Analyses & Opinions
Quand le stand-up comédien Rachid Badouri met en évidence les parlementaires haïtiens Don Kato et Willot Joseph!
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- Catégorie : Opinions
- Publié le jeudi 14 septembre 2017 01:00
Par Michelle Mevs --- Un spectacle qui pose problème quant à la posture à adopter, l'opinion diverse qui s'en dégage mérite ici toute notre attention. Le One-man-show de Rachid Badouri qui eu lieu au Karibe Hotel, à Pétion-ville, Haïti le 8 septembre dernier a soulevé bien des passions et provoqué une divergence de points de vue dans l'opinion publique haïtienne - locale comme en diaspora. - À l'image du clivage social existant en Haïti, les appréciations sur ce spectacle demeurent contrastées selon le statut social du spectateur qui y a assisté ou de l'internaute qui en a vu l'extrait largement diffusé sur les réseaux sociaux.
Si cette rigolothérapie a amusé plus d'un, elle constitue par contre, pour d'autres, une intromission fort irritante du comique Canado-Maghrébin Rachid Badouri dans l'espace national haïtien. Selon que vous soyez nantis de la haute (en Haïti on utilise le terme récemment actualisé de " bourgeoisie") ou que vous viviez à ras du sol, ( en "démunis") le regard et les perspectives sont nettement différents: Ils y a celui des nantis mais également celui des démunis.
Les Nantis:
I. Il y a, d'une part, ceux qui ont pu se payer le ticket d'entrée de US$60. Ils sont jeunes, en mal d'anti-stress dû à l'insécurité et autres tracasseries.... Ils ont bien rigolé à la soirée du Karibe Hotel. Rachid Badouri a su les conquérir! La salle était comble, les clichés le prouvent. Le comique y a cartonné: Son public était très en appétit, avide de divertissement, il faut le souligner.
C'est ainsi que l'on a pu voir postés sur les réseaux sociaux de nombreux clichés tamponnés Chokorela, exposant un auditoire de "belles personnes" du type dit "bourgeois". Ce sont des jeunes de familles connues dans la cité et faisant majoritairement partie du monde des affaires. Ils sont décontractés, s'esclaffant de rire, parfois jusqu'aux larmes aux propos d'un Rachid Badouri à la dent pourrie, si j'ose ainsi le dire, "juste pour rire" et verser ponctuellement dans l'humour typiquement haïtien.On y remarquait la présence d´Olivier Martelly, fils de l'ex-président Michel Martelly, sourire en coin, accompagné et son épouse. Également celle de l'aspirant parlementaire Boulon Fils-Aimé, en bonne compagnie, toutes dents dehors. Et bien d'autres jeunes encore en étaient.
Mais qui est-il donc ce coquin de Rachid Badouri? le stand-up comédien du one man show du Karibe? "Né à Laval de parents d'origine berbère marocaine, il fait ses premiers pas dans l'équipe d'improvisation du Cégep Montmorency. Lancé officiellement en octobre 2007, son premier one-man-show : « Arrête ton cinéma ! », commandité par Québec 49, s'est vendu à plus de 100 000 places en moins d'un an, un record au Québec. En tout, son spectacle aura été vu par plus de 400 000 personnes au Québec et en France. (wikipedia) Rachid fait carrière dans le stand-up comedy. Parti du Canada, il étale son talent sur monde francophone. C'est au Canada qu'il y a découvert ce filon intéressant sur lequel il surfe passionnément, amicalement, mais sans à priori, celui du: "Les Haïtiens que vous êtes drôles, quand même!" voir son tube de 2016 Haitiens. https://www.youtube.com/watch?v=tGQ7NM9ZxD8
Le positionnement des nantis:
La jeune génération locale appartenant à la haute société haïtienne sait appliquer à genre de spectacle un point de vue international, post-moderne. Pour elle comme en partout en Occident, le standing-up-comedy constitue un champ libérateur hors norme, égrenant blagues et commentaires, observations de tous poils pour public adulte. Un espace ou toute thématique peut-être traité avec liberté et surtout jusqu´à l´outrecuidance la plus mordante dans l'ironie la plus outrancière. C'est le rythme de l'artiste et l'angle d'attaque qui sous tend la narration qui en ont le succès. C'est du travail sans doute, mais eh oui, c'est dit-on un art que d'arriver à faire rire le prochain! De plus aucun -à priori, aucune offense dans ce qui est dit sur scène -pour ou contre- qui que ce soit- y constitue un principe cardinal.
Les critères de l´art:
Intéressant le segment qui suit, en date du 03/03/2008 intitulé "Pourquoi les Français ont besoin de rire? par Clara Géliot et Laurence Haloche:
"Pourquoi nous font-ils rire ? Pour l'humoriste Fellag, "il faut avoir une connaissance intime de la société"́. Connaître ses lignes de fracture, les tensions qui la traversent, les nœuds autour desquels elle se cristallise. » Nous avons beau être formidables, nous restons tous les esclaves de ces petits et grands travers que les classiques appelaient autrefois « les passions ». Depuis le XVIIe siècle, rien n'a fondamentalement changé de nos humeurs ou de nos faiblesses. Un bon comique sait s'en emparer pour s'en moquer et les rendre dérisoires. « Le rire est souvent un moyen de convertir une peur, une angoisse, en quelque chose de moins lourd, explique le philosophe Olivier Mongin, dans son livre De quoi rions-nous ? Notre société́ et ses comiques (Hachette). La nature du rire est double : il oscille entre bien et mal, naissance et mort. Les grands artistes sont ceux qui sont toujours au seuil, à la limite, à la frontière".
Badouri, dit le "bas dent pourri", arrête ton cinéma !
Les démunis:
II. Il y a d'un autre côté ceux qui vivent au bas de l'échelle sociale et qui se sont sentis exclus, heurtés, offensés par le message de Rachid Badouri. Qui sont-ils ? En Haïti, ils sont là où vivent les exclus, tous embourbés dans la précarité et, parmi eux, ceux qui peuvent se permettre d´être branchés aux réseaux sociaux et avoir accès aux videos. Tandis qu´en diaspora, ce sont les exilés économiques pour la plupart. Ces derniers sont eux aussi en réseau sur le net.
Mais, revenons aux faits: examinons de plus près le contenu des vidéos qui ont circulés sur le WEB au lendemain du spectacle du 8 Septembre. Nous en tirons un extrait du moment òu deux parlementaires haïtiens Don Kato et Willot Joseph se sont retrouvés dans le collimateur du stand-up comédien. C'était de la manière suivante:
I) En ce qui s'agit de Don Kato: sur la vidéo il y a un Rachid Badouri en pleine forme qui, de sa voix claire aux accents canado-maghrébins, lance une observation sarcastique à savoir qu'on devrait baptiser les ouragans tout autrement qu'avec ces noms de mauviettes que sont les Irma, Katia, ou José; ce dernier résonnant à ses oreilles - précise-t-il - d'une voix fluette, comme un nom de "masisi". Toujours sur le thème des ouragans: Badouri suggère sa préférence à nommer les ouragans de noms qui font peur. Selon lui, pour Haïti, le nom idéal serait celui du sénateur "Don Kato".
En énumérant les noms d´Osama Bin Laden pour un éventuel ouragan sur l'Afghanistan, d´El Chapo pour le Mexique et de Don Kato pour Haïti, Badouri le comique, décide de son propre chef de distribuer des noms qui font peur. De toute évidence, une telle association n'est point favorable à Don Kato, puisque terrorisme et trafic de drogue ne sont guère de bonnes références pour un parlementaire qui, par son action intempestive au cénacle, venait justement de s'ériger en unique défenseur du peuple. https://www.youtube.com/watch?v=4b0KiDTE6MI
II) Se référant au sénateur Willot Joseph, Badouri trouve hilarantes les fautes et la prononciation peu classique de celui-ci de la langue de Molière et s'en sert pour gagner son public. A cette moquerie, de grands éclats de rire remplissent la sale. "Grâce à Willot Joseph -précise Rachid Badouri le comique - " je sais maintenant que le Larousse nous a menti, car on ne dit pas -la section- mais -le section- et même On ne dit pas "pédophile" mais "podophile" et le pire que j'aie entendu, -poursuit le comique-, c'est ce mot "émail" qui se prononce émaille comme émaille des dents. À cette étape du spectacle, la jubilation était à son comble et le public debout! "Et pire encore", spécifie Badouri: "Willot se fâche et ressort -quand on cherche à le corriger-la fameuse expression kreyol du:"
Or les Haïtiens, comme tout autre peuple, ont tous besoin de rire; -réflexe naturel par excellence-, peu importe leur niveau social ou leur lieu de résidence:
Admettons que la population haïtienne, toute classe confondue, soit en manque de divertissement et a besoin de décompression: Est-il besoin de faire prendre nos parlementaires par un étranger pour des têtes de turc? "la bonne excuse que voici!" commente-t-on ironiquement sur les réseaux sociaux.
Volontairement ou non, les propos de Badouri le comique sur les personnages politiques haïtiens heurtent l'âme haïtienne et provoquent une certaine crispation de la population pour offense faite à la sensibilité nationale. Ils ont fait ressurgir le sentiment de mépris et de rejet ressenti dans la population par rapport aux origines humbles et laborieuses de la majorité des parlementaires du pays. Le secteur politique mais également celui de tous les marginalisés sont mécontents.
Ce mécontentement est aussi la résultante de la conjoncture économico-sociale extrêmement pénible à laquelle la majorité de la population haïtienne est soumise.
Ils sont nombreux en effet, ceux qui sont incapables de pourvoir aux besoins basiques de leur famille, et donc carrément impossible pour elle de penser à l'éventualité d'une telle dépense. Ils en sont exclus.
Si on accepte souvent de bonne grâce la moquerie d'un proche, celle d'un étranger faisant feu de tout bois, irrite et indispose. Badouri le comique provoque un rire jaune ou niche le rejet à cause de son intromission soudaine dans un espace qui n'est pas sien. Il s'agit de ceux qui luttent tout en bas de l'échelle sociale, s'identifiant à Don Kato comme à Willot Joseph.Nombreux sont-ils à dire que dans ce pays on devrait en urgence penser en terme de plus d'égalité pour la majorité de la population et non en privilèges favorisant les clans "zwit".
Voici qu'un événement aussi banal et courant qu'un spectacle d'humour et les réactions qu'il occasionne révèlent les inégalités latentes et profondes et font sortir bien des ressentiments. Le déchirement du tissu social haïtien ne sera pas sans conséquences.
La politique et le comique:
N´est-il de notoriété publique que le fait de parler politique, d´en discuter divise éventuellement les gens et même les plus proches? Si aux USA le stand-up comedy est courant jouissant de codes de recadrage illimité, néanmoins en Haïti c'est autre chose jusqu'à présent. On n'en est pas encore là, à cause précisément des problèmes de l tensions socio- économiques jamais résolus.
Tout stand-up comédien talentueux ne devrait-il pas se fixer un périmètre thématique limite dessinées à partir des spécificités du public devant lequel il performe. afin d'éviter de néfastes réactions? Un rire joyeux -sans méchanceté, nous voulons bien croire à la bonhomie du comique Badouri- fait du bien, mais, ridiculiser un secteur national particulier semble inutile, excessif et même périlleux.
Il est certain que Badouri le comique s'il avait l'expérience du "Trade", devrait en connaître les ficelles! Or le comique s'est fourvoyé dans le choix de ses thèmes en abordant le pays! Il pourrait même éventuellement mettre à risque sa popularité en Haïti. Combien ils sont ceux qui iront assister à ses prochaines performances! Souhaitons qu'il soit mieux renseigné et plus circonspect à l'avenir.
Ne dit-on pas qu´on peut rire de tout mais cela dépend avec qui?
Peut-on entrer de plein pieds dans la politique haïtienne pour rigoler de personnages qui, malgré leurs fautes ou leurs déficiences, sont sommes toutes des nationaux, des représentations de l´haïtien, l'expression réelle de son état ? Il y a tout de même une frontière ténue entre le rire innocent qui égratigne et celui qui offense ou stigmatise... Il est bon que le comique soit capable de bien comprendre la réalité à laquelle il s'attaque en riant.
Suspicion:
Et voilà que l'opinion publique se laissant gagner par la suspicion en arrive au questionnement suivant: L'agenda du comique Rachid était-il innocent ? Serait-il entrain de servir un secteur spécifique dont font partie les organisateurs de l'événement ? La suspicion tapit l'esprit et pourrait fortement irriter et causer des dégâts.
De l'utilité de cette polémique:
Si on ne peut s'isoler dans son insularité contre les performances stand-up comedy, internationalement reconnues, jouissives, à la pratique codifiée dans le sens d'une liberté d'expression totalement transgressive; si on ne peut rejeter entièrement les pratique au goût du jour: il y a lieu d'adresser effectivement le facteur idiosyncrasie local et culturel des Haïtiens. Anxieuse, la majorité questionne: Le divertissement oui nous aimons, mais à quel coût ?
Cette polémique du show-business à laquelle il est correcte d'accorder le bénéfice d´une certaine ingénuité dans le traitement du thème politique haïtien, peut-être utile à tous, parce qu'elle met en lumière une certaine réalité dont le fait que nombreux sont Haïtiens qui appréhendent déjà: "qui ils sont" et savent déjá "comment sont leurs dirigeants".
Commentaires sur le sujet:
Je m'en voudrais de ne pas reprendre le commentaire inbox d´un ami Facebook avec sa permission: " Nous les Haïtiens nous savons que le parlement se cherche une voie de sortie à sa convenance et que leurs membres représentent pour la plupart une classe défavorisée et surtout qu'ils ne sont pas des saints. Dalleurs, Ils reçoivent au quotidien leur dose d'insultes et d'injures, mais ce sont des insultes dans l´-entre-nous-Haïtiens. Nul besoin de ce pitre pour nous étiqueter Don Kato, cet homme à forte détermination qui a su se révolter contre ses pairs, contre les édits de taxation dessinées à l´encontre d´ un peuple sans abris, un peuple sans travail et sans ressources, forcé à l'exil. Utiliser Don Kato pour marionnette ça ne marche pas. Rire de Willot pour son gros kreyol c'est du pipo!".
"Laissez-nous faire nos auto- critiques et vous les comiques: shut the f...-up!" a commenté par ailleurs un compatriote... Il écrit ensuite:
"Les Haïtiens sont déjà assez critiques d'eux-mêmes souvent jusqu'à l´autoflagellation. Aussi la rigolade de ce Badouri, parti engraisser sa "fame" internationale depuis Haïti, n'a impressionné qu'un certain secteur. Le peuple a d'autres chats à fouetter comme bosser pour nourrir sa famille!"
Conclusion: Une majorité d'Haïtiens souffrent de la situation de leur pays. La classe moyenne est en exil en diaspora, la paysannerie n'a plus d'espoir. Les gouvernements successifs ont dilapidé les fonds publics. La diaspora et la classe des progressistes locaux trouvent obscène d'en rire. Surtout quand un étranger en mal de se décrocher des contrats internationaux, fait dans le risible; tout autre considération le laissant indifférent.
Fin
Michelle Mevs
Haiti.- 10 Septembre 2017
voir encadré
LA POLEMIQUE BADOURI
En Bref.
L'opinion publique haïtienne s'accorde sur les faits et les jaugent ainsi: Voilà que pour faire rire son public et engranger ses US$60 dollars l'entrée, un comique étranger de la stand-up comedy s'en prend à nos gars:
A Don Kato notre artiste national dont la popularité est énorme et actuellement monte est en flèche pour son action quoique tapageuse au Sénat récemment est une défense en faveur des populations affectées par la conjoncture actuelle. Voir le vidéo https://www.facebook.com/Tripotayhaitien/videos/953648884773333/
Or le comique des nantis s'en est pris à lui, en lui collant une étiquette d´ouragan destructeur, terroriste dangereux comme Ben Laden ou corrompu comme El Capo,
A Willot Joseph qui s'exprimant parfaitement en kréyol mais difficilement en français.
Ce qui n'est pas une faute majeure puisque nos deux langues sont constitutionnellement acceptées et utilisables indépendamment l´une de l'autre au Parlement. De fait, c'est le cas de la majorité de la population haïtienne qui n'utilise que le langage kreyol et s'exprime de moins en moins en français...!
En toute derniere heure nous recevons cet article du Canada: DES BLAGUES DE RACHID BADOURI CRITIQUÉES EN HAÏTI, Les plaisanteries de Rachid Badouri sur deux politiciens haïtiens n'ont pas fait rire tout le monde en Haïti. La Presse.
http://plus.lapresse.ca/screens/a46ac819-fe99-4e0c-bcda-51edf9db5666%7C_0.html
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