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Comment l’avenir s’annonce-t-il pour la bande à Martelly ?
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- Publié le samedi 19 décembre 2015 18:19
par Leslie Péan, 18 décembre 2015 --- Les événements qui se déroulent en Haïti autour des élections du 25 octobre ne sont pas isolés ou déconnectés les uns des autres. Le refus du gouvernement Martelly d’accepter la création de la Commission de vérification indépendante demandée par le G-8, Fanmi Lavalas et d’autres organisations démocratiques exprime bien la détermination des défenseurs du statu quo. Qui craignent de voir leurs magouilles et autres atrocités se révéler au grand jour. Ayant déjà donné libre cours à leur absence de toute vergogne dans une société qui accepte de se laisser diriger par des énergumènes, les partisans du pouvoir Tèt Kale se croient tout permis et continuent leurs méfaits en toute quiétude.
Tel est le triste constat que le peuple haïtien, dans toutes ses couches sociales, refuse par les manifestations de rue et autres formes de désaveu. L’indignation est à son comble et il y a lieu de se demander si Haïti pourra vraiment briser le pacte de corruption qui la régit depuis toujours. Depi nan tan dantan. C’est vrai qu’un mouvement transversal s’affirme de plus en plus à grande échelle. La dernière protestation en date, dans un concert marqué par l’absence de superficialité, est la lettre adressée le 16 décembre 2015 au président Michel Martelly et au premier Ministre Evans Paul par Jean-Robert Argant[1] au nom du Collectif du 4 décembre 2013.
Cette lettre dénonce, chiffres à l’appui, le ravalement zombificateur du gouvernement Martelly. Elle appelle à une sortie de crise qui commence par la rupture avec les pratiques d'impunité qui sont le terreau fertile pour la corruption. L’Arrêté de création d’une Commission nationale d’évaluation électorale est un pas en arrière par rapport aux prises de position antérieures et est peut-être un signe que l’avenir s’annoncerait mal pour la bande à Martelly. Qui s’est attirée immédiatement une estocade de plain-pied du G-8 et de Fanmi Lavalas le 17 décembre 2015. Ces organisations ont dénoncé la mascarade et le simulacre sur un ton qui indique un refus catégorique des pratiques de tikoulout et de bakoulou. Une fois de plus, le gouvernement Martelly est décidé à ne pas faire le ménage éthique pour qu’Haïti continue d’être un pays organisé sur la corruption. Comme l’écrivait L. J. Marcelin en 1892, « la corruption est portée, par nos gouvernants, à la hauteur d’un principe de Droit public[2]. »
L’élection organisée par les « mandataires »
Les rapports faits par les journalistes nationaux et internationaux n’ont pas décelé une once de décence dans le triste spectacle des élections du 25 octobre 2015 en Haïti. La logique stupide de se succéder à soi-même a accouché d’une cuisine électorale de très mauvais goût. Un véritable système de fraudes qui ne cache pas son nom a consisté essentiellement à délivrer des cartes de « mandataires » aux représentants de la centaine de partis politiques bidon créées par le gouvernement. Munis de ces cartes, les mandataires représentant 59% des 1 583 393 votants[3] ont pu pénétrer et voter plusieurs fois dans n’importe quel bureau de vote[4]. Soulignons que le nombre de votants ne représente que 26% de l’électorat estimé à 5,8 millions. Ainsi, 915 675 mandataires ont servi d’aimant de la corruption invisible pour placer Jovenel Moïse en tête du premier tour de la présidentielle avec 32.76% des suffrages exprimés, soit 508 761 voix. Dans le cadre de la décomposition morale générale, les loups déguisés en brebis ont bien joué leur rôle de maintien de la domination d’une clique qui veut continuer à gruger Haïti.
Au fait, comme l’explique le Réseau National des Défenses des Droits Humains (RNDDH), le pourrissement des esprits a produit une « vaste opération de fraude électorale planifiée ». Préméditée. « Un nombre exorbitant de cartes d’accréditations a été délivré à des organismes d’observations électorales, de formation récente et inconnues pour la plupart, sans expériences. Ces organisations ayant bénéficié de ces privilèges semblent jouir d’une certaine proximité avec le CEP et le pouvoir[5]. » Selon le New York Times, les cartes d’accréditation ont fait l’objet d’un juteux commerce. Elles étaient vendues sur le marché au prix de 1,500.00 gourdes. Le Miami Herald a publié la photo d’un jeune vendeur exhibant plus d’une quinzaine de cartes. La réponse du pouvoir consiste à faire des déclarations de condamnation de pure forme et à donner du temps au temps pour que tout cela se termine dans l’amnésie.
Quand les honnêtes gens n’ont pas l’audace des coquins
Le scénario catastrophe annoncé s’est matérialisé. En effet, le 15 septembre 2015, nous disions : « Les adeptes de la débauche au pouvoir constatent que leurs pires actions sont tolérées et qu’ils n’ont aucune raison de les abandonner. Les bandits sont en attente (lan mori yo sou gri) et ils savourent déjà le délicieux fumet. Haïti est condamnée à revivre les épisodes du 29 novembre 1987 à la Ruelle Vaillant et du 9 août 2015. Des événements aux échos à grande vitesse et appelés à se reproduire[6]. » Notre diagnostic s’est révélé juste. Pourquoi ? Parce qu’essentiellement la société haïtienne traverse un état de désorientation globale du fait même que les honnêtes gens n’ont ni la masse critique ni l’audace des coquins. Dans le monde entier, l’analyse des bouleversements historiques indique que le discours moralisateur ne peut rien contre les forces du mal. Il faut passer à l’action.
Les secteurs qui refusent la création de la Commission de vérification indépendante des élections veulent garder sous le boisseau une corruption systématique que la moindre enquête mettrait en vue. Dans le cadre de la destruction de la conscience comme instance qui promeut le bien et combat le mal, les lobbyistes espagnols du pouvoir Tèt Kale sont retombés sur leurs pattes. Ils ont mis de coté leurs réserves et sont repassés à l’attaque. Ainsi, ils ont vite rameuté une armada d’observateurs de la vieille Europe pour tenter de légitimer la forfaiture. Ils ont envoyé une délégation en Haïti pour assister à la mascarade du deuxième tour planifiée pour le 27 décembre 2015. Le gouvernement véhicule l’idée que tout le monde est coupable mais personne n’est responsable. L’opacité est certifiée légitime et la corruption est déclarée invisible. Les lobbyistes défenseurs des élections frauduleuses mettent en marche leur machine de propagande pour faire avaler les malversations du Conseil Électoral Provisoire (CEP) de Pierre-Louis Opont.
La perte du sens consacrée par le gouvernement Martelly
Les entorses à la loi électorale sont dénoncées autant par le candidat du PHTK Antoine Rodon Bien-Aimé que par Fanmi Lavalas suite à une visite au CEP où 78 procès-verbaux choisis au hasard se sont révélés totalement frauduleux. Estimant que le droit de vote des électeurs a été violé, le chroniqueur sportif à la station privée, Radio Ibo, Roudy Thomas Sanon, a recueilli plus de 2 mille signatures et porté plainte formellement, le 11 décembre 2015, au cabinet d’instruction près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, contre les neuf (9) membres du CEP. Dans cette optique, le conseiller électoral Jaccéus Joseph du CEP a déclaré que « la volonté des électeurs n’a pas été respectée ». Refusant toute généralisation de l'indifférence face à l'éthique sociale, de nombreux secteurs se sont dressés partout contre le scrutin. Les églises catholique et protestante, les dix membres du Sénat de la République, l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) appuient la demande du G-8 de créer une commission de vérification indépendante.
Contestant la perte du sens consacrée par le gouvernement Martelly, les démocrates et progressistes ont démontré leur solidarité en s’associant dans des manifestations publiques pour protester contre les résultats frauduleux du CEP. La situation devient de plus en plus chaotique à mesure que la contestation s’élargit. Le G-8 et ses alliés s’insurgent dans des manifestations pacifiques devant le Centre de Tabulation (Tribulation) et devant les ambassades des pays du Core Group qui appuient le processus électoral frauduleux. Le mouvement pour la vérité électorale a pris une envergure internationale à travers plusieurs éditoriaux dans des journaux tels que Miami Herald, Washington Post, New York Times, Le Devoir, etc. Mais la bande à Martelly fonce tête baissée et refuse de faire marche arrière devant le sursaut national demandant la vérification du vote.
La terreur fasciste
Nous écrivions le 15 septembre 2015 : « Et si, par malheur, la nouvelle mascarade électorale devait réussir le 25 octobre prochain, Haïti sera confrontée à une autre catastrophe avec la reconduction du pouvoir Tèt Kale et un Parlement dysfonctionnel constitué de « bandi legal », comme le souligne le Miami Herald[7]. Le pays restera dans le flou, ne sachant même pas sous l’empire de quelle Constitution il fonctionne. Le Parlement sera une caverne d’Ali Baba où chaque vote est monnayé. »
Les révélations de l’ex-président du Sénat, Simon Dieuseul Desras[8], concernant les paiements effectués par des candidats à des juges et conseillers électoraux, défraient la chronique. Gérald Jean, l’un des candidats impliqués a confirmé sur Radio-Caraïbes le 16 décembre 2015 avoir la fiche d’un dépôt bancaire de 10 000 dollars effectué sur le compte d’un juge électoral, tandis qu’il déclare avoir payé 15 000 dollars en espèces sonnantes et trébuchantes à la conseillère électorale Yolette Mengual. Le chancre imposé dans le sillage de la mouvance Tèt Kale est bien installé au cœur de l’État. Comme dans une auberge espagnole, on trouve ce qu’on y apporte. Mais les défenseurs du statu quo ne s’en émeuvent pas, car ils savent que le système judiciaire est bien verrouillé sur le principe des trois macaques de la sagesse qui ne disent rien, ne voient rien et n’entendent rien.
La conscience de l'être-ensemble s'effondre. La société est gangrenée par la multiplication des associations de malfaiteurs à la recherche d’argent facile. Les gangsters se font passer pour des agents du fisc et luttent à mort entre eux pour collecter des taxes auprès des marchandes et des transporteurs dans tous les marchés publics. Il s’ensuit une véritable danse macabre avec un carnaval de meurtres dont les manifestations de surface sont les centaines de morts dans les quartiers populaires. « Au cours du 2ème et du 3ème trimestre soit de avril à septembre de l’année 2015, la Commission Episcopale Nationale Justice et Paix a documenté 454 cas de victimes de violence dont 398 tués par balle[9]. » Le cancer des bandes armées qui ronge la société dans ses entrailles crée une situation générale d’épouvante qui affecte la subjectivité de chacun de ses membres. C’est une situation de désastre généralisé et de dérèglement total qui n’a rien d’humain. Le pouvoir Tèt Kale joue ses dernières cartes en appelant à sa rescousse les artisans de sa victoire en janvier 2011 et des têtes d’affiche comme Rosny Desroches, Euvonie Georges, Emmanuel (Manno) Charlemagne, Anthony Pascal (Konpè Filo) et Monseigneur Patrick Aris. Le secteur démocratique n’a d’autre choix que la poursuite de l’action solidaire contre les « bandi legal ».
Historien - Economiste
[1] « Lettre ouverte au Président et au 1er ministre du Collectif 4 décembre 2013 », Port-au-Prince, 16 décembre 2015.
[2] L. J. Marcelin, Haïti: ses guerres civiles--leurs causes, leurs conséquences, leur conséquence future et finale, Paris, Arthur Rousseau Éditeur, 1892, p. 267.
[3] National Lawyers Guild-International Association of Democratic Lawyers Delegation, Report on Haiti’s October 25 Elections, November 2015, p. 17.
[4] The Editorial Board, « Haiti deserves a legitimate election », New York Times, December 12, 2015.
[5] Solidarite Fanm Ayisyen – SOFA, Conseil National d'Observation Électorale – CNO ; Conseil Haïtien des Acteurs Non Étatiques – CONHANE ; Réseau National de Défense des Droits Humains – RNDDH ; Scrutin du 25 octobre 2015 : une vaste opération de fraude électorale planifiée, Port-au-Prince, 12 novembre 2015, p. 47-48.
[6] Leslie Péan, « Le scénario catastrophe du 25 octobre 2015 en Haïti est-il évitable ? » AlterPresse le 15 septembre 2015,
[7] Jacqueline Charles, « ‘Legal bandits’ could take charge in Haiti’s parliament », Miami Herald, August 7, 2015.
[8] Danio Darius, « Des juges du BCEN accusés de corruption dans une affaire de manipulation de résultats », Le Nouvelliste, 16 décembre 2015.
[9] « Analyse et commentaires des rapports 55 et 56 sur la violence à travers la zone métropolitaine », Rapport de la Commission Justice et Paix, Port-au-Prince, 21 octobre 2015.
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