dereliction of duty », ce qui se traduit assez mal en français, mais que l’on pourrait rendre par « Abandon de devoir ». Ponce Pilate, fuyant ses responsabilités, avait lui aussi commis, il y a 2000 ans, une « dereliction of duty » en laissant crucifier quelqu’un qu’il savait pertinemment être innocent. Cette attitude représente une faute lourde pour un responsable politique ou administratif et n’est pas acceptable en droit public. Ponce Pilate aussi l’apprit à ses dépens, car il semble que, deux ans après son forfait, et suite aux démarches inlassables entreprises par Sainte Véronique et d’autres amis du Christ, il fut révoqué deux ans plus tard par l’Empereur Tibère son patron pour faute professionnelle grave et rayé des cadres administratifs de l’Empire romain. Il resta au chômage pour le restant de sa vie.
Cette « dereliction of duty » ne règle pas les affaires du Président Martelly. Il a mis ou contribué à mettre délibérément un faux en vigueur pour amender la loi mère du pays. L’histoire retiendra cela. Déjà dans les milieux populaires qui représentent la base politique du Président et qui sont encore en état de choc, on entend des réflexions comme celles-ci : « Le Chef a trahi la cause, le Président a péché, etc… » Cette mesure illégale a eu l’effet d’une douche froide sur ce secteur important de la Nation qui représente la majorité des votants. D’après les sondages réalisés, 65% des citoyens sont contre la mise en vigueur des amendements frauduleux au moyen d’une manœuvre de force par le leader populaire que demeure Martelly. Tout semble apparemment, s’être bien passé, parce que l’Haïtien n’agit pas, il réagit. Le peuple peut ne pas comprendre toutes les finesses d’une discussion juridique de haut niveau, mais dans son gros bon sens, dans son intuition naturelle, il sentira quand même qu’il y a quelque chose d’incorrect et d’inacceptable quelque part. De notre côté, nous comprenons mal ce qui a poussé le Chef de l’Etat à agir ainsi. Nous ne l’avons pas encore découvert. On constate qu’apparemment il a cédé à un odieux chantage. Nous pensons cependant que l’on peut avancer un certain nombre d’hypothèses de travail.
Certains conseillers incompétents auraient fait miroiter au Président des avantages personnels ou politiques qu’il pourrait retirer de ces pseudo-amendements, comme si on pouvait tirer de bonnes choses d’une quelconque irrégularité. Nous devons ici nous arrêter pour rendre un hommage mérité au lucide et courageux député Jules Lionel Anélus qui a eu à dire qu’on ne peut obtenir une bonne chose au prix d’une illégalité. Les partisans des amendements frauduleux pour défendre leur projet n’ont toujours opposé aux arguments de droit que des arguments de fond et absolument irrecevables dans un Etat de droit comme des raisons politiques ou des progrès et avantages par rapport au texte existant de la Constitution. Une autre raison, c’est que le Président de la République était entouré d’une meute de gens, Haïtiens et étrangers, qui pour des raisons diverses pressuraient le Chef de l’Etat pour obtenir la publication de ces amendements frauduleux au mépris du droit, et qu’il leur a donné satisfaction pour acheter sa paix en leur jetant ces pseudo-amendements, comme aurait dit le grand poète Oswald Durand, « comme un os que l’on lance à des chiens ». A ce propos, la menace proférée par le Président Levaillant Louis-Jeune de juger le Président Martelly était tout simplement risible. Où allait-il trouver les 66 députés nécessaires pour mettre en accusation un Président Martelly défendant du bec et des ongles la légalité constitutionnelle ? Où allait-on trouver 20 sénateurs pour déclarer Martelly coupable et le démettre de ses fonctions ? Comme le Président Andrew Johnson en 1868 aux Etats-Unis, Martelly aurait dû prendre la chance de se faire juger pour défendre un principe. Il aurait facilement triomphé des ces parlementaires magouilleurs, il serait sorti grandi de cette affaire et l’Etat de droit chez nous aurait été renforcé. Il a préféré leur céder. Disons enfin un mot sur certains diplomates étrangers et sur ce fameux Club de Madrid qui s’érige en spécialiste de questions constitutionnelles haïtiennes. Les diplomates, pour des raisons inconnues, pensent que des amendements frauduleux conviennent parfaitement aux Haïtiens : « Y’a bon amendements ! », comme on disait autrefois « Y’a bon Banania ! » Quand au Club de Madrid qui s’est permis d’extorquer des promesses illégales du Président de la République relativement à la publication de ces amendements frauduleux, ses membres doivent bien comprendre qu’ils sont de parfaits ignares en questions constitutionnelles haïtiennes et qu’ils vont le rester pour très longtemps. Certains secteurs étrangers ont intérêt à affaiblir politiquement le Président Martelly pour pouvoir lui arracher encore plus facilement à l’avenir des concessions illégales préjudiciables à l’intérêt national. Il y a l’enjeu du Conseil Electoral Permanent dont certains partisans du Président et certains membres de la nébuleuse Inite/Inikite nouvellement, reconvertis au martellisme, pensent pouvoir en faire leur profit en lançant à nouveau le pays dans la logique d’élections frauduleuses, ce qui serait une entreprise suicidaire et vouée à l’échec, mais la tentation sera extrême pour certains de penser que, dans le nouveau contexte, ils peuvent toujours essayer et bien se tirer d’affaire. L’histoire récente contredit cette approche. Il y a aussi la possibilité que de faux amis du Président le poussent à commettre une grave erreur dans le but de l’affaiblir et de profiter eux-mêmes de cette erreur plus tard. Le Président Martelly a eu en réalité une attitude ambivalente vis-à -vis des pseudo-amendements. Après qu’il en eut fait le retrait, c’est lui-même qui annonçait à Boston quinze jours plus tard qu’il allait tenter de sauver les amendements. C’est lui qui délégua un représentant de la Présidence qui avait déjà travaillé à cette entreprise sous Préval, aux séances de repêchage des prétendus amendements qui ont duré près de six mois. Il est bien possible que le Président ait finalement succombé à ses inclinations initiales. Il faut croire enfin que le Président Martelly ait réellement pu voir ou cru voir quelque profit pour lui dans la publication de ces amendements notoirement frauduleux. Ce ne sont là bien entendu que des conjectures qui peuvent aider à comprendre.
D’après l’éducation chrétienne que nous avons reçue à Saint-Louis de Gonzague, il nous a été dit, ce qui est admis par tous les théologiens, que le chemin qui mène au paradis est montant, malaisé, étroit, ardu, rocailleux, difficile à gravir, et que le chemin qui mène à l’enfer est une autoroute, large, plate, bien asphaltée, agréable. Ici, malheureusement pour le pays et pour lui, le Président Martelly a choisi l’autoroute.
Les amendements ont été l’objet d’un faux l’an dernier. La théorie des erreurs matérielles est mensongère, car pour qu’elle soit valable, il aurait fallu que ce soit l’original même de l’amendement qui ait été publié au journal officiel avec lesdites erreurs matérielles. Or, la discordance entre les signatures et les sceaux qui se trouvent sur l’original et sur le texte publié invalide immédiatement cette thèse. Justement, le texte dans Le Moniteur n’est pas l’original, c’est là le hic. A cause de cette discordance au niveau des signatures et des sceaux, il ne peut pas être le texte de l’original des amendements mais un texte différent, rédigé postérieurement à l’original. L’original des amendements, seule pièce qui aurait pu faire foi, a disparu ou a été volontairement détruit. La clameur publique a même cité certains noms. Cette échappatoire « d’erreurs matérielles », ce véritable mensonge officiel que l’on veut faire avaler à la nation demeure un mensonge. Il ne peut y avoir d’erreurs matérielles sur les sceaux et les signatures qui se trouvent sur un document original, mais seulement sur une autre pièce. Les observateurs les plus perspicaces verront en outre que la dernière phrase de l’original des amendements et du document publié dans Le Moniteur n’est pas identique, ce qui prouve encore qu’il s’agit bien de deux documents différents, le texte du Moniteur étant postérieur de quelques jours au texte original des amendements, à moins que, pire encore, il n’ait été préparé d’avance. De toute façon, il s’agit là d’un cas caractéristique de faux en écriture publique, contre lequel l’action publique aurait dû être au contraire mise en mouvement. Le principe général en droit est le suivant : FRAUS OMNIA CORRUMPIT. La fraude corrompt tout. Depuis le 13 mai 2011, les amendements sont morts. D’ailleurs, l’ensemble de tout le processus de révision est entaché de nullité depuis le début, on semble trop souvent l’oublier. Dans cette affaire, tous les principes du droit, de la morale, de l’éthique, du bon sens, de la logique, de l’honneur ont été copieusement foulés aux pieds. Parler ici « d’erreurs matérielles » est tout simplement une insulte à l’intelligence. Le Roi est nu ! Le Pays va être régi par un faux. Personne n’est dupe. Le colonel Himmler Rébu parle de crime d’Etat. On devrait parler de crime contre l’esprit.
Il y a eu des altérations au texte qui a été présenté au Président Martelly pour publication par rapport à ce qui se trouve dans le compte-rendu des séances qui existe encore (mais pour combien de temps ?). Le groupe de juristes indépendants en a relevé pas moins de 34. C’est une autre cause de nullité absolue.
Depuis le 9 mai 2011, l’Assemblée Nationale est dessaisie de ses attributions constituantes. Aucune addition, soustraction, modification, correction, altération, à aucun texte voté par elle en tant qu’organe constituant, n’est recevable après cette date butoir. La date du 9 mai 2011 qui figure encore sur le document publié dont il est pourtant notoire qu’il n’a été finalisé qu’en décembre 2011, est purement mensongère. Pour qu’elle soit vraie, il faudrait que ce document ait été élaboré pendant les dix minutes qui ont suivi la levée de la séance par le président Joazile. Or, cette nuit-là , on ne savait pas encore que le texte qui sortirait dans Le Moniteur serait affecté « d’erreurs matérielles ». C’est un non-sens total. La fausse date ou la date fictive est aussi une cause de nullité absolue. En droit, il est interdit d’antidater un texte. C’est une autre falsification du texte à laquelle le Chef de l’Etat vient de donner sa bénédiction. (L’article 137 ressemble à la querelle théologique du « filioque ».)
La nature du document qui se trouve dans Le Moniteur n’a pas changé et le fait qu’il se trouve dans le journal officiel de la République est sans effet sur sa nature intrinsèquement frauduleuse donc nulle. Il demeure donc un texte sans existence juridique, inopérant et inhabile à modifier le texte original de la Constitution. En réalité, la fraude continue…
Enfin, la version créole de la Constitution de 1987 est encore intacte et en vigueur. Elle contredirait toute version française contraire à ses prescriptions. M. Martelly a mis en vigueur en même temps dans le pays deux Constitutions contradictoires et de force égale. (Le texte français n’est pas non plus modifié par un document inopérant.)
La violation de la loi n’entraîne pas la violation de la loi, et ce quelle que soit la qualité ou le nombre des violateurs ou des violations. Des diplomates étrangers en poste chez nous se réjouissent qu’il y ait eu un consensus des trois Pouvoirs de l’Etat sur un texte d’amendement, il est plus exact de dire qu’il y a eu un consensus entre les trois Pouvoirs de l’Etat pour commettre une grosse violation de la Constitution. Le consensus ne change rien à la violation elle-même. Ne devrait-on pas dire même qu’il s’agit là plutôt d’une circonstance aggravante? On est en pleine course à la médiocrité.
Ce qui a été le plus surprenant en vérité, c’est de voir le président de la Cour de Cassation, la plus haute instance judiciaire du pays, se déshonorer et déshonorer la Cour qu’il préside, qui est supposée chez nous dire le dernier mot du droit et qui est aussi l’une des premières victimes des ces amendements frauduleux, en participant lui-même à cette mascarade grotesque devant la Nation. La photo de la première page du Matin du 28 juin 2012 est tout à fait choquante. Où est donc passé l’intègre et compétent magistrat Anel Alexis Joseph dont on prenait plaisir à lire, il y a quelques années, les jugements dans Le Nouvelliste qui étaient remarquables par leur clarté et leur niveau juridique ? A-t-il oublié son droit ? Mieux que personne, il sait que ce qui a été fait n’a rien de légal. C’est sûr qu’il a lu le Rapport de ses confrères juristes du groupe indépendant. A-t-il été zombifié ? Son bon ange était-il absent à ce moment-là ? Le président Joseph s’expose à ce que n’importe quel petit étudiant en droit de 2e année de n’importe quelle faculté du pays lui donne des leçons de droit. L’attitude de ce magistrat de carrière fait naître les plus graves inquiétudes sur l’indépendance du Conseil Electoral Permanent et sur tout du fameux Conseil Constitutionnel qui ne sera qu’un instrument docile entre les mains du pouvoir exécutif. Comme disait le Président Léon Dumarsais Estimé « si ceux qui sont normalement les bergers du troupeau s’en constituent eux-mêmes les loups » qu’allons nous devenir ? Le fait que les Présidents des deux Assemblées parlementaires se soient trouvés sur la photo n’a en revanche ni surpris ni choqué personne, à cause de l’acharnement de ces deux personnages à soutenir cette mesure illégale et en à exiger à toute force sa mise en vigueur. Néanmoins, le fait que de hauts responsables de l’Etat aient décidé de leur propre autorité de qualifier ce faux en écriture du nom d’amendements au point de parler de Constitution amendée est tout simplement scandaleux. C’est « l’effort dans le mal » d’Anténor Firmin.
L’homme d’Etat chinois contemporain Hu Yaobang, décédé en 1989, ancien secrétaire général du Parti communiste chinois mais pourtant adepte de la démocratie, reprenant la pensée d’un grand écrivain chinois du XXe siècle, Lu Xun, disait qu’il préférait être piqué par des punaises que par des moustiques. La punaise vous pique, c’est tout. Le moustique vous empêche de dormir par son bourdonnement et vous pique quand même ensuite. Dans cette affaire d’amendements frauduleux, il y en a qui ont le comportement de la punaise, d’autres celui du moustique.
Le Président Martelly doit savoir qu’il existe des secteurs en Haïti qui n’accepteront pas cette politique du fait accompli et que sa démarche ne fait que compliquer sans raison sa tâche de gouverner, susciter des suspicions inutiles contre son régime et attiser les querelles et les haines entre Haïtiens, déjà si prompts à s’entredéchirer pour des riens… Comme dit Churchill, le Président Martelly avait à choisir entre la guerre et le déshonneur. Il a choisi le déshonneur. Il aura la guerre. Il va se trouver bientôt dans une situation politique et juridique inextricable, dans une crise majeure. Ce qui s’est passé est un précédent très dangereux. D’autres à l’avenir seront tentés de l’imiter. Selon nous, un second retrait des prétendus amendements est à terme la seule planche de salut du Président Martelly.
Le document frauduleux qui a été publié dans Le Moniteur est en réalité un simple TRACT, car il n’est pas revêtu de la signature du Président de la République et du grand sceau de la République et que de ce fait il ne possède aucune formule de promulgation qui lui donnerait une force exécutoire. Il est un document sans existence juridique et inopérant certes, mais il va produire néanmoins des effets de droit. On est ici dans le cas de la déclaration unilatérale produisant des effets de droit, qui est selon la théorie juridique une des sources du droit. Le Président Martelly dispose de la puissance publique. Il a décidé de faire du de facto. C’est son affaire. Il peut bien commettre une violation de la Constitution ce faisant, mais à moins de se lancer dans une rébellion ouverte ou violente contre les pouvoirs publics, on va subir les effets de droit de cette mesure de facto. Les bons citoyens vont obéir à la mesure de facto en attendant mieux de la part des pouvoirs publics, mais elle restera du de facto. La vie nationale ne peut s’arrêter. Le cas s’est déjà produit dans le passé par deux fois avec la même Constitution de 1987. Le général Henri Namphy après son coup d’Etat du 19 juin 1988 contre le Président Manigat avait mis l’intégralité de cette Constitution en veilleuse et le général Prosper Avril après le renversement du général Namphy en septembre de la même année avait maintenu certains de ses articles en veilleuse. Ces mesures de facto avaient produit des effets de droit pour l’ensemble de la communauté. C’est exactement la même chose ici. Nous sommes en plein dans le de facto, même si cela semble faire l’affaire de certains. Il n’y a pas d’amendements, mais seulement du de facto. Il y a eu un coup de force contre la Constitution de 1987.
Cependant, à quelque chose malheur est bon. Les amendements frauduleux produiront des effets de droit au profit de tiers qui sont de bonne foi. En particulier, nous nous réjouissons tous que notre diaspora puisse bénéficier de la nationalité haïtienne. Même en cas de retrait du texte frauduleux à l’avenir, on ne pourra plus lui ravir ces droits en vertu du principe juridique de l’intangibilité des droits acquis. Nous tenons à signaler que le Président Martelly aurait pu faire la même chose avec les textes existants de la Constitution et de la loi en donnant une interprétation différente à ces textes par une simple décision administrative sans avoir besoin de passer par le biais d’amendements frauduleux, mais l’incompétence, la pusillanimité, le manque d’intelligence, l’absence de vision, la veulerie et la paresse de ses conseillers n’ont pas rendu la chose possible. On choisit toujours les solutions de facilité dans notre pays et on rejette celles qui demandent le plus petit effort intellectuel. C’est la déroute de l’intelligence, pour reprendre la formule de Roger Gaillard.
Il y a aussi un autre avantage. L’arrêté présidentiel de Martelly de juin 2011 qui faisait le retrait des amendements frauduleux était lui-même irrégulier, car un arrêté qui est inférieur à une loi ne peut faire le retrait de la loi. Me Monferrier Dorval avait fait magistralement ressortir ce point. Nous avions été aussi comme juriste dérangé au moment même de sa sortie en juin 2011 par cet arrêté présidentiel qui faisait retrait d’une loi. Nous avions appelé au téléphone un de nos amis qui est un éminent juriste bien plus compétent que nous, Me Alphonse Gérard Ernst M. Avin, notaire à Port-au-Prince, pour avoir ses lumières. Me Avin nous avait dit que notre perception concernant l’arrêté de retrait était correcte, et dans la consultation qu’il nous avait donnée, il nous avait dit que l’arrêté présidentiel aurait dû faire simplement le retrait de l’acte de promulgation du Président Préval et que cela suffisait en la circonstance.
Fort de ces considérations, nous constatons que le retrait des amendements frauduleux reproduits en juin 2012 « pour erreurs matérielles » est encore plus facile que celui du précédent faux publié par le Président Préval en mai 2011. Le Président Martelly lui-même, à n’importe quel moment, peut faire le retrait de ce document frauduleux inexistant juridiquement, en prenant cette fois-ci un arrêté annulant tout simplement le numéro du Moniteur où se trouvent publiés les pseudo-amendements, sans que personne n’y trouve quoi que ce soit à redire. (La pièce ne porte même pas la signature du Président Martelly.)
La Constitution en principe prévoit son propre mécanisme de défense qui est la condamnation aux travaux forcés à perpétuité pour les hauts responsables qui la violent (articles 21 et 21.1). Mais nous n’y croyons pas trop, c’est simplement de la théorie en Haïti. Heureusement pour les violateurs, notre société, héritière d’une société de flibustiers du XVIIe siècle, est une société ayant une culture d’impunité où le « tout voum se do » est la règle. Ce qui vaut mieux peut-être pour tout le monde. Tout le monde chez nous y trouve en effet son profit. Plus on est de fous, plus on rigole !
Il faudra un jour régler dans le sens du droit cette affaire d’amendements frauduleux. Nous ne sommes pas pour un second retrait immédiat de ceux-ci. Il nous faut nécessairement patauger un certain temps dans le de facto pour voir surgir les problèmes de tous ordres découlant de cette violation de la Constitution, problèmes pour tous, qui naîtront en cours de route, en particulier concernant la question des élections. Il n’y a plus aucune raison d’être pressé. Le Président Martelly ou un de ses successeurs seront obligés un jour ou l’autre de revenir au texte original de la Constitution de 1987 pour qu’elle soit amendée correctement si le besoin s’en fait réellement sentir.
Il y a eu des cas de remise en vigueur de textes constitutionnels dans l’histoire nationale, en particulier quand le 23 avril 1876, après la chute du régime Domingue-Rameau, le grand démocrate Boisrond Canal remit en vigueur la Constitution de 1867 dans son intégralité pour remplacer la Constitution de 1874 qui avait bien été votée par le Parlement mais dans des conditions d’illégalité totale. Geffrard, après la chute de Soulouque, remit en vigueur celle de 1846 et plus près de nous après la chute du régime autoritaire Vincent-Lescot, le Comité Exécutif Militaire du Colonel Franck Lavaud remit en vigueur celle de 1932.
Nous sommes convaincu que c’est le peuple haïtien qui, en tant que gardien suprême de sa Constitution, aura finalement le dernier mot. Le peuple haïtien a droit à des amendements corrects. Au nom de ses luttes héroïques pour la démocratie et pour l’instauration de l’Etat de droit, il mérite mieux que des amendements frauduleux. La situation actuelle est claire : La Constitution de 1987 n’est pas amendée. Elle est intacte. On est en plein dans le de facto