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Pour ou Contre La Dissolution du Parlement : C’est Quoi La Vérité Politique ?

senat haitien

Les derniers événements politiques en Haiti ont suscité beaucoup de débats émotionnels, peut-être volontairement, sur la nature du régime constitutionnel actuel posant un principe fondamental : la séparation des pouvoirs. Le principe de séparation des pouvoirs pose le fondement de l’Etat moderne. La France, pays de tradition esclavagiste, avait compris tardivement que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution Â». Donc, quand on parle de l’Etat, dans le sens classique du terme, son organisation ou sa constitution doit être envisagée dans le but de faciliter un agencement équilibré entre ses différentes entités. Montesquieu nous apporte des explications très éclairées sur le rapport fonctionnel entre les différents pouvoirs de l’Etat. « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir Â».

Qu’est ce que cela veut dire « le pouvoir arrête le pouvoir Â» dans un vrai débat de droit constitutionnel ? Littéralement, « quand un pouvoir arrête un autre Â» cela ne devrait constituer un élément de blocage, mais permettre que chaque organe exerce les attributions de son pouvoir dans le cadre de la constitution. Face à toutes situations de crise, il faut une solution politique. A titre d’exemple, la République Française a connu des moments politiques instables au cours de la Quatrième République. Le Président n’était qu’un titre honorifique, et cela posait un problème en termes d’équilibre de pouvoir. Ainsi est née la cinquième République dans le but d’assurer cet équilibre nécessaire entre les différents organes Exécutif, Législatif et judiciaire.

Pourtant, chez nous, le contraire s’était produit. L’actuel régime constitutionnel post-86 était conçu dans un souci de sortir d’un système présidentiel trop puissant. En effet, de 1805 à 1986, toutes les constitutions que le pays a connues n’ont pas favorisé ce rapport d’agencement politique entre les différents organes pour la pérennité de l’Etat. L’imposition de chaque régime constitutionnel visait toujours à consolider ou s’octroyer beaucoup plus de pouvoirs personnels. La constitution, comme le rappelle J.B Dorsainvil, ne donne pas de conseils qu’on est libre de suivre ou de ne pas suivre…C’est pour ne l’avoir pas compris que les Haïtiens piétinent sur place depuis plus *deux siècles *, refaisant d’année en année les mêmes expériences sans en tirer aucun enseignement utile. Si l’actuel régime constitutionnel en Haiti était conçu pour tenter au moins de convenir au principe de la séparation des pouvoirs, les faits et les actes politiques prouvent toutefois le contraire.

D’où les interrogations suivantes : pourquoi refuser à date de poser les vrais problèmes de l’Etat au lieu de demander la dissolution du Parlement ? Est-ce que les auteurs d’une telle demande le font par exprès ? Ou s’agit-il d’une simple politique visant à maintenir le peuple haïtien dans son état d’ignorance spectaculaire ? Comprennent-ils vraiment, sans aucune prétention, les enjeux qui résulteraient d’une probable dissolution du Parlement ? Ont-ils vraiment cerné l’incapacité légale de l’Exécutif de procéder à un tel acte politique ?

Il est important de rappeler que l’histoire de l’Etat d’Haiti a toujours évolué dans une dynamique d’instabilité et de dysfonctionnement. Les circonstances de la naissance de l’Etat d’Haiti ont reproduit un modèle de pouvoir d’asservissement, de domination, d’exploitation, et non de service public. Malgré l’Existence du Parlement, Haiti n’est toujours pas sortie de l’emprise du pouvoir présidentiel, donc de l’Exécutif. Dissoudre le Parlement, de quoi parlons-nous en fait ? Le Judiciaire ne jouit malheureusement d’aucune indépendance réelle, structurelle et institutionnelle. Ma démarche ne consiste pas à défendre un organe de l’Etat au détriment d’un autre. Nous vivons tout simplement dans une société politiquement dysfonctionnelle, socialement injustice, légalement criminelle, et économiquement invivable. La demande simpliste de dissoudre le Parlement ou même d’avoir un Parlement à chambre unique n’apporte aucune solution à l’entièreté du problème de l’Etat. La dissolution du Parlement constitue une position anarchiste dans le contexte post-86 caractérisé par les coups d’Etat contre des pouvoirs légitimes au même titre que le « rache manyok Â». On ne devrait aucunement dissoudre le Parlement haïtien sans engager un débat structurel sur les vrais problèmes du pays. Le vrai débat devrait porter sur le comment parvenir à un meilleur régime politique à caractère humaniste et légaliste. Par conséquent, il faut arriver à la remise en question de l’actuelle classe politique et de ses différentes composantes. Comprendre le pourquoi de cette déconnection entre cette classe politique et l’électorat haïtien. Comprendre la mise sur pied des partis politiques en dehors de vrais projets de société. Comprendre le jeu des alliances politiques en dehors d’un cadre idéologique qui cesse de satisfaire des égo-projets politiques au détriment de l’ensemble de la collectivité. Comprendre les facteurs qui rendent l’Etat si dysfonctionnel au lieu de rendre le Parlement responsable de tous les maux du pays.

Il faut poser le problème d’Haiti dans sa globalité en inscrivant l’exercice du pouvoir politique dans une perspective de devoir civique. Trop d’opportunistes prennent d’assaut l’Etat rien que pour résoudre leurs problèmes de précarité individuels.

  

Frantz Abellard HORACE
Peace and Conflict Studies, Master of Arts (Umass Lowell)
Avocat au Barreau de Port-au-Prince
Fondateur de L’institut haïtien pour la Paix, la responsabilité de l’Etat et le Dialogue (ISPSAD)

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