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Ouragan Matthew: « Pour qui sonne le glas ? »

Eglise de Chardonnières dgrouzier touthaitiEglise de Chardonnières

Ouragan Matthew :
« Pour qui sonne le glas ? »
(Titre du roman d'Ernest Hemingway) 

Par Robert Lodimus  ---  Six années après le séisme meurtrier du 12 janvier 2010, la République d’Haïti est replongée dans une autre grande tragédie. Pour ce pays qui dégringole depuis sa fondation, l’espoir qu’il se relève pour se mettre enfin à marcher sur ses deux pieds s’amincit. L’ouragan Matthew - sans exagération – lui a asséné peut-être le coup de grâce. La population paysanne, déjà au bord du précipice, ne peut même plus se vouer aux saints des églises catholiques romaines pour se consoler.

Les prêtres, les pasteurs, les autorités civiles, sont eux-mêmes sinistrés. Le miracle du ciel semble difficile à venir. Les icônes, les statuettes de la Vierge des douleurs, de Saint-Joseph, de Saint-Antoine de Padoue nagent dans les eaux sales, remplies de germes de choléra, comme les cadavres des humains et des animaux. Les citadins et les paysans éprouvés n’ont donc aucun repère matériel et spirituel. « La foi soulève les montagnes.» Arrivera-t-elle à stopper le train véloce de l’apocalypse qui fonce sur les Haïtiens. Il ne s’agit pas de vision fataliste et de comportement « pusillanimiste Â». Les esprits encore lucides qui suivent avec crainte le glissement de la République d’Haïti vers les écueils des lots de calamités admettront que nos réflexions réverbèrent seulement une réalité effarante et une vérité brutale. Le futur de ce pays semble le rapprocher du déclin de Babylone. Là encore, ce n’est pas une affaire de scepticisme eschatologique aux couleurs et aux saveurs endoctrinales du catholicisme, de l’islamisme, du vodouisme, du protestantisme, du bouddhisme… Quisqueya coule avec des membres d’équipage et des passagers constitués de manchots et d’unijambistes. Des estropiés incapables de nager vers la rive et qui sont condamnés à périr sous le pont ou dans la cale du navire. Aucun groupement sociopolitique et économique, aucun politicien, aucun universitaire n’est parvenu à dévoiler un plan de salut collectif et individuel rationnel et viable pour Haïti.

Au train où les malheurs déboulent sur les villes, les bourgs et les villages, dans trois cents ans ou moins, notre peuple pourrait ne plus exister. Il n’y aurait que des échantillons d’Haïtiens confinés, éparpillés çà et là, et enterrés vivants dans quelques réserves aménagées par les nouveaux « maîtres Â» qui s’appelleraient les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne… Dans quelles conditions survivent actuellement les Indiens du Canada? Ils sont casernés et répartis dans des espaces sauvages appelés « Territoires Â». Leurs villages ne disposent pas d’établissements scolaires adéquats. Leurs enfants ne bénéficient pas les services des professeurs compétents. La population autochtone accède difficilement, à certains endroits, au système d’éclairage électrique et est obligée de chauffer leurs « gîtes modernes Â» avec du bois coupé ou ramassé dans la forêt dense. À cause de la rareté, de l’insuffisance de l’emploi – pour ne pas parler tout court de l’inexistence des lieux de recherche du travail – les familles amérindiennes s’agrippent aux maigres allocations qui leur sont versées sur une base mensuelle par les institutions gouvernementales d’assistance sociale. Les jeunes adultes, découragés, se droguent. Les jeunes filles se prostituent dans les mégapoles.

Napoléon Bonaparte pilla les richesses matérielles et artistiques de l’Italie pour enrichir la France. Les Espagnols détruisirent la civilisation des Incas, volèrent et expatrièrent leurs trésors. Les Palestiniens sont « misérabilisés Â» sur leurs territoires par Israël et ses alliés occidentaux. Les Haïtiens pourraient bien hériter le sort des Indiens d’Amérique, des Palestiniens, des Kurdes, des Québécois, etc., reconnus comme des peuples sans État. C’est vers cette voie escarpée que les pays du G7 entraînent nos compatriotes. Le duvaliérisme a accentué le déclin social et politique d’Haïti. Le lavalassisme aristidien l’a accompagné sur un bout de chemin de déliquescence. Le martellisme a achevé le processus de décrépitude. Le bateau a déjà coulé. Et la coque disparaîtra bientôt dans les profondeurs abyssales de la mer. N’entendons-nous pas dès l’aube du matin sur les ondes des stations de radiodiffusion de Port-au-Prince le « sauve qui peut Â» des voyageurs en détresse qui, comme Jack dans le film de James Cameron, restent agrippés aux épaves flottantes? Mais pour combien de temps? Ne sont-ce pas les derniers cris qui parviennent à nos oreilles avant le calme fatidique? Car bientôt, il n’y aura plus rien! Sinon que la frayeur du silence cadavérique et frissonnant! Haïti se rapproche de la limite frontalière de l’inexistence. Elle n’arrivera pas à sauter les haies des difficultés physiques et psychologiques que l’ouragan Matthew a laissées sur son itinéraire. L’exploit paraît impossible. Et ici, le « qualifiant Â» est bien français.   

 Les dirigeants de l’État estropié qui abusent de leurs pouvoirs, les universitaires suffisants qui vantent des savoirs empiriques et des connaissances inutiles, les bourgeois pingres qui étalent leurs avoirs sous les regards stupéfiés des masses sont sourds et aveugles. Ils méprisent toutes les réflexions qui évoquent un avenir incertain, sombre et néfaste pour la société haïtienne. Bien que le danger – qui est perceptible même sans lorgnon – ait dépassé l’étape embryonnaire. Un jour, comme le prophète Moïse devant le buisson ardent, les « cabochards » auraient dû être forcés de s’agenouiller pour implorer la pitié et le pardon de la Nation? Seulement, il serait trop tard. La « Révolution Â» aurait rendu son verdict impitoyable.

Une négligence criminelle

Après les ravages opérés par le tremblement de terre du 12 janvier 2010 dans le département de l’Ouest, des voix se sont levées pour critiquer le laxisme du gouvernement de René Préval et de Jean Marx Bellerive. Pendant que les gens agissaient comme ils le pouvaient avec leurs mains, des pelles, des piquoirs, des machettes, pour dégager leurs proches qui se débattaient entre la vie et la mort sous les décombres, des rumeurs rapportaient que des autorités de l’État seraient allées passer la nuit au chaud en République Dominicaine. Naturellement, certains concernés avaient rejeté ces allégations.

Le 4 octobre 2016, des villages entiers sont frappés de plein fouet par des coups de vents qui ont soufflé à 230km/h sur des cases construites en terre battue et couvertes de toits de chaume ou de tôle. Tout est dévasté. Les cris de stupéfaction d’un journaliste atterré par le spectacle désolant qui s’offrait à sa vue traduisaient l’état de gravité de la situation : Â« C’est une bombe atomique qui a été larguée sur cette partie du pays. Â» Et il n’avait pas tout à fait tort. Les maisonnettes, les arbres, les champs de maïs, de petit mil, rien n’a résisté sous la furie du monstre. Certains riverains racontent jusqu’à présent qu’ils ont été surpris dans leur sommeil. Ils insistent : « Les chefs ne nous ont pas informés  du passage de l’ouragan. Nous n’avons pas eu le temps de nous mettre à couvert. Â» Mais s’abriter où? Pour avoir parcouru une bonne partie des localités rurales d’Haïti, nous pouvons nous arroger le droit de poser la question et d’y répondre. Aucune construction dans les lieux campagnards, complètement retirés des milieux urbains, ne répond aux exigences et aux normes de protection que requiert un typhon d’une telle puissance.

En Floride, les autorités ont évacué la population des zones à risques. Évacuer les citoyens afin de les placer dans des abris sûrs. Où se trouvent ces « abris sûrs Â» à Abricot, à Moron, à Chambellan, à Baie de Henne…? Des « microphonistes Â», qui se prennent pour Jacques Chancel des émissions Radioscopie et Le Grand Échiquier respectivement sur France Inter et Antenne 2, ont jeté le blâme sur les pauvres et malheureux montagnards : Â« Ces gens n’écoutent jamais. Ils sont entêtés. »

Nul n’ignore que le médium parlé de Port-au-Prince qui émet sur la bande FM arrive à peine à traverser Léogane ou Montrouis. À moins qu’il soit relayé par d’autres médias du canton. La Radio AM, parce qu’elle favorise une plus large couverture, convenait mieux à Haïti. Mais les réactions populaires rapides enregistrées sur le territoire national suite au coup d’État du 30 septembre 1991 ont convaincu les États-Unis, le Canada, la France de faire la promotion des Radios FM à Port-au-Prince et ailleurs sur le territoire. En février 2004, l’arrière pays n’était pas informé de l’enlèvement du président Jean-Bertrand Aristide, de son épouse et de ses enfants. Un État révolutionnaire devra tenir compte de cette vérité historique, afin de redonner droit de cité à la fréquence AM en Haïti.

Jusqu’à présent, la pluie tombe. Les mauvaises conditions météorologiques n’accordent aucun répit aux indigents. Aux dernières nouvelles, la ville du Cap-Haïtien et ses environs nageaient dans les eaux boueuses. Des riverains sont décédés ou portés disparus. Le chef de la Primature met en cause l’irresponsabilité de l’État qui, avoue-t-il, n’a pris aucune mesure pour effectuer les travaux de curage et de drainage que nécessitent les canaux d’écoulement dans la deuxième ville du pays. Les couches de la population qui fourmillent dans les zones balayées par l’ouragan Matthew se retrouvent du jour au lendemain dans des conditions existentielles encore plus lamentables. Elles frôlent un niveau de dénuement, dirions-nous, quasi insurmontable. Les familles s’enterrent vivantes dans les caves avec leurs morts. C’est la seule façon pour elles, de leurs propres aveux, de s’abriter du déluge qui poursuit son Å“uvre malfaisante. La plupart des misérables sont revenus à l’époque néandertalienne où les créatures humaines vivaient dans les grottes empierrées. Des cas d’éboulements mortels sont rapportés. L’État bourgeois dirigé par Jocelerme Privert – qui endosse pourtant le manteau d’un failli – observe. Indifféremment. La présidence affiche une impuissance gênante et condamnable devant la courbe exponentielle formée par les désespoirs et les souffrances des rescapés totalement aux abois. Alors que la faim et la soif multiplient le nombre des morts. Les témoignages s’harmonisent tristement comme dans un orchestre symphonique qui joue des airs d’enterrement. Les petits fermiers et éleveurs comptent jusqu’à présent les cadavres des proches malchanceux, font le bilan des disparus, comptabilisent les infirmes, prédisent la fin de l’existence dans un pays presque déjà sans vie, qui respire artificiellement depuis 212 ans, qui continue de fixer ses enfants d’un regard éteint, et qui est devenu à travers les âges une « amulette de décadence et d’échec Â» accrochée au cou de chacun d’eux.

Certes, aucun pays n’est à l’abri d’un tremblement de terre comparable à celui qui a frappé Valdivia en 1960 au Chili et dont la magnitude a été évaluée à 9,5 sur l’échelle de Richter. Ou d’un ouragan égal à celui de 1780, de niveau 5 et qui a libéré des vents qui soufflèrent à 320 km/h sur la Barbade. Les différentes époques qui accompagnent l’existence des femmes et des hommes sur la planète sont marquées par des instants tragiques dus à des catastrophes climatiques redoutables. Les cyclones, les tempêtes, les ouragans, les tremblements de terre feront toujours partie de notre quotidienneté. Les éléments de la nature ont des humeurs changeantes et la température, de leurs caprices, en est tributaire.

   Des peuples, des villes, des civilisations furent ensevelis vivants. Aujourd’hui encore, les individus de toutes les appartenances ethniques sont exposés aux mêmes dangers. Les scientifiques de la climatologie approfondissent les méthodes de recherche. Font des découvertes étonnantes. Prédisent des malheurs quasi inévitables dont les prémices arrivent déjà à « pas de lièvre Â» aux portes des États puissants ou vulnérables. Les effets de serre qui détériorent petit à petit la couche d’ozone, la fonte accélérée des glaces dans l’Antarctique, la « sahélisation Â» progressive et inquiétante des espaces forestiers dans les régions appauvries comme Haïti, les crues des rivières qui provoquent partout des inondations meurtrières, tout cela fait partie désormais du vocabulaire journalier des terriens. Les concepts qui s’articulent autour de l’ Â« environnement Â» deviennent des sujets d’ouvrages et de scénarios filmiques d’une grande importance. La science a fait des découvertes technologiques qui conduisent tranquillement les humains vers l’autodestruction. Depuis le « Projet de Manhattan Â» qui a permis l’enrichissement de l’uranium au cours de la guerre de 1939, les sociétés mondiales vivent dans la hantise d’un danger imminent et irréversible. Chaque mégapole de la terre peut devenir instantanément un cimetière pour ses habitants. À l’instar d’Hiroshima, de Nagasaki, de Tchernobyl… Les désastres naturels ou provoqués exposent les espèces animale et végétale à la destinée pompéienne. Les ambitions économiques exagérées des pays capitalistes, la soif intense d’hégémonisation et de « cosmocratisation Â» des puissances impériales ont déjà mis en mouvement les failles énergétiques qui provoqueront la désagrégation de la planète. Les États nantis tablent sur des alternatives de survie en faveur des catégories sociales privilégiées. Ou plus explicitement, du « club des oligarques Â».

Durant la nuit du 12 au 13 octobre 1954, le cyclone Hazel dévasta plusieurs régions d’Haïti, particulièrement le Sud et la Grand-Anse. Des essayistes, des historiens, des journalistes, des gens du quatrième âge ont retracé les horreurs vécues par les survivants de l’événement calamiteux. Les vents impétueux arrachaient les toits. L’eau grimpait comme des lianes sur les murs des maisons. Les cris affolants des mères et des pères qui cherchaient, comme ils le pouvaient, à protéger leurs enfants se mêlaient aux sifflements effrayants de la bourrasque. Les populations des villages, des bourgs et des villes choisis par la nature pour y déverser sa colère rageuse se battaient dans les eaux tumultueuses pour ne pas être emportées par les courants tempétueux. Certains individus avaient été surpris dans leur sommeil par l’arrivée de l’ouragan. N’ayant pas été informés à temps, ils n’eurent pas la chance de gagner des abris plus résistants. Les récoltes des cultivateurs étant complètement détruites, la faim sortit ses griffes et dévora la paysannerie et les bidonvilles, comme le loup mangea la pauvre Blanquette dans la montagne. À certains endroits, les portes des écoles restèrent fermées durant des mois. 19 ans auparavant, soit en 1935, la nature s’était déchaînée de la même façon dévastatrice et meurtrière. Dans ces moments cataclysmiques aux conséquences âpres, les catégories sociales vulnérables, qui se terrent comme des lapins dans les taudis, sont toujours les plus éprouvées.

Le globe terrestre se fragilise allègrement. Le 26 décembre 2004, un séisme d’une magnitude de 9,3 au large de l’île indonésienne de Sumatra, provoquant un puissant tsunami avec des vagues qui ont atteint plus de 30 m de hauteur à certains endroits, avait enlevé la vie à 250.000 personnes. Après 5 années, les habitants de Fukushima Daiichi trainent encore les séquelles de l’accident nucléaire qui a ébranlé le Japon et ses voisins immédiats. La terre entière retenait son souffle. En janvier 2010, environ 300 000 Haïtiens ont péri dans les décombres des maisons détruites par un séisme terriblement destructeur. Il y a environ 12 ans, le cyclone Jeanne dévastait la ville des Gonaïves. Les inondations et les coulées de boue ont entraîné plus de 3 000 personnes dans la mort. De toutes les régions touchées, soit les Iles Vierges, Porto-Ricot, République Dominicaine, Bahamas, etc., Haïti enregistrait les dégâts les plus lourds. La débâcle économique et financière est colossale. Les séquelles de la destruction demeurent encore palpables. L’État n’a rien fait pour remédier à ces désastres récurrents. Les mêmes causes produisent les mêmes effets depuis des dizaines d’années. Et comme toujours, c’est vers la communauté internationale que cette Haïti moribonde, insouciante, écervelée, enfoncée jusqu’au cou dans le sable mouvant de la bêtise, tend les bras pour implorer la pitié, pour demander la charité et pour chercher le salut. En matière de gestion des risques et des désastres naturels, l’État haïtien n’affiche-t-il pas toujours une irresponsabilité et une incompétence criminelles? Au fil du temps, il a embrassé les paramètres amoraux de l’indifférence froide, par rapport aux urgences des besoins de la Nation. Après le passage de Matthew, des critiques acerbes ont condamné l’inaction flagrante, l’immobilisme incriminable, et même délictueux de Privert et de son entourage. Des membres de la presse locale ont de leur côté cherché à dédouaner maladroitement la gouvernance inconstitutionnelle. Nous sommes tous d’accord que la désorganisation de l’État haïtien est antérieure à la présidence de facto issue de la mascarade du 14 février 2016. Cependant, son mandat – contrairement à ce que prétendent aussi d’autres individus de la classe politique – ne consiste pas seulement à organiser des élections qui devront doter le pays d’un dirigeant légitime le 7 février 2017. L’homme du département des Nippes exerce les compétences et remplit auprès de la Nation  â€“ même si c’est de façon provisoire – les attributions déléguées à un chef d’État dans la constitution de 1987. Privert et Enex Jean-Charles sont actuellement en charge de la Res Republica. Le caractère illégitime du pouvoir qu’ils exercent conjointement ne les prive pas des prérogatives exceptionnelles de nommer et de révoquer, de créer des emplois pour leurs petits copains, de dégraisser ou d’engraisser l’Administration publique comme bon leur semble, et dans le sens de leurs intérêts claniques … Et n’est-ce pas ce qu’ils ont fait dès les premières semaines qui suivaient leur entrée en fonction ? Des femmes, des bébés, des adolescents, des hommes, des vieillards crèvent de faim, de soif, de froid, de maladies liées au choléra, à la dysenterie, à la typhoïde sans que les autorités de facto montrent des signes de préoccupation majeure. C’est aux micros des stations de radiodiffusion de Port-au-Prince que les défavorisés viennent se plaindre à la pointe du jour. Nous avons même entendu des délégués départementaux, des maires, des prêtres catholiques, des pasteurs protestants dépassés par les évènements cycloniques, lancer des cris d’alarme à l’endroit des institutions ministérielles concernées dans l’espoir de les voir venir en aide aux loqueteux qui se sentent humiliés et abandonnés à leur sort. Les politiciens véreux font du « chou gras Â» avec les malheurs du peuple. Ils distribuent des petits sacs de riz avariés, quelques feuilles de tôles, des bouteilles d’eau… par-ci, par-là. L’ouragan Matthew sert de prétexte à ces « opportunistes Â» qui cherchent à accéder par tous les moyens au sommet de la société. Et ils sont soutenus par le Core Group de Peter F. Mulrean, Sandra Honoré et les autres.

L’État est historique et permanent. Il est reconnu comme une « personne morale Â». Il faut qu’il soit, à tout moment, en mesure de répondre aux exigences sociales, politiques, économiques et culturelles qui sont à l’origine de sa « création  Â». Les individus ne sont pas liés seulement à l’État par le « contrat de soumission Â» dont parle Thomas Hobbes dans « Le Léviathan Â». L’invention du concept de « société Â» participe d’un esprit libre et volontaire d’ Â« association Â» qui est consolidé dans un pacte de bien-être collectif et individuel. Nous évoquons implicitement les théoriciens du droit naturel, les grands penseurs du contractualisme, notamment Hugo Grotius, John Locke et Jean-Jacques Rousseau. Les politologues Denis Monière et Jean H. Guay, se référant à la philosophie hobbesienne, expliquent :

« L’individu, tout en conservant ses droits naturels, délègue à une autorité qui lui est extérieure le pouvoir de faire les lois et d’assurer la justice. Les individus se donnent donc un gouvernement par consentement en vertu d’un contrat qui confie à la puissance publique le mandat de faire respecter l’ordre et la loi. Â»

Les êtres humains acceptent de vivre en société, de vouer un culte d’obéissance aux autorités qu’ils légitiment par leur bulletin de vote dans le seul but de protéger et de garantir la jouissance des intérêts qu’ils ont hérités de la nature à la naissance.

Élections? Et quoi encore?

Haïti ressemble étonnamment à un champ de ruines. La gueusaille des bidonvilles et des campagnes défeuille comme les arbres à l’arrivée de la saison hivernale. Cette Tour de Babel semble être vouée au destin de Capharnaüm, la ville de l’apôtre Pierre, maudite par Jésus. A la vitesse où se déplace le train de sa décadence, un jour, peut-être, on n’en entendra jamais plus parler. Ce pays disparaîtra avec ses héros, ses habitants, son histoire qui pétille comme du champagne dans un verre de cristal. Il s’effondrera avec son épopée qui goûte du vin bien fermenté et bien conservé dans la cave d’un œnologue de métier.

Le pays dans lequel vous et moi nous sommes nés, qui nous hante jour et nuit, qui nous enlève le goût de sourire, qui nous interdit d’avoir une petite goutte de bonheur, qui nous « insomnise Â», et qui nous tourmente, serait donc sorti des entrailles de l’ Â« Enfer colonial Â» sans que ses membres eussent eu le temps de se former au grand complet. Il lui manquait le cerveau pour penser, les yeux pour voir et les pieds pour marcher. La République d’Haïti serait donc née avec une malformation congénitale néfaste à l’évolution de son peuple. Sévèrement handicapée, elle ne peut ni avancer ni reculer. Gèle affreusement dans la glace de la dormance. Le « galion de l’indépendance et de la souveraineté Â» a échoué avec les membres de son équipage et avec ses passagers sur un banc de complots internationaux, et contre un iceberg de trahison domestique… La misère, la souffrance, la peur, la tristesse poussent sur le sol d’Haïti comme la haie touffue qui borde les domaines huppés retranchés dans les montagnes pittoresques qui préfigurent le paradis de Jésus-Christ. Etzer Vilaire, le grand poète jérémien qui, des lieux obscurs de l’immortalité, regarde sa ville natale coucher dans les eaux infectées par les germes de maladies contagieuses, se serait exclamé : 

« L’espoir fuit, las enfin de tromper nos regards,
C’est le néant qui s’offre à nous de toutes parts… Â»

Le pays entier est à genoux. Hurle sous la poussé grandissante de ses douleurs. Mais le « ciel Â» reste sourd. Haïti est abandonnée à la malignité et à la cruauté de Junon. Elle n’arrive pas à trouver un Mercure capable de l’aider, comme Hercule, à vaincre Cerbère, le chien monstrueux à trois têtes, gardien de l’entrée des Enfers. Les trois pays influents de la communauté internationale, les États-Unis, la France et le Canada, les saltimbanques qui se donnent en spectacle continu sur la scène politique, présentent les élections du 20 novembre 2016 comme la peau du lion de Némée qui sauva le fils d’Alcmène des crocs dévorants de Cerbère. L’état actuel du pays ne commande-t-il pas aux autorités gouvernementales d’investir leurs efforts dans des opérations de sauvetage auprès des familles haïtiennes décapitalisées par Matthew et qui tentent de survivre dans des conditions infrahumaines? Ces millions de dollars US mis à la disposition du Conseil Électoral Provisoire de Léopold Berlanger auraient dû servir à reconstruire le Sud, la Grand-Anse, le Nord-ouest… C’est un crime de demander à des marginaux qui n’ont ni maison, ni nourriture, ni eau potable, ni vêtements, ni chaussures, ni brosse à dents, ni dentifrice, ni savon de toilette, etc., de prendre le chemin des urnes et d’aller voter des « petits bourgeois intellectuels Â» cantonnés  à Port-au-Prince, et qui rêvent d’être présidents dans l’unique but de s’enrichir impunément à leur tour. Qu’ont-ils à voir avec les maux qui provoquent l’affaissement des pauvres? Ces élections – si elles auront lieu effectivement – desserreront-elles les nÅ“uds de détresse et de désolation sur la gorge des masses populaires haïtiennes? Les bénéficiaires des fraudes du 9 août et du 25 octobre 2015 ne devraient-ils pas être expulsés définitivement du processus de vote? Leur présence dans la course électorale attise les hostilités? Le pays est-il à l’abri d’une nouvelle flambée de violences? Les Haïtiens ne risquent-ils pas de se réveiller le 21 novembre 2016 avec des pneus qui brûlent sur la chaussée, des politiciens en débandade, et avec même des incidents regrettablement irréparables? L’heure est au rassemblement… Le rassemblement de tous les patriotes. Les paysans parleraient eux-mêmes de « coumbite Â». L’histoire nous apprend que François-Dominique Toussaint Louverture et André Rigaud, les deux frères ennemis, furent emprisonnés simultanément au Château de Joux. La fuite de Rigaud de sa cellule lui évita la fin atroce que connut l’homme de l’Habitation Breda.

L’heure de la « Révolution Â» a sonné

Pour la République d’Haïti, il y a la nécessité de l’émergence d’un nouveau modèle de société. Le bien-être de l’être haïtien est consubstantiel au développement de son pays. C’est autour d’une grande table de concertations, d’échanges méthodiques d’idées, de concessions raisonnables et bénéfiques que les adversaires politiques traditionnels traceront et construiront la route qui débouchera sur le sauvetage de la patrie haïtienne. C’est ainsi que les alliés de l’axe du bien vainquirent le nazisme hitlérien, le fascisme mussolinien et le militarisme de Hirohito de l’axe du mal pour libérer la France du Général Charles de Gaulle.

En terminant, nous vous rappelons que le samedi 12 décembre 2016 ramenait le triste souvenir de l’exécution publique de Louis Drouin et de Marcel Numa par le dictateur assassin François Duvalier. Ils faisaient partie de l’équipe des treize de Jeune Haïti débarquée dans la Grande-Anse. Ces révolutionnaires avaient décidé de prendre les armes pour faire triompher la « Démocratie Â» et pour libérer Haïti des horreurs du macoutisme. Nous avons une pensée spéciale pour ces valeureux martyrs à un moment où le pays aurait encore besoin de leur courage héroïque et de leur patriotisme infaillible.

Robert Lodimus