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Le martellisme est un sous-produit du jeanclaudisme: Le pouvoir scandaleux de Martelly et l’échec de la corruption internationale (3 de 3)
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- Publié le samedi 6 février 2016 19:44
Par Leslie Péan, 6 février 2016 --- La présence des centaines d’individus armés et en treillis vert olive dans les rues de la capitale le 5 février 2016 est l’ultime provocation de Michel Martelly pour se venger de la double défaite infligée par le mouvement démocratique. Double défaite disons-nous. D’abord en imposant l’annulation des élections du 24 janvier 2016. Ensuite en le contraignant à respecter la disposition constitutionnelle de laisser le pouvoir le 7 février 2016. Dans la rancune et avec des mots cruels reflétant la maladie incurable qui le ronge Martelly s’est attaqué aux journalistes Liliane Pierre-Paul et Jean Monard Metellus. En voulant tout détruire avec des flèches empoisonnées, Martelly a raté sa cible.
Les mots perfides et de cendre de Martelly ont eu l’effet contraire et ont plutôt provoqué des messages de solidarité et d’amour à l’endroit de ceux qu’il a attaqués. Témoins, entre autres, la belle composition « Reste Debout Lili » de Jean Jean Roosevelt et l’hommage rendu à Liliane Pierre-Paul au Karibe Convention Center le 5 février 2016 pour s’en convaincre. L’ouragan Martelly a saccagé la société haïtienne avec un temps de carnaval pendant cinq ans qu’il a mis à profit pour légitimer l’utilisation d’un langage grivois, scatologique et méchant. Il n’ouvre pas la bouche sans dire des gros mots, sans crever les tympans avec des insanités et sans laisser ses dépouilles sur le sol. On l’a vu à Miragoâne le 28 juillet 2015 avec cette femme qui cherchait des éclaircissements sur la politique.
Les mots de peine de Martelly se sont infiltrés comme de l’eau dans les fondations de sa propre maison. Des fissures sont vite apparues avec le départ du premier ministre Laurent Lamothe avant que celle d’Ann Valérie Timothée Milfort du PHTK révèle l’ampleur des dégâts. À force de parler à la légère, Martelly a créé lui-même des situations d’authentique détresse et de divorce. Il est victime de ses mots gros comme des calebasses parce qu’ils regorgent de rapacité. On se rappelle ses mots attachés à des préjugés attaquant les avocats Newton St. Juste et André Michel. Mais aussi des mots vides de toute substance, des mots sombrant dans la confusion, qu’il prononce parce qu’ils veulent cacher des vérités élémentaires. Comme ce fut le cas lors de ses déclarations le 19 janvier 2016 appelant à voter aux élections du 24 janvier.
Mane, Thecel, Pharès
Martelly n’a plus beaucoup de temps devant lui. Ayant été pesé et trouvé trop léger, ses jours sont comptés. Les mots du livre de Daniel sont incontournables : Mane, Thecel, Phares. La continuation des manifestations pour son départ d’un bout à l’autre du pays est déterminante pour précipiter son départ. Quoiqu’il arrive, le changement est en marche et rien ne peut l’arrêter. Jusqu’à la victoire finale ! Les éditoriaux des journaux Le Devoir et New York Times du 26 janvier et du Miami Herald du 30 janvier ont clairement dit que Martelly doit partir le 7 févier et qu’en aucun cas, son successeur ne peut être lié à son gouvernement. Un pan entier de l’univers des bandits s’écroule. C’est peu dire !
Le mal qui accable Haïti doit être extirpé à la racine. Un nouveau souffle est nécessaire pour sortir du carrousel des malheurs du pouvoir absolutiste qui veut se perpétuer par tous les moyens. Haïti fait face depuis 1804 à une absence d’éthique qui bloque l’instauration de la justice et empêche le bien-être à la grande majorité de sa population. La maladie de la course au pouvoir doit être guérie. Nos aïeux ont tellement été écrasés par l’esclavage qu’ils se cherchaient des honneurs et des titres en copiant servilement leurs anciens maîtres. La maladie du pouvoir s’est développée à un rythme étonnant et a contaminé tous les secteurs de la société.
Certains prétendent que la crainte d’un retour des Français pour réinstaurer l’esclavage a développé la mentalité du « deux jours à vivre ». Cette mentalité structure le mal haïtien autour du quadrilatère « Pito nou lèd nou la », « tout voum se do », « se pa fòt mwen » et « nou fè sa nou pi pito ». Nous ne partageons pas cette thèse du « shorttermisme ». Cela aurait dû être le contraire. Une telle perspective de retour des esclavagistes devrait plutôt augmenter le sens de la rigueur et de la responsabilité. D’ailleurs, tous les Français n’étaient pas esclavagistes. Mirabeau, Condorcet, la Fayette, les abbés Grégoire et Sieyès et tous les autres membres de la Société des Amis des Noirs condamnaient la traite des Noirs.
Qu’on se rappelle du mot de Robespierre le 13 mai 1791 déclarant « Périssent les colonies plutôt qu’un principe », trois mois avant la révolte générale des esclaves à Saint-Domingue du 22 août 1791. La question est complexe car, même parmi les esclaves, il existait une stratification. Par exemple, Dessalines était un commandeur et il fut par la suite esclave de Toussaint Louverture[1]. D’autre part, l’esclavage ne concerne pas que les noirs. Des centaines de milliers de blancs, en particulier les Irlandais, ont été esclaves et vendus par les Anglais tout au cours du 17e siècle. L’esclavage, en tant que mode de production associé à l’accumulation primitive du capitalisme, inscrit dans les mentalités une sacralisation, une pression, dans les rapports humains dont nous retrouvons les succédanés en Haïti encore aujourd’hui avec les 225.000 – 400.000 restavèk[2] (enfants domestiques). François Hauter identifie là les vraies raisons du naufrage haïtien[3].
Dessalines ne se contente pas du titre de Gouverneur à vie qu’il a eu pendant neuf mois en 1804. Il est mystifié par des commerçants anglais et américains qui lui apportent des vêtements et une couronne de la Jamaïque et de Philadelphie et il se fait proclamer Empereur à vie. Son absolutisme rentre en contradiction avec la soif de pouvoir de ses collègues généraux qui l’assassinent. Mais ses successeurs ne font pas mieux. Pétion se veut président à vie tout comme Christophe se fait proclamer Roi à vie. Yayou qui a poignardé trois fois le cadavre de Dessalines est nommé sénateur par Pétion avant d’être tué en 1808 par ce dernier. La malédiction électorale s’affirme dans l’histoire de notre pays mort-né avec l’assassinat de Dessalines mais aussi avec le ton donné par Pétion en tenant en 1806 les premières élections frauduleuses de notre histoire afin de s’emparer du pouvoir.
La règle établie le 3 novembre 1806 fixait le nombre total de paroisses à 59, soit 35 pour le Nord et 24 pour l’Ouest et le Sud, selon la répartition de la population. La manipulation du nombre de paroisses impose un charcutage électoral qui fait passer le nombre de paroisses de l’Ouest et du Sud de 24 à 39, leur donnant ainsi la majorité par rapport au Nord. Le résultat est la guerre civile et la division du pays en deux États qui dure douze ans. Le chen manje chen commence à l’aube de notre vie de peuple et nous refusons de réfléchir là -dessus. La geste de nos aïeux s’accompagne d’une cascade de dépenses somptuaires n’ayant rien à voir avec les priorités de l’heure. La jouissance du pouvoir politique est considérée comme la seule source de réalisation de soi.
Comme l’explique Louis Mars, le « complexe d’infériorité né de l’asservissement[4] » affecte la grande majorité de nos aïeux, autant les anciens libres mulâtres affranchis qui se sont rebellés contre leurs pères que les anciens esclaves noirs. Ensemble, leur psychologie consiste à ne jamais renoncer à vivre de la rente politique. Les idéaux de liberté et de changement sont détournés et deviennent des moyens utilisés pour faire la « révolution ». L’activiste veut prendre le pouvoir pour se faire une fortune dans un pays qu’on veut « exceptionnel ». Cette thèse d’Haïti comme « un pays à part » est critiquée par Hannibal Price[5] en 1871, puis par le journal Le Devoir du 17 septembre 1902 qui écrit : « Il n’y a d’exceptionnel dans le pays, que la façon dont on le gouverne ». Ce que confirme le journal Le Soir du 19 novembre 1902 en disant que pour être président d’Haïti, il suffit de « Savoir monter à cheval »[6].
Ne maitrisant pas les finances, nos aïeux sont à la merci des commerçants anglais, américains, allemands et français qui sont les fournisseurs de l’État. Essentiellement, la politique économique des aïeux traduit une absence de pensée stratégique. Nos aïeux se sont engagés dans des pratiques dirigistes contradictoires qui ont augmenté leur dépendance vis-à -vis des commerçants étrangers desquels ils ne cessaient d’emprunter pour boucler leur budget[7].
Un comportement borné
Les généraux et commandants d’arrondissement se sont engagés dans une coupe systématique d’arbres et l’exportation des bois de campêche (colorants) et des bois d’acajou (ébénisterie) vers l’Europe et les États-Unis. L’exploitation forestière s’est faite sans aucune considération pour le lendemain. Edmond Devèze, le commerçant français qui a vendu à Soulouque la couronne pour se faire proclamer Empereur reçoit entre autres la concession pour la coupe de bois à l’île de la Tortue pour dix ans. Les exportations de bois « se sont poursuivies pendant environ un siècle jusqu’à épuisement quasi total des réserves[8]. »
Le déboisement a continué au 20e siècle pour subvenir aux besoins énergétiques des populations pour la cuisson des aliments mais aussi pour satisfaire la demande des fours à chaux, des guildives, des entreprises de construction, etc. Un vrai raz-de-marée a englouti Haïti au point que la surface forestière d’Haïti est aujourd’hui de moins de deux pour cent. Dans le même temps, Haïti inaugure la chasse aux compétences qui sont fusillées, assassinées au même rythme que les arbres sont détruits. Comme le dit Karl Marx, « Le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux[9]. » Ce comportement est rampant en Haïti.
Dès 1804, l’accaparement des propriétés des anciens colons par les dirigeants du nouvel État a créé un tout d’une grande immoralité où les intérêts de toutes les parties ne sont pas représentés. Aucune des parties composant ce tout n’est à l’abri des tares recensées dans la formation sociale. De manière concomitante, la question épidermique (de couleur) s’est greffée sur la mauvaise politique financière et économique mystifiant les vraies questions. D’un côté, les finances nationales sont prises dans la tourmente avec un système bancaire aux mains des Français dès 1825 avec le mulatriste Boyer et renforcé par le noiriste Salomon en 1880, puis aux mains des Américains à partir de 1910. De l’autre, la communauté internationale est capable de faire baisser les prix des matières premières dans les pays ayant des gouvernements qu’ils ne contrôlent pas les politiques économiques. On l’a vu avec le prix du café en Haïti au 19e siècle, avec le prix de l’étain sous le gouvernement de Paz Estensoro, puis d’Evo Morales en Bolivie ou encore avec le prix du pétrole pour le Venezuela aujourd’hui.
Neutraliser la capacité de nuisance des fascistes
Les déconfitures multiples et la dégradation que connaît Haïti ne changeront pas en un matin tant que nous continuerons à faire de la politique le lieu de reconnaissance sociale par excellence. La vague militariste observée à la capitale le 5 février 2016 n’a pas surgi subitement et à l’improviste. C’est l’exposition spectaculaire du même état d’esprit autoritariste utilisé par le fascisme pour répandre la peur. Cette vague martelliste soulevée par la force du vent fasciste sur des motocyclettes et des treillis en vert olive vient du fond des entrailles des nostalgiques du Corps des Léopards et des tontons macoutes. Il n’y a pas de mystère : le martellisme est un sous-produit du jeanclaudisme semé et labouré dans les cœurs d’une partie de la jeunesse. Aucune régénération n’est possible avec les semailles dont les produits écorchent les corps, tuent les consciences et amputent les vies.
Les relations de cause à effet dans les affaires humaines sont très complexes. Toutefois, à moins d’une pensée magique, on ne saurait s’attendre à d’autres résultats avec les mêmes causes. La remise à niveau d’Haïti va demander un effort particulier pour arriver à un train de vie quelque peu florissant. Les conditions pour être élu président se sont dégradées. Hier, il fallait "Savoir monter à cheval", aujourd'hui il faut être une "charogne" soutenue par la communauté internationale comme le choix de Martelly en 2010 l’a démontré. Le diagnostic profond du mal qui terrasse Haïti demande des solutions de pointe et non des avis superficiels. Pour aider le pays à se retrouver, nous appuyons les propositions très pertinentes qui reviennent depuis un certain temps et que nous résumons comme suit :
Premier point. Organisation d’une Conférence nationale et élaboration d’une nouvelle Constitution. C’est une étape indispensable pour neutraliser la capacité de nuisance des fascistes, des néo-duvaliéristes et des populistes qui conduisent Haïti dans des impasses.
Deuxième point. On ne saurait tergiverser pour établir une Commission d’enquête sérieuse sur les fraudes commises lors des élections du 9 août et du 25 octobre 2015. Comme la loi électorale l’a prévu, ceux et celles qui ont bénéficié de ces fraudes doivent être poursuivis et radiés de la course électorale. Il importe de mettre fin à l’impunité.
Troisième point. La transition vers l’organisation d’élections libres, honnêtes et sincères doit se faire avec l’inclusion totale de la diaspora pour sa contribution à la lutte contre l’arbitraire du gouvernement Martelly mais aussi pour sa contribution financière au développement du pays.
Quatrième point. Il faut mettre fin à la mascarade des 160 partis politiques créés à dessein par Martelly lors de la conférence organisée à El Rancho en 2014 pour atomiser et ridiculiser la classe politique.
Enfin, cinquième point, des investissements massifs doivent se faire dans l’agriculture pour diminuer les importations de produits alimentaires. Les capitaux nécessaires à de tels investissements existent en diaspora. Au lieu de la mettre à l’écart, en la maintenant dans une situation de nébuleuse sans statut juridique et politique, Haïti a intérêt à s’accrocher à sa diaspora en lui donnant un pouvoir opérationnel dans les affaires nationales. C’est la dernière planche de salut qui peut propulser Haïti en l’aidant à sortir de la misère qui l’accable.
Economiste - Historien
[1] Jacques de Cauna, « Dessalines, esclave de Toussaint ? », Outre-Mers - Revue d’Histoire, tome 100, n° 374-375, 1er semestre 2012, p. 1.
[2] « Le travail d'un enfant domestique [restavek] est souvent très dur, jusqu'à 18 heures par jour. L'enfant-restavek, parfois âgé de 5 ans seulement, fréquemment sous-alimenté, ne reçoit aucune instruction et aucun salaire, la loi haïtienne ne prévoyant pas de rémunération pour ce type de travail. L'enfant "restavek" subit, parfois, des violences physiques ou sexuelles. ». Voir « Haïti : « restavek» ou adoptés ? », Nouvelles persanneries, 30 octobre 2012. Voir également « Restavèk, une enfance gâchée », Minustah, 20 novembre 2013.
[3] François Hauter, « Les vraies raison du naufrage haïtien », Paris, Le Figaro, 23 mars 2004.
[4] Louis Mars, « La mentalité haïtienne et la psychiatrie », Bulletin du Service d’Hygiène et d’assistance publique, Port-au-Prince, juin 1938, p. 22.
[5] Hannibal Price, « Études sur les Finances d’Haïti, Le Civilisateur, 28 juin 1871, p. 5
[6] Falstaff, « Pauvre élite », Le Soir, numéro 160, 19 novembre 1902 dans Jean Desquiron, Haïti à la Une, Tome II 1870-1908, P-au-P, 1994, p. 205.
[7] Leslie Péan, Aux origines de l’État marron (1804-1860), Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’Haiti, 2009, p. 97-101.
[8] Wilfrid Saint Jean, « La pression exercée par l’économie haïtienne sur les arbres et les moyens d’y faire face », Synergies, Avril 2001, numéro 9.
[9] Karl Marx et Friderich Engels, L’idéologie allemande, Éditions sociales, Paris, 1952, en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi, 2002, p. 20.
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