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Comment le sondage du BRIDES sur la réforme constitutionnelle nous induit en erreur
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- Catégorie : Opinions
- Publié le dimanche 10 janvier 2021 18:31
Le dernier sondage du BRIDES me rappelle l’intervention de l’ambassadeur américain Kenneth MERTEN en 2011. Alors que le débat faisait rage sur une éventuelle nationalité américaine du Président MARTELLY, il sort de son silence, pourtant obligatoire du fait de sa position diplomatique, pour venir confirmer aux journalistes que Joseph Michel MARTELLY est bien « ayisyen tèt kale ». Personne n’avait de doutes sur le fait que ce dernier soit haïtien. Qu’il soit en plus tèt kale était une évidence. Nous n’avions pas besoin d’un diplomate étranger pour nous le dire. La vraie question soulevée consistait plutôt à savoir si J.M. MARTELLY, en plus d’être haïtien tèt kale, n’était pas américain également, tèt kale ou pas. Personne ne semblait avoir remarqué que le diplomate n’avait apporté aucune réponse à notre préoccupation. Quoi qu’il en soit, son intervention pour le moins inappropriée avait clos le débat et avait fait en plus la démonstration que le président bénéficiait du soutien du Blan, ce qui est un atout considérable en ces temps où le nationalisme haïtien est en berne.
Le titre même de l’étude en constitue le premier élément trompeur : « Sondage d’opinion publique sur la Constitution haïtienne ». En réalité ce n’est pas un sondage sur la Constitution en vigueur mais sur une éventuelle réforme constitutionnelle, dans la mesure où les réponses pour le moins prévisibles, voire dirigées, tentent de dresser un tableau qui nous dicte à quoi devrait ressembler notre 23e constitution. Dès l’introduction nous pouvons lire : « Dans les manifestations de rue, ça devient une habitude pour les manifestants de demander un changement de système. Qui dit changement de système dit en quelque sorte changement de Constitution ». Pour ceux-là qui se demandaient ce que peut bien vouloir dire ce slogan, le BRIDES prétend en apporter enfin la réponse.
Un sondage de cette envergure engendre forcément des coûts élevés. Il est à déplorer que l’institution n’ait pas jugé nécessaire de révéler qui en est le commanditaire. A supposer que ce sondage réunit les conditions de fiabilité, il apporte des réponses à un ensemble de questions que personne ne se pose et des réactions à des questions auxquelles les sondés ne sont pas qualifiés pour apporter des réponses. Il réussit en plus la prouesse de s’abstenir de traiter les questions essentielles de l’heure tout en prétendant apporter la lumière. C’est justement en cela que le sondage du BRIDES sur la réforme constitutionnelle se révèle dangereusement trompeur.
La question pourtant primordiale portant sur le choix d’un amendement ou d’une nouvelle constitution, par exemple, n’a pas été abordée dans le sondage, sinon de manière vicieuse. 87,4 % des sondés seraient pour l’adoption d’une nouvelle constitution, comme si garder la Constitution dans sa forme actuelle ou en adopter une toute nouvelle seraient les seules options qui s’offrent à nous. Le terme « amendement » est un anglicisme qui suppose des corrections au texte original alors que la nouvelle constitution suggère la table rase et l’instauration d’un nouvel ordre au risque de perdre certains acquis démocratiques. Selon le sondage, une écrasante majorité d’Haïtiens seraient favorables à une réforme. Où est la nouveauté ? Même les plus acharnés défenseurs du texte original de 1987 ont fini par admettre la nécessité de quelques changements. Nous n’avions pas besoin d’un sondage d’opinion pour constater cette évidence. C’est d’ailleurs le fruit d’une agressive et massive campagne à travers les médias traditionnels et les réseaux sociaux contre la loi mère depuis plusieurs années.
Selon le même sondage, 72,3% des Haïtiens seraient favorables à la suppression du poste de Premier ministre alors que 74,2% souhaiteraient l’introduction du poste de vice-présidence. Ce que les enquêteurs ont sans doute omis de dire aux sondés, c’est que la primature fonctionne aussi bien en France que la vice-présidence aux Etats-Unis. Demander au peuple, auquel le droit à une éducation adéquate a toujours été nié, de choisir entre deux formes de gouvernance revient à demander à des pauvres de choisir entre le caviar et le foie gras alors qu’ils n’ont entendu dire du mal que du premier et alors que, de par leur condition, ils ne peuvent en avoir aucune expérience pratique. La seule forteresse efficace qu’on peut élever contre le despotisme est l’éducation des masses. Or nous y avons piteusement échoué.
Toujours selon le BRIDES, 75,1% des sondés opteraient pour une Chambre unique et 71,8 % pour la suppression du Sénat. Nous avons connu seulement deux périodes de monocamérisme, la première allant de 1806 à 1816, avec un Sénat tout puissant spécialement conçu pour contrecarrer les prétendues velléités dictatoriales du président Christophe à venir. Même les concepteurs de ce régime monocaméral, en particulier PÉTION et BOYER, ont dû faire marche arrière et convoquer l’assemblée constituante de 1816 à Grand-Goâve. Le bicamérisme instauré dans notre législation dès le début du 19e siècle n’a jamais été remis en question dans notre Histoire, pourtant riche en zigzags constitutionnels, jusqu’à DUVALIER. Notre deuxième expérience monocamérale s’étend de 1961 à 1986 où les « députés-j’approuve » servaient à faire miroiter un semblant de démocratie au régime et légaliser le banditisme politique. Ils ne siégeaient d’ailleurs que trois mois par an. Lequel de ces deux modèles de monocamérisme expérimentés nous tenterait bien aujourd’hui ?
Quelle circonscription serait prête à voter une constitution qui lui enlève le droit d’avoir un représentant au Parlement ? Pourtant, selon le sondage du BRIDES, 85% des sondés seraient pour une réduction du nombre de députés. Là encore l’approche est faussée. Réduire le coût de fonctionnement du Parlement ne signifie pas forcément réduire le nombre de députés. Si une formule permettant de conserver le nombre de députés actuels avec un budget réduit pouvait être proposée, en quoi le peuple serait-il lésé ?
71,9% des Haïtiens se seraient prononcés en faveur de la double nationalité. Les enquêteurs ont-ils pris le soin de leur préciser la différence entre cumul de nationalités et double nationalité ? La première admet qu’un Haïtien a le droit de détenir une autre nationalité mais ne peut faire valoir sur le sol national que son statut d’Haïtien avec tous les droits et devoirs que cela confère alors que la double nationalité laisse le choix à l’intéressé d’être Haïtien ou étranger sur le sol national, à sa meilleure convenance.
La vérité scientifique est censée choquer, déranger, bousculer les croyances. Tel n’est pas le cas avec ce « sondage scientifique » qui nous livre une lecture faussée de l’opinion publique sur la réforme constitutionnelle. Le principal danger des sondages d’opinion est que souvent nous les assimilons à la volonté populaire alors qu’il n’en est rien. En 2010, alors candidat aux législatives, un sondage du BRIDES me créditait la victoire alors que j’allais perdre les élections. Il en est de même pour MM. MANIGAT, candidate à la présidence à la même époque. Le journal en ligne Le Médiateur s’est empressé de présenter les résultats sur un ton triomphaliste en titrant « Le peuple tranche ». Si un simple sondage suffisait pour avoir l’adhésion du peuple, à quoi servirait donc des élections coûteuses dans une démocratie ?
Plusieurs autres questions mériteraient d’être posées mais peut-être l’institution n’a-t-elle pas osé par faute de mandat : « Êtes-vous prêts à renoncer aux acquis démocratiques de 1946 et de 1987 ? », « Êtes-vous d’accord que la Constitution soit changée en dehors des normes prévues par celle-ci ? », « Êtes-vous d’accord que la Constitution soit rédigée sans assemblée constituante ? », « Êtes-vous d’accord que les autorités procèdent à un référendum alors qu’il est interdit par l’article 284-3 de la Constitution en vigueur ? »…
« La parole n’est pas faite pour cacher la vérité, mais pour la dire », disait le poète cubain José MartÃ. Ce sont les Américains qui ont introduit le référendum en Haïti en 1918 face au refus des parlementaires nationalistes de changer la Constitution de 1889, qui avait à l’époque battu le record de longévité (29 ans) et qui avait enfin apporté une certaine stabilité constitutionnelle au pays. L’interdiction du référendum en matière constitutionnelle n’est pas une invention des constituants de 1987. « Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite » est une disposition que nous retrouvons à l’article 148 de la Constitution de 1946, à l’article 161 de la Constitution de 1950 et enfin à l’article 191 de la Constitution de 1957. Il est peut être utile de rappeler que François DUVALIER a été le premier à violer cette disposition en 1961 puis en 1964, avec les conséquences que nous connaissons. Les analystes ont tendance à revisiter l’histoire constitutionnelle d’Haïti à partir de 1987 ou, au mieux, à partir de 1957. D’où les nombreuses erreurs d’appréciation...
Le référendum, aussi bien que le sondage d’opinion, peut se révéler trompeur et dangereux lorsqu’il demande à des non-initiés de se prononcer sur des questions qui les concernent certes au premier chef mais pour lesquelles ils ne sont forcément pas qualifiés pour apporter des réponses adéquates. À l’assemblée constituante, experts et dignes représentants du peuple discutent de ces sujets pointus qui exigent une certaine expertise et une profonde connaissance de notre Histoire de peuple. Formule inédite dans notre Histoire pourtant riche en épisodes autocratiques, rédiger une constitution sans assemblée constituante, comme on envisage de nous l’imposer actuellement, revient à priver un accusé de son droit d’engager un avocat.
Rolphe PAPILLON
Ex-député de Corail à la 50e législature
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