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Profilage racial, les remous d'une dénonciation

profilage-racialjpgRoberson Alphonse -- Certains encaissent, d’autres pas, quand ils sont victimes de « profilage racial » au pays de Jean-Jacques Dessalines. Nicole Siméon, 37 ans, linguiste, journaliste, appartient à cette catégorie. Avec un luxe de détails, dans un papier publié dans la rubrique « Idées et opinions » du quotidien Le Nouvelliste, le jeudi 12 juillet, elle partage, sans dissimuler sa colère, son expérience dans deux supermarchés à Pétion-Ville. La pomme de discorde: un  sac à main à laisser à l'entrée avant de faire ses emplettes. Les commis à la sécurité, des Noirs, sont rigides dans l’application de cette consigne contre les Noirs comme eux. Ils ferment les yeux cependant sur les « Blancs », résume Nicole Siméon.

Simple fait divers ? Il faut croire que non. « Rien ne m'attriste plus que le racisme interhaïtien, l'un des plus graves obstacles au développement du pays », commente Amélie Baron, correspondante de RFI en Haïti. Le problème existe. On aurait tort de le banaliser, soutient Amélie, capable de sortir plusieurs expériences vécues par des gens qui se sont confiés à elle, dont une photographe afro-américaine.

Giordano Cossu, journaliste italien, coréalisateur du documentaire  « Goudougoudou : les voix ignorées de la reconstruction », renforce. « Oui, c’est très commun. Merci à Nicole pour l’avoir écrit. Je l’ai vécu moi-même dans des supermarchés à Pétion-Ville », ajoute Giordano, soulignant que le profilage racial, le racisme, est « partout ». « En France, à Paris, quotidiennement,  je prends le métro et je vois que lorsqu’il y a des contrôles des tickets, souvent les contrôleurs font passer les Français et arrêtent les Noirs (français ou étrangers), confie Giordano Cossu. « Il faut lutter contre ces manifestations de racisme à chaque fois », rappelle-t-il.

La mésaventure de Nicole Siméon est pour  Laurette M. Backer l'occasion de casser le tabou, de débattre du racisme, du profilage racial en Haïti. Outre le débat, les responsables de ces actes, comme c’est le cas aux Etats-Unis, devraient être punis par la loi, croit Wah Le-Brun. Dans la fumée acre des réactions, certaines incendiaires, Josseline Colimon Fethière, ex-ministre du Commerce et de l’Industrie, partage sa conprehension. « Je n’ai pas cliqué  « like », car dans cet article, il n’y a rien à apprécier, seulement faire le triste constat que la domination du Blanc que nous avons eue par héritage colonial est encore vivante chez nous », indique-t-elle, avant d’ajouter que « les patrons n’ont pas passé d’ordres en ce sens ». « C’est, poursuit-elle, un élan naturel de notre mentalité que le Blanc sait tout et est sans péché ».

« Maintenant, les propriétaires de supermarchés devraient insister pour que la loi soit une pour tous », conseille l’ex-ministre du Commerce, avant d’inviter à plus d’égards envers le client. « Le problème chez nous, quelle que soit l’entreprise de service, les proprios ne pensent qu’à la vente mais pas au client qui lui fait vendre », indique Josseline Colimon Féthière, favorable à plus de formation continue pour que les employés ne soient plus des « robots ».  

« Je n’ai pas voulu, comme les autres, faire de commentaires sur ta page Facebook, Roberson. Mais je crois que les racines du racisme, de la discrimination entre les strates sociales en Haïti sont profondes. Il faudrait débattre de la question, sans passion, car sur cette terre il y a eu la plus grande révolte d’esclaves de toute l’histoire contre le système esclavagiste, raciste et inhumain français. Il y a eu  le président Elie Lescot et sa « mulatraille », responsable quelque part de la révolution de 1946. Dans ce pays aussi, les mulâtres et les étrangers ont été victimes de discrimination, de préjugés  responsables d’un réflexe de confinement », confie Gladys, préoccupée par les conséquences de l’instrumentalisation de la question de couleur, d’inégalités socioéconomiques par des politiques.  « Ce n’est pas simple », ajoute-t-elle, comme d’autres ayant fait des commentaires cette fois sur le site du journal www.lenouvelliste.com.

Si une majorité de personnes appuie la démarche de la journaliste Nicole Siméon, d’autres, quand ils ne disent pas que la journaliste n’existe pas, que c’est un nom d’emprunt de propagandiste, apportent d’autres perspectives. « Cessez de chercher de midi à quatorze  heures. L'auteur de cet article-anecdote, quoique prolixe, est passé à côté du vrai problème. On est tous d'accord que la minorité à teint clair du pays n'est pas assez folle pour donner de telles instructions à leurs agents de sécurité. Les déboires des T-Vice dans les années 2000- 2002 leur ont d'ailleurs donné une idée de ce qui pourrait leur arriver. Cette tendance à traiter les gens différemment se manifeste partout en Haïti », commente Kethura Mermoz.  

« Je suis sûre que beaucoup des soi-disant offusqués ont eu un comportement similaire au moins une fois dans leur vie. Je connais mon peuple, on méprise le mendiant qui accepte des sous, mais on débourse facilement 50 gourdes à un parfait étranger qui quémande en français. Pour justifier votre dédain envers les habitants des ghettos, vous les traitez tous de "Kokorat"ou de "chimè". J'aimerais faire une petite expérience de caméra cachée dans les rues de Port-au-Prince; ce serait drôle de constater que l'inconnu « voituré » aurait un accueil spécial de la part de l'auteur même de cet article », ajoute Mermoz, avant de souligner qu’elle considère « l'attitude des agents de sécurité de loin plus pardonnable».  Il n’ont pas reçu l’éducation que vous êtes censé avoir, poursuit-elle.  

« Au lieu d'exposer un faux problème et de donner à l'étranger l'impression qu'on est un pays raciste, mieux vaudrait admettre que vous avez reçu la monnaie de votre pièce. Ce n'est pas un problème de couleur, tout comme votre fille ne saurait se présenter chez vous avec un lycéen (quel que soit son intellect), l'étranger est à tort considéré riche et "incapable de voler" par une personne que vous auriez dû alphabétiser il y a bien longtemps », indique-t-elle en s’adressant à la journaliste Nicole Siméon.

Sur la toile et dans les salons, chacun connaît quelqu’un qui a une histoire à partager sur ce brûlant problème de société en Haïti où des publicités, tournées en boucles à la télé vendent souvent des modèles « antiafricains » associant la beauté à la couleur (teint clair) de la peau ou à la chevelure abondante et permanentée.  Entre-temps, alors que le débat enfle, le racisme, eu égard à l’histoire d'Haïti, est une imposture grave. De l’autre côté de l’île, à l’Est où des immigrants haïtiens sont victimes de racisme et de préjugé, certains gagent que cette affaire est suivie avec délectations par des racistes.  « Article à ne pas traduire en espagnol. Suivez mon regard vers l’Est », commente Nesmy Manigat.

Roberson Alphonse
Source: Le Nouvelliste
Photo credit: La presse.ca

 


 

Tout Haiti NDLR: -- Gaétan Cousineau  définit le profilage racial comme toute action prise par des personnes en situation d'autorité qui appliquent une mesure, parfois même inconsciemment, sans justification raisonnable ou de façon disproportionnée, sur certains groupes du fait de leur appartenance raciale

Ensemble contre le profilage racial

Gaétan Cousineau,
président de la Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse du Québec

 


 

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