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Une réflexion sur les élections du 20 Novembre 2016 par prof Claude Joseph

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Un exercice de simulation pour comprendre l'idiosyncrasie du mode de scrutin haïtien sous la constitution de 1987 amendée : Est-il facile d'obtenir une avance d'au moins 25% par rapport à son poursuivant immédiat si la majorité absolue ne peut pas être atteinte ?

Du point de vue du droit constitutionnel relatif aux systèmes électoraux, il est difficile de définir, sans trahir la nomenclature classique, le mode de scrutin qui prévaut actuellement en Haïti. Et ce, en dépit des articles 37 et 38 du présent décret électoral ou les articles 134 et 135 de la constitution de 1987. Certainement, c'est un scrutin direct où le corps électoral, le peuple, élit directement le président, les parlementaires, les maires, les CASECs et ASECs. Mais un scrutin direct, tout comme un scrutin indirect, peut-être soit proportionnel, soit majoritaire. Dans un scrutin à répartition proportionnelle, les suffrages recensés sont divisés par le nombre de sièges à pouvoir afin de déterminer un quotient électoral. Ensuite, les voix recueillies par chaque parti vont être divisés par ce quotient pour calculer combien de sièges qui lui reviennent. Tandis que, dans un scrutin majoritaire, pour être élu (e), un candidat (ou une liste) doit obtenir le plus grand nombre de voix. Pour s'assurer de la légitimé de leurs élus, certains pays choisissent un scrutin à majorité absolue de telle sorte que pour être élu dès le premier tour, un candidat doit obtenir au moins 50% + 1 des suffrages exprimés. La légitimité dans un tel système réside dans le fait que le candidat qui remporte les élections avec 50%+1 des voix obtient un nombre de suffrages qui dépasse la somme des votes de tous ses compétiteurs. Le cas échéant, un deuxième tour est organisé pour les deux candidats obtenant les meilleurs scores. D'autres pays, cependant, adoptent un système majoritaire à la pluralité des voix où il suffit d'obtenir une majorité relative pour être élu.

Le problème c'est qu'en Haïti avec la constitution amendée et donc le décret électoral actuellement en vigueur, les deux systèmes – majorité absolue et majorité relative – coexistent. Pour être élu, selon les disposions de la constitution amendée, un candidat doit obtenir soit au moins 50% + 1 des suffrages exprimés, soit une avance égale ou supérieure à 25% par rapport à son poursuivant immédiat. Si l'on tient donc compte du principe directeur qui inspire le scrutin à majorité absolue, à savoir que le total des voix d'un élu doive être plus grand que la somme de toutes les voix de ses compétiteurs, on dira que cette coexistence parait être mal pensée par nos législateurs. Avec une avance, par exemple, égale à 25%, le candidat qui arrive en tête n'obtiendra pas plus de suffrages que la somme des voix de ses compétiteurs. Alors, pourquoi, au lieu d'adopter un tel système hybride, nos législateurs n'ont-ils pas tout simplement opté pour un scrutin majoritaire à la pluralité des voix ? Y a-t-il une démarche rationnelle qui explique ce choix ? Ou croyaient-ils qu'obtenir une avance de 25% est aussi difficile que recueillir 50% +1 des suffrages exprimés ?

Un exercice de simulation

Supposons une compétition électorale avec 4 candidats : A, B, C et D. supposons également que la somme des votes valides pour ces candidats est 100, lesquels votes sont repartis selon 3 différents scenarios dans le tableau suivant :

tableau 1 cj-refexion 600

Dans un scrutin à majorité absolue, candidat A selon le scenario 1 est élu au premier tour parce que le total de ses suffrages (52) dépasse la somme des suffrages de ses compétiteurs (20 + 18 +10 = 48). Il recueille 52% des votes valides, soit plus de 50% + 1 nécessaires pour être élu. Pourtant, selon les scenario 2 et 3, toujours dans un scrutin à majorité absolue, il n'y a aucun élu au premier tour. Quoique dans le scenario 3, candidat A obtienne plus de voix (48) que chacun de ses compétiteurs, son total est cependant inferieur à la somme des suffrages des autres candidats (52). Il obtient 48% des suffrages, il est donc en ballotage pour un deuxième tour avec candidat B remportant 22% des suffrages exprimés.

Dans un scrutin à la pluralité des voix, candidat A est élu dès le premier tour dans le scenario 2 ou scenario 3 parce qu'il obtient une majorité relative dans chacun des cas. Cependant, dans le système électoral « hybride » haïtien, seuls les scenarios 1 et 3 donnent un élu au premier tour. Selon l'article 134 de la constitution 1987 ou l'article 37 du présent décret électoral, candidat A est élu au premier tour dans le scenario 1 parce qu'il obtient une majorité absolue des votes valides (52%). Et selon l'article 134bis de la constitution de 1987 et l'article 38 du décret électoral, candidat A est élu au premier tour dans le scenario 3 parceque son avance (48%) par rapport au candidat B, son poursuivant immédiat, est supérieure à 25%. Comment cette avance est-elle calculée ? Soit par la soustraction des pourcentages de A et de B (48% - 22% = 26%), Soit en divisant la différence des suffrages de A et de B par le nombre de votes valides et en multipliant le résultat par 100 ([(48-22) /100] *100 = 26%). Il n'y a aucun élu dans le scenario 2 parce que la différence entre A et B est 20%.

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Est-il facile d'obtenir cette avance d'au moins de 25% ?

Considérant le même exercice, combien y-a-t-il de possibilités pour le candidat A d'obtenir une avance d'au moins 25% par rapport à son poursuivant immédiat si la majorité absolue ne peut pas être atteinte ? Pas beaucoup. Mais ça dépend. En tout cas, c'est ce que nous montre le tableau suivant :

tableau 2 cj-refexion 600

Tableau 2 montre que dans une élection avec 4 candidats, il n'existe pas beaucoup de possibilités d'obtenir une avance de 25% par rapport à son compétiteur immédiat si la majorité absolue ne peut pas être atteinte. Pour être élu au premier tour, sans obtenir la majorité absolue des votes valides, un candidat doit recueillir au moins 44% des suffrages exprimés. C'est-à-dire qu'il ne peut pas obtenir moins que 44%. Il n'y a dans ce scenario aucune possibilité d'être élu au premier tour avec moins de 44% des votes. Si un candidat obtient exactement 44% des suffrages exprimés, pour être élu au premier tour, deux de ses poursuivants immédiats doivent chacun recevoir 19 voix et l'autre, 18 voix. Une éventualité très improbable, dira-t-on. Cependant, il faut noter plus il y a de candidats, plus il y aura de possibilités d'obtenir cette avance de 25%. Par exemple, avec 5 candidats il est possible pour un candidat d'être élu au premier tour avec 40 voix si chacun des 4 autres obtient 15 voix. Donc avec 5 candidats, pour être élu au premier tour, il faut au moins 40% des votes exprimés. Avec 6 candidats, le nombre de voix nécessaires pour obtenir cette avance de 25% diminue, le nombre de possibilités donc augmente. Et ainsi de suite...

On peut donc tirer sa propre conclusion dans le cadre des élections du 20 novembre 2016.

Claude Joseph, MPA
Ph.D. (ABD) candidate in Public Policy
Adjunct Professor – Fordham University