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La Constitution de 1987, 29 ans de maltraitance (Claude Moise)
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- Publié le mardi 29 mars 2016 11:37
Notre constitution a vingt-neuf ans. Mais elle n’a pas été d’application continue en tant que document de référence de l’organisation de l’État. Que dis-je, elle été plutôt malmenée, outragée.
Entre 1987 et 2016, on peut faire le décompte.
Aux deux ans de gouvernement militaire des généraux Henry Namphy (juin-septembre 1988) et Prosper Avril (septembre 1988-avril 1990), il faudra ajouter les quelques mois de la présidence provisoire de ErthaTrouillot (avril 1990-février 1991) et les années du coup d’État du général Raoul Cédras (1991 à 1994). Plus, le Pouvoir exécutif intérimaire Boniface Alexandre-Gérard Latortue (2004-2006).
Encore faut-il relever les ruptures institutionnelles sous des présidences dûment constitutionnelles :
René Préval assurant la gouvernance sans Premier ministre (octobre 1997-janvier 1999); Jacques Édouard Alexis devenu Chef de gouvernement (janvier 1999-février 2001) sans avoir pu présenter sa Déclaration de politique générale, la Chambre des députés étant déclarée caduque au terme de son mandat le 11 janvier 1999. Une semblable situation se reproduira en 2015 de telle sorte que Évans Paul deviendra chef de gouvernement de facto de janvier 2015 à février 2016 suite à des accords politiques entre des acteurs institutionnels et des organisations de la société civile avec en arrière-plan les tuteurs internationaux. Et c’est encore à un expédient que l’on doit recourir pour mettre en place une présidence provisoire le 7 février 2016.
La production de la Constitution de 1987 s’inscrit dans la ligne d’une exigence de réforme radicale de l’État issue du mouvement social des années 80. Il en est résulté un nouveau régime politique où les rapports de pouvoir sont modifiés. De nouvelles institutions sont créées et les règles du jeu redéfinies. En termes pratiques, il faudra désormais passer par un Conseil électoral indépendant, découvrir l’omnipotence du Parlement, s’habituer à un Exécutif à deux têtes et aménager des collectivités territoriales sur lesquelles repose toute l’architecture du nouveau régime. On pouvait alors imaginer que l’implantation de ce dernier s’annoncerait longue, complexe et coûteuse ; qu’elle inspirerait à ses concepteurs et aux acteurs une stratégie appropriée qui tienne compte des réalités nationales. En vain.
Aux crises politiques fréquentes il n’y a jamais eu de solution politique satisfaisante ni de réponse institutionnelle adéquate. On organise des élections, mais elles ont été, à l’exception de celles avortées de 1987, exceptionnelles en ce sens qu’elles ne découlèrent pas du rythme normal imposé par la Constitution, mais de la recherche de solution à des crises politiques successives au point de casser le rythme constitutionnel du renouvellement des Chambres. Aujourd’hui encore, on en est à reconstituer les pouvoirs d’État dans des circonstances exceptionnelles. Les élections projetées, mais interrompues depuis janvier 2016, sont destinées à relancer le processus dans un tel contexte de contestation, de méfiance et de hargne que l’on est en droit de douter qu’elles atteignent les objectifs des acteurs aux intérêts inavouables. Encore moins ceux découlant d’une recherche assidue de normalisation démocratique du régime politique.
On doit observer que lors même que de tous les côtés on dénonce depuis plus de 25 ans les failles et les carences de notre Constitution les crises successives ne pouvaient permettre le déclenchement du processus qui eût abouti logiquement aux amendements nécessaires selon les normes constitutionnelles. Les 44e, 45e, 46e, 47e législatures ont été inopérantes pour diverses raisons : mandat soudainement interrompu ou sérieusement perturbé par des coups d’État ; blocage institutionnel révélant incidemment les failles constitutionnelles ; légitimité fortement contestée culminant dans une crise nationale majeure qui rebondit à chaque fin de mandat législatif ou présidentiel. Et ce n’est pas fini.
La question constitutionnelle est aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout, de brûlante actualité si l’on considère qu’après tant d’années de convulsion et de déchéance de la souveraineté nationale c’est la première condition pour faire avancer le pays sur le chemin de l’État de droit et de la stabilité, pour en garantir la gouvernabilité, est de s’assurer de la viabilité des normes constitutionnelles.Comment le faire si l’on ne se penche pas sur les difficultés réelles, sur les problèmes concrets d’aménagement et de légitimation des pouvoirs que pose la Charte et qui sont susceptibles de rebondir à tout moment de la mise en place et du fonctionnement des institutions ? On n’a qu’à penser au déséquilibre entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif, au Parlement bicaméral où chacune des deux Chambres dispose et exerce séparément de telles attributions que le Parlement bénéficie d’une immunité politique absolue. Le processus même de la formation d’un gouvernement à partir de la désignation du Premier ministre est un véritable parcours à obstacles pouvant favoriser l’expression exacerbée des intérêts partisans. Force est de reconnaître que le régime constitutionnel a révélé, à travers les luttes de pouvoir, de sérieuses limitations paralysantes pour ses institutions. Y compris les modalités d’amendements qui constituent un obstacle de taille.Et raison de plus pour que la question constitutionnelle soit inscrite comme un point majeur de toute organisation d’un dialogue national, de conférence nationale ou d’états généraux de la nation, toute autre initiative de convocation d’envergure susceptible de mobiliser les forces vives de la nation.
Le destin d’Haïti aujourd’hui apparaît à certains observateurs comme celui de l’infortune et de toutes les malédictions. Il faudra peut-être le saisir à travers son histoire tumultueuse et complexe. Les difficultés se sont accumulées au cours de ces cinquante dernières années marquées d’abord par une dictature destructrice, puis par un bouillonnement politique où les demandes de justice et de démocratie n’ont pu être effectivement prises en compte. Nous en sommes encore en quête de stabilité et de remodelage d’une nouvelle société. Les récents malheurs d’Haïti ont retenu l’attention du monde. Notre peuple terriblement éprouvé par les catastrophes naturelles, la pauvreté, les drames sociaux et l’instabilité politique chronique peine à déblayer la voie d’un avenir assuré. Par ces temps de damnation, il aurait besoin de figures proéminentes, de voix fortes qui disent ce que les petits, les écrasés, les méprisés veulent entendre et qui ne soit pas des généralités plates sur la démocratie, mais des paroles qui les informent, les forment, stimulent à l’action citoyenne; des propositions aptes à faire naitre des vocations, les portent à espérer, à prendre leur avenir en charge et à récupérer leur dignité. Il faudrait des leaders à la stature d’envergure qui voient clair, qui voient loin, qui sachent se mettre humblement à l’écoute des plus faibles; des dirigeants qui font autorité sans recourir à la ruse, qui se font reconnaitre et accepter sans avoir besoin d’utiliser toutes les formes de persuasion démagogiques et corruptrices. On peut disserter à l’envi sur l’intérêt supérieur du pays, élaborer des plans cohérents de sortie de crise, là où ça coince c’est dans la mise en pratique, lorsque les intérêts, gros ou minables, s’entrechoquent sans que les intéressés acceptent de les reconnaître en déguisant leurs vraies intentions.
Notre peuple aurait autant besoin de savoir quels sont les moyens envisagés, les mesures concrètes proposées, les transformations à faire pour aujourd’hui et pour demain. Par exemple, la crise électorale est une occasion d’indiquer quelle réforme électorale est la plus appropriée compte tenu de nos ressources limitées. La condamnation de plus en plus forte de la domination étrangère, qui se manifeste entre autres par le financement de nos élections et l’imposition des résultats comme en 2011, nous oblige. Comment compenser par une mobilisation citoyenne et un encadrement légal convenable, transparent à la portée des citoyens? Autrement dit, comment l’État national peut-il, doit-il assumer le coût financier sans un engagement national déterminé? Plus globalement, il s’agit de la reconquête de la souveraineté nationale qui ne se réduira pas au départ de la MINUSTHA. Il faudra dire selon quelles projections, quel plan l’État parviendra-t-il à la pleine dignité de son autonomie financière.
D’une certaine manière, la transition dite interminable aboutit à une dégénérescence politique qui s’explique par la déroute de la nouvelle classe politique post dictatoriale face à l’émergence populaire dans le jeu des pouvoirs. Leurs leaders n’avaient pas de solution, n’en ont pas plus aux questions vitales posées par les exigences de l’implantation de la démocratie dans ce pays ravagé, pas de réponse à la crise générale de la société. Peuvent-ils encore émerger de leur hébétude après des décennies de vacuité idéologique, eux qui se sont livrés à la pratique des improvisations sans relâche face à des situations complexes se contentant de ne regarder que les arbres en oubliant la forêt? Et puis, ne devons-nous pas nous demander comment a évolué cette émergence populaire sur la scène politique, de la chute de la dictature à aujourd’hui ? Tant en ce qui concerne les revendications, les moments, les formes et certainement les perversions de ses manifestations, cette problématique historique n’a pas été suffisamment prise en compte. Nos contemporains sont souvent myopes et amnésiques. Ils ne voient que ce qui est à portée de leurs yeux, l’arbre qui cache la forêt. Ils n’entendent que le vacarme ambiant qui recouvre les voix multiples. Ils ne se souviennent plus d’hier alors que hier s’installe dans aujourd’hui et le façonne. Ce qui est surtout dommageable, c’est ce mur d’inconscience, de banalités partagées, ce refuge dans la protection honteuse des égoïsmes recouvrant la lâcheté des politiques et des clercs; c’est tout cela qui empêche le peuple de se rendre compte dans quel trou infect on le précipite.
Alors pourquoi se battre? Parce qu’il existe encore un gisement inépuisé d’espérances d’où ont émergé ces mouvements sociaux successifs de notre histoire, parce que le socle patriotique est encore solide et étendu cette fois au-delà de la mère-patrie.
Claude Moïse
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