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Sublimation de notre impuissance : La deuxième lettre d'Yves Lafortune à Pascal Adrien

Haiti tete anbaHaiti en 2017

 

Ma Deuxième lettre à Pascal Adrien !

(Voir la première lettre ici : Au-delà de Charlot Jacquelin, Yves Lafortune répond à Pascal Adrien)

Cher Pascal,

Petit Frère adoré !

En raison de cette grande peur qui m'habite, c'est à toi que je décide d'écrire cette lettre aujourd'hui ! Je le fais de mon lieu de Chargé de cours de Gestion des Collectivités Territoriales à l'Université Notre Dame d'Haïti du fait de mes obligations d'apporter mes lumières à des jeunes assoiffés de connaissances.

Par cette lettre, je veux te dire mes peines pour Haïti... Je veux te dire que je souffre amèrement dans ma chair, mes os, mon sang et voudrais partager avec toi toute la sublimation de mon impuissance.

Voilà l'histoire !

Un de mes anciens Étudiants de l'UND'H me demande de confirmer pour lui la définition de la décentralisation par rapport à une information publiée sur le site d'Haitiz-News. En effet, il a partagé avec moi le texte reproduit in extenso en italique et en gras : « Partant de ce 24 juillet, la Fédération Nationale des Maires Haïtiens (FENAMH) a 48hres pour déposer au cabinet particulier du Président la liste des matériels que nécessitent toutes les mairies du pays pour mieux répondre à leurs responsabilités face aux insalubrités. », c'est ce qu'a révélé Jude Edouard Pierre, président de l'organisation, à Haitiz-News. Avant même de lui faire la suggestion de livres de référence et en remémorant nos multiples discussions académiques bien sûr, il définit la décentralisation tel que le dictionnaire administratif le décrit et dans le sens de la doctrine : « la décentralisation est le transfert total des compétences ! »

Cher Ami, Petit frère adoré !

Tu constateras ma stupéfaction quand je pris connaissance des dires du Président de la FENAMH dans cette note invitant les maires à soumettre leur chronogramme d'activités et la liste des matériels dont ils auraient besoin pour faire bouger leurs communes respectives. S'il ne s'agit pas d'un faux pas dans un élan légitime de venir en aide aux édiles, cette approche est en flagrante contradiction avec la Constitution qui reconnaît et consacre l'autonomie des Mairies. On suppose qu'il y a de la bonne foi et que cela part d'un véritable besoin de faire avancer les choses. Mais, cette maladroite intervention laisse présupposer qu'il n'y a pas de concertation autour des grands axes de développement du pays. Grands axes qui devraient mettre emphase sur des politiques publiques en tenant toujours compte des municipalités. Elle laisse entrevoir la faiblesse des structures en place peu enclines à appliquer les principes de politique publique (si tant est qu'on les maitrise). Il y a aussi une certaine propension de l'État haïtien à faire du tapage médiatique quand il est en déficit de stratégie, dans le sens de ce que Alain Boublil appelle ''l'Etat spectacle'' sans se soucier des lois et des prérogatives de chacun, comme un tonneau creux. On ne peut pas disposer des pouvoirs et attributions des autres élus ! Cette époque du totalitarisme est bien révolue et c'est l'essence même de la bonne gouvernance en toute modernité.

Pour te l'avoir dit, je respire un peu en me donnant l'illusion que cette parole atteigne toutes les colonnes et te parvienne juste et parfaite !

J'ai dû aller vertement pour que ne m'échappe aucune parole dans mes responsabilités d'universitaire et de citoyen, mais il y a tellement de choses à te dire sur nos conditions de vie. Des choses que je ne t'ai pas dites dans ma première lettre, des choses que je veux te dire en interpellant une fois de plus Thomas Lalime, Webert Arthus, Josué Dahomey, Fritz Dorvillier, Patrice Michel Derenoncourt, Claude Joseph, Maismy Marie Fleurant, Darline Alexis, Faubert Bolivar, Ralph Jean Baptiste, Maritza Beaubrun, Etzer Emile, Riphard Serrent, Naed Jasmin, Euvrard St Amand, Jean Shannon Beaublanc, John Herrick Dessources, Ricarson Dorcé, Marc Alain Boursiquot, Rock André, Frandley Denis Julien et Emmelie Prophète.

J'interpelle ceux qui m'ont beaucoup appris, mes congénères, et aussi les jeunes de ton âge parce que nous sommes tous une génération d'arnaqués. Une génération qui se perd chaque jour de plus en plus, se cherchant faute de repères et de modèles.

Je t'écris pour te dire l'état lamentable de l'Université d'État d'Haïti (UEH) particulièrement l'INAGHEl du Professeur Leslie Francois St Roc Manigat, l'École Normale Supérieure (ENS), mon école à moi, à Hugues Bernard, à Philippe Cantave, à Patrick Leroy Morisseau, à Watson Denis et à tous les autres qui y sont passés ! Sais-tu que de Delmas à Port-au-Prince, en passant par Lalue, la rue Capois, l'Avenue Christophe, les Universités poussent comme des champignons sous le regard béat de nos politiques de quelque pouvoir qu'ils émanent ? (Exécutif, Législatif et Judiciaire). Sais-tu aussi, comme me l'a fait voir un jour mon ami Patrick Moussignac, dans un énervement et une grande tristesse que des motels s'érigent de plus en plus en face de nos écoles, les écoles de nos jeunes filles ?

Je t'écris enfin parce que je sais que tu vas réfléchir profondément sur ma lettre de sorte que nous nous arrangions à faire le débat et proposer des pistes de solutions.

En guise de solution, je voudrais te rappeler de l'acte fondateur dont je t'ai parlé dans ma première lettre. C'était l'occasion pour le Président de la République de nous prendre aux mots dans un projet pilote de sortir l'Empereur de la boue, à travers une approche d'intercommunalité entre les municipalités de Port-au-Prince, de Delmas et de Cité Soleil. Un acte fondateur peut être aussi la réunion de toutes les mairies du Nord dans un grand projet fédérateur de la route de l'esclave menant à la Citadelle. De lakou Soukri, lakou badyo, lakou Souvnans, on pourrait aménager des infrastructures jusqu'à la place d'armes pour nous rappeler que c'est aux Gonaïves que l'Indépendance a été proclamée !

Je t'écris aussi parce qu'en tes titres grades et surtout en ta qualité de Chef de Cabinet du Président du Sénat de la République, je suis sûr que tu vas porter la parole dans un champ qui peut la permettre de se faire chair.

Quant à moi, du mieux que j'ai pu, j'ai téléphoné aux politiques, j'en ai parlé à ceux qui connaissent le domaine et qui se font apôtres de la décentralisation. J'ai parlé à Patrice Dumont, j'ai essayé en vain de trouver mon Orthopédiste Ministre des Collectivités Territoriales, le Docteur Max Roudolph St Albin pour lui parler des enjeux de cette décision. De Kesner Pharel à Hervé St Preux en passant par Georges Eddy Lucien, Jacques Yvon Pierre, Jude Saint Natus et Jean Marie Frantz Théodat, qui n'a pas répondu à mon appel parce qu'il était en train de donner une conférence au Cap sur la Décentralisation, le coût de cette gifle est bel et bien accusé par nos Maires, tous heureux qui apporteront nécessairement la liste de leur besoin comme un devoir de maison au Professeur !

Promets-moi dans un langage Philoctétien cher Pascal Adrien de parler au Président du Sénat à qui j'ai pipé un mot hier dans la cour du Marriot Hôtel dans l'espoir qu'il parlera à la commission des collectivités territoriales, qui parlera en Assemblée et cette assemblée parlera à l'Exécutif, qui devra se rendre à l'évidence de la vérité universitaire afin que nous comprenions qu'on ne peut pas faire un pays dans ces conditions !

Je finis ma deuxième lettre pour te donner rendez-vous à nouveau dans un acte fondateur ! Celui du Pont Rouge où nous sortirons l'Empereur Jean Jacques Dessalines de la boue une fois pour toutes et là, commencera une grande caravane où nous concevrons, élaborerons, et mettrons en œuvre des politiques publiques qui nous sortiront de la misère, du cercle vicieux des ''abolochos''.

Et ainsi, notre génération est condamnée à gouverner la rosée!

Yves Lafortune, MAP. Avocat
Designer Organisationnel