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Le tremblement de Terre du Cap Haïtien de 1842

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Une tranche d'histoire d'Haiti, (L'Evénement de 1842)

Courtoisie de Fabrice Rouzier

Le samedi 7 mai 1842, un violent tremblement de terre que l'on considère comme la plus grande catastrophe naturelle de son histoire, frappait la République d'Haïti. Cet épouvantable séisme allait détruire toutes les villes de sa côte atlantique et anéantir en un moment, des agglomérations comme le Môle Saint-Nicolas, Port-de-Paix et Fort-Liberté. Parmi les villes touchées se trouvait aussi le Cap-Haïtien, l'ancienne capitale de Saint-Domingue qui, d'un seul coup, fut réduit en cendres.

C'était alors une cité florissante qui prospérait par son négoce maritime, une ville pleine de vie et de mouvement dominée par une classe de grands planteurs opulents et une non moins fastueuse bourgeoisie d'affaires. Juste avant la catastrophe, le Cap était encore considéré, avec New Orléans et Québec, comme l'un des trois principaux centres commerciaux et culturels de l'Amérique francophone. John Candler, l'auteur de « Brief notices of Hayti », un ouvrage publié peu de temps avant la destruction de la ville, rapporte que le Cap lui paraissait assez semblable à Saint-Pierre de la Martinique avec 27 rues orientées d'est en ouest et coupées à angle droit par 19 autres allant du nord au sud. Candler décrit aussi les maisons, d'immenses battisses dont les rez-de-chaussée sont occupés par des commerces, des étables ou des entrepôts alors que les familles résident dans les deux ou trois étages supérieurs.

Dans ses Mémoires encore inédits, mais dont quelques extraits ont été publiés en 1942 grâce aux soins de son neveu, Elie Lambert, l'écrivain et homme d'État haïtien, Demesvar Delorme, un témoin direct de la catastrophe, parle du Cap comme d'une "ville de politesse, de manières recherchées, quintessenciées mime, raffolant du roman, du chevaleresque, aimant les épiques récits de galantes aventures, comme l'Espagne de Cervantès. Même après la chute du royaume de Christophe, le Cap-Haïtien qui disputait encore à Port-au-Prince l'hégémonie financière et intellectuelle d'Haïti, ne le cédera vraiment à sa rivale qu'après le tremblement de terre de 1842. En un moment, cette ravissante cité de pierre avec ses édifices, ses belles demeures, ses vastes entrepôts, ses riches commerces et tous ses superbes monuments coloniaux qui en faisaient le Paris de Saint-Domingue, (si finement décrit par Victor Hugo dans Bug-Jargal) se trouvèrent anéantis. On estime généralement à cinq mille le nombre des victimes ensevelis sous les décombres, soit presque la moitié de la population de la ville.

Demesvar Delorme jouait aux billes avec son frère, lorsqu'il remarqua que certains des soldats qui défilaient lors de la parade du samedi trébuchaient et tombaient de façon assez grotesque. « Un bruit sourd. nous dit-il, un grondement lointain, lugubre, comme sortant d'un gouffre profond se fait entendre du coté de l'est. [...] Nous chancelons, mon frère et moi tombons aussi. Le mur de la caserne au nord s'ébranle et tombe presque en même temps que nous. [...] Le clocher de la cathédrale que j'avais en face se mit à balancer dans l'air, les cloches sonnant à route volée en carillon sans rythme, sinistre, un glas horrible. Le clocher s'écroule, les parties hautes les premières. Puis l'église s'abat, et toutes les maisons environnantes, et toutes les maisons que je voyais, et enfin la ville entière. Tout cela avec un bruit sans nom, grondant au milieu d'une buée épaisse sortie des murailles brisées et qui s'épaississent de plus en plus était devenu un nuage noir, lugubre, comme ceux des grosses tempête sur mer, et bientôt sillonnée comme eux de lueurs rouges, ardentes, agitées en tous les sens ».

Après la catastrophe, Delorme nous dit comment il se rendit en vitesse chez ses parents où l'on commençait à peine à se réjouir du fait que personne n'avait périt, lorsqu'un de ses oncles maternels vint aux nouvelles avec ses vêtements maculés de sang. L'oncle s'empressa de leur expliquer qu'il s'agissait du sang d'une infortunée marchande du marché communal qu'il venait d'aider à dégager des décombres après qu'elle eût reçu une poutre sur les jambes. Peu après, tous les membres de la famille Delorme se rendaient au Champ-de-Mars. C'est sur cette grande place ou cinquante ans auparavant Sonthonax proclamait la liberté des esclaves de Saint-Domingue, qu' ils passèrent la nuit à la belle étoile pendant que les incendies faisaient rougeoyer la ville tout autour d'eux. En effet, comme le séisme était survenu à l'heure où l'on préparait le repas du soir, les feux de cuisine n'avaient pas tardé à transformer les ruines en un immense brasier.

La population, épouvantée par les répliques intermittentes qui durèrent au-delà d'un mois, ne dormait plus que dans la rue, sur les places publiques ou encore dans l'édifice miraculeusement épargné abritant l'ancien opéra royal de Christophe. (Aujourd'hui loge maçonnique l' Haïtienne). Le petit Demesvar, il était alors âgé de 11 ans, nous dit qu'à son réveil, au lendemain du cataclysme, il vit arriver le gérant de l'habitation de ses parents sur un cabrouet tiré par des boeufs. Il venait les chercher dans cet équipage pour les conduire avec armes et bagages à la campagne ou ils allaient vivre désormais.

Un autre rescapé de la catastrophe, un jeune commerçant allemand de nom de Peter Gottlieb Buhrow, nous a, lui aussi, laissé un récit touchant de ses aventures sous la forme d'une lettre datée du 15 mai 1842 expédiée à ses parents vivant à Hambourg. Surpris dans son lit par le séisme, Buhrow (il est le fondateur de la future Maison Schutt et Co du Cap) raconte comment il est resté pendant un temps interminable enseveli sous les décombres. Après des heures d'angoisse et de souffrance, il parvient enfin, dit-il, « à ramper sur les mains à travers les décombres ne reconnaissant plus rien des lieux où j'avais habité et me retrouvant enfin sous une table de billard [..] J'arrivai enfin vers quatre heures du matin au bord de la mer où se trouvait une foule de gens dons certains priaient et d'autres pleuraient ou hurlaient de douleur du fait de leurs graves blessures. La ville est totalement en ruines et ce qui n'a pas été brûlé est pillé. En effet, dès le premier jour apparurent des bandits de l'intérieur du pays qui dérobèrent tout ce qu'ils pouvaient trouver puisque l'ordre militaire avait disparu ». En fait, pendant les jours qui suivirent, la ville sera parcourue par de sinistres bandes de pillards en maraude, de chenapans patibulaires qui remuaient les pierres, fourrageaient les ruines fumantes, dévalisant les cadavres et terrorisant les survivants qui voulaient se ménager un abri parmi les vestiges.

En plus du tremblement de terre, un raz de marée avait envahi les rues commerciales du front de mer laissant une épaisse et nauséabonde vase noire après son passage. Dans son Histoire religieuse du Cap, Mgr. Jean-Marie Jan nous apprend que « le ciel fut tellement obscurci par les tourbillons de poussière que l'on aurait dit une nuit complète. La mer se précipita sur la ville, jusque dans les maisons qui bordent le quai et se retira aussitôt, fort heureusement. [...] Durant toute la nuit, il y eut de fréquentes oscillations et de violentes commotions.Bien plus, les trépidations du sol se répétèrent chaque jour et, quelquefois, à plusieurs reprises, pendant près d'un mois ".

Le Cap-Haïtien porte aujourd'hui encore les nombreux stigmates de cet affreux tremblement de terre que par euphémisme, ses habitants appelleront "l'événement ". La cathédrale du Cap, un imposant édifice de style neo-classique, ne sera entièrement restaurée que cent ans après son écroulement, en 1942, sous le gouvernement d'Elie Lescot. Le séisme n'épargna pas la Citadelle Laferrière et infligea des dommages irrémédiables au palais de Sans-Souci, dont la chapelle sera cependant fidèlement reconstruite sous l'administration de Stenio Vincent.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les Capois affrontèrent seuls toutes ces grandes épreuves morales et matérielles qui les accablaient. Après "l'événement " en effet, aucun secours ne fut organisé par les autorités haïtiennes et aucune assistance ne parvint non plus de l'étranger. Il faudra attendre 1844, pour que le gouvernement haïtien, après une visite du président Philippe Guerrier, accorde cinquante mille gourdes à la ville qui serviront à reconstruire le quai et à déblayer les rues de leurs décombres. Ce n'est que vingt-cinq ans plus tard qu'une nouvelle prospérité allait permettre la lente reconstruction du Cap, mais en 1842, Haïti perdait une ville brillante, un centre économique florissant qu'elle ne retrouvera peut-être jamais... « En sera t'il ainsi pour Port-au-Prince ? »

Source: haiti-culture.com

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