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Martelly sortira-t-il du ban m m a ba w ?
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- Catégorie : Opinions
- Publié le jeudi 13 septembre 2012 20:51
La rencontre a été longue. Des heures et des heures d'un dialogue émaillé de rires, de revendications et de promesses. D'un côté, venus d'un peu partout, trop nombreux pour être à leur aise, des étudiants endimanchés ; de l'autre, sur le podium, le président, plusieurs ministres et des conseillers du chef de l'État.
Un micro se balade d'un coin à l'autre de la grande salle du seul palais municipal digne de ce nom, celui de Delmas. Sous le regard électronique des nombreuses caméras qui retransmettent en direct la rencontre, tour à tour, des étudiants prennent la parole. La vitalité des débats, la richesse des propositions, les frustrations et de vaines demandes, tout se mélange tant les attentes sont grandes. Accrochés à leur iPad, les hôtes enregistrent de leurs doigts agiles les doléances de ces inédites assisses réunissant étudiants de l'Université d'État d'Haïti et pouvoir politique.
La note d'invitation du service de presse de la présidence était on ne peut plus claire : « Le Président de la République rencontre des étudiants autour de la problématique du fonctionnement de l'UEH et des mesures de correction à adopter. » Chose dite, chose faite, les problèmes pleuvent. A l'issue de la rencontre, le président Michel Martelly, rejoint par le Premier ministre Laurent Lamothe, conclut sur une série de promesses. Non, de décisions.
« J'ai adopté une série de décisions... l'État s'engage... dans l'immédiat... », lâche sur un ton mi-badin mi-sérieux le président, avant d'égrener : Une bourse de dix-huit mille gourdes sera octroyée à chacun des vingt-deux mille étudiants de l'UEH ; un arrêté sera pris pour créer un service social, rémunéré et obligatoire, pour tout finissant de l'UEH ; l'État s'engage à accorder des bourses aux lauréats dans les domaines d'études prioritaires ; un bureau, pour encadrer dans la préparation de leur mémoire les étudiants finissants, sera mis sur pied..., déclare, satisfait, le président de la République.
A moyen ou à long terme, le président veut aussi doter l'Université d'un budget pour que soit érigé le campus de l'Ouest. Une passerelle de communication permanente sera mise en place entre l'exécutif et le monde universitaire.
Tels sont en gros les engagements du président en présence, entre autres, des ministres des Finances, de l'Éducation nationale, de la Culture et du Commerce-dont le titulaire est un ancien vice-doyen de l'UEH.
Il ne manquait dans la classe, pardon, dans la salle, que les responsables élus de l'Université d'État d'Haïti et ceux, désignés, des centres privés d'enseignement supérieur. Ont-ils été évités ou n'ont-ils pas été invités ?
Le pouvoir incapable de trouver, jusqu'ici, des atomes crochus avec le rectorat jaloux de son indépendance, lance-t-il une opération Cheval de Troie avec cette opération de charme auprès des étudiants ? Les largesses ne vont-elles pas réveiller les vieux démons endormis de l'Université ? Le Parlement ne va-t-il pas enfourcher l'envie du président de doter chaque département d'un campus pour inscrire au budget de la République des murs et des meubles sans tenir compte des capacités du corps professoral à assurer la formation en dix lieux du territoire?
Le président, qui a demandé aux étudiants de l'aider dans ses combats futurs, s'achète-t-il des alliés ou ouvre-t-il un nouveau front sur les flancs fragiles de la question étudiante ? Le gouvernement a-t-il un plan pour les professeurs ? Prépare-t-il une rencontre avec les étudiants du secteur privé ? Va-t-il jouer sur les lignes de faille des deux mondes de l'université en Haïti ?
Qu'à cela ne tienne! les entorses et les questions sans réponse attendront. Les étudiants ont quitté, sourire aux lèvres, la mairie de Delmas. Le président et sa suite, avec en tête le cri de clôture de l'assistance ravie « Sak pa kontan anbake», n'ont pas boudé leur plaisir.
En Haïti, depuis 1987, il est difficile de respecter l'autonomie de l'UEH et d'accepter de satisfaire ses besoins de financement. Les amours vertueuses et platoniques sont impossibles au pays du ban m m a ba w.
Gageons cependant que les nouvelles relations Etat-Université ne sont pas grosses des habitudes du passé, car à chaque fois que pouvoir et université se fréquentent de trop près, le ver s'installe dans le fruit..
Frantz Duval
Twitter:@Frantzduval